J’avais 17 ans quand j’ai rencontré Samuel. Nous sommes sortis ensemble pendant un peu plus de trois ans. C’était une relation facile, sans chicanes ni grands bouleversements… jusqu’à ce que j’apprenne, par hasard, qu’il me mentait sur l’emploi qu’il occupait depuis deux ans. Quel choc! J’ai rompu sur-le-champ, mais il m’a fallu plusieurs mois avant d’arriver à comprendre ce qui s’était passé. Nous nous sommes connus alors que nous travaillions dans un fastfood à Montréal. J’étais au cégep, lui suivait des cours de génie informatique dans un institut professionnel. Il était de quatre ans mon aîné. Ça n’a pas été le coup de foudre, mais nous avions quelques points en commun, dont notre amour du camping et du hockey. Nous faisions des sorties après le boulot, puis il m’a déclaré sa flamme et nous avons commencé à nous fréquenter. Parfois, je pense que nous formions un couple seulement parce que c’était mieux que d’être seuls.

Après le cégep, je me suis inscrite en comptabilité à l’université. Lui m’a dit avoir brillamment terminé ses études et avoir été engagé par Microsoft comme ingénieur informatique. Il était fier d’avoir obtenu un poste aussi intéressant. Il était très occupé et participait régulièrement à des réunions après le boulot. Un soir, il m’a même annoncé avec enthousiasme avoir croisé Bill Gates dans un corridor de l’immeuble où il travaillait.

Quand il partait le matin, il ne portait ni costume ni cravate. Je trouvais ça bizarre pour quelqu’un qui occupait une telle fonction, mais il me disait souvent qu’il devait s’arrêter chez le nettoyeur pour y chercher ses complets. Il faut préciser que je ne le voyais pas souvent au moment où il se rendait au bureau, puisque nous habitions chacun chez nos parents. La semaine, nous dormions quelquefois chez l’un ou chez l’autre, mais c’est le week-end que nous passions le plus de temps ensemble. Il pouvait donc faire ce qu’il voulait pendant la semaine…

Après avoir obtenu mon baccalauréat, j’ai déniché un poste intéressant dans une société de vérification fiscale et de services-conseils qui fait des affaires aux quatre coins du globe. À partir de ce moment, j’ai eu envie de m’installer dans un appartement au centre-ville, afin de me rapprocher de mon lieu de travail.

J’ai proposé à Samuel d’habiter avec moi. Il a un peu hésité, mais pas longtemps. En vérité, je lui faisais une proposition en or: je payais le loyer et je fournissais les meubles; lui, il n’avait qu’à emménager. C’était une sorte de cohabitation sans engagement véritable. Il a gardé un pied-à-terre chez ses parents, mais il était tout le temps chez moi, et ses effets personnels ont vite trouvé leur place dans mes placards. Notre cohabitation n’a cependant duré que deux mois.

C’est en ouvrant un de ses tiroirs que je suis tombée sur une lettre de son syndicat. Son employeur n’était pas Microsoft, mais une compagnie de distribution de produits métalliques. Et il n’y occupait pas un poste d’ingénieur informatique, mais il était affecté au service de la logistique. J’étais abasourdie!

Je l’ai tout de suite affronté. «Tu m’as menti!» lui ai-je lancé en brandissant la lettre. Il a immédiatement admis la vérité: oui, il travaillait bel et bien pour cette entreprise, à la logistique. Je n’ai pas voulu en entendre plus. Je n’avais plus du tout confiance en lui. Je lui ai donc dit que notre relation était finie et je suis partie dormir chez mon amie Joliane. Ce soir-là, il a tenté à maintes reprises de me joindre au téléphone. Je n’ai jamais répondu, sauf pour lui donner rendez-vous deux jours plus tard, à l’appartement. Il fallait qu’on s’explique.

Quand je lui ai demandé la raison de tous ses mensonges, il a déclaré qu’il se sentait inférieur à moi parce que j’avais un bon emploi, et lui pas. Il pensait que je voulais un homme avec une grosse job. Selon lui, j’accordais beaucoup d’importance à la situation professionnelle des gens, et il craignait que je le rejette si j’apprenais son statut. Je n’en revenais pas! Sur quoi se basait-il pour tirer de telles conclusions?

Pendant les 30 minutes qu’a duré notre rencontre, Samuel m’a suppliée de ne rien révéler à ses parents. C’est pourquoi je ne leur ai plus jamais parlé, malgré le fait que nous étions en bons termes.Les explications de Samuel n’ont rien changé à ma décision de le quitter. Je me sentais trahie. J’avais l’impression de ne plus connaître l’homme qui se tenait devant moi, et cet inconnu me dégoûtait. Je lui ai donc demandé de quitter l’appartement, ce qu’il a fait pendant la journée, pour que je puisse retourner vivre chez moi, seule. Au cours des semaines qui ont suivi la rupture, j’ai souvent repassé le fil des évènements dans ma tête. Je m’en voulais de ne pas avoir compris plus tôt ce qui arrivait. Je me demandais comment il avait réussi à garder aussi longtemps un tel secret.

Je me suis rendu compte que Samuel me tenait éloignée de son entourage. Nous ne voyions pas souvent ses parents et nous n’évoquions jamais le boulot avec eux, pas plus qu’avec ses copains. En fait, il manipulait aisément les conversations et changeait habilement de sujet lorsque nous abordions le domaine professionnel. Quant à mes amis, ils l’appréciaient. Il n’y a que ma mère qui ne l’aimait pas! En réalité, elle était frustrée parce qu’il ne venait jamais souper à la maison. Je comprends maintenant pourquoi: il devait craindre de s’empêtrer dans ses mensonges!

Nous avions un couple d’amis communs. J’étais proche de Joliane, et Samuel, d’Arthur. Après la rupture, Arthur m’a rassurée en m’affirmant qu’il n’était pas plus au courant que moi de la supercherie. Il avait cependant eu des soupçons – étant lui-même informaticien –, mais ne m’en avait rien dit pour ne pas me blesser.

C’est ainsi que plusieurs éléments de notre relation me sont revenus en mémoire pendant les mois qui ont suivi la rupture. À vrai dire, je doutais de tout. Je me suis interrogée, par exemple, sur les nombreux appels professionnels qu’il recevait le soir. Quand il repartait à la suite de ces coups de fil, était-ce vraiment pour se rendre au bureau? Je ne le saurai jamais… Tout comme je ne saurai jamais s’il a effectivement suivi des cours de génie informatique. Je me demande même maintenant s’il n’y avait pas une autre femme dans le décor. Un jour, j’ai reçu un étrange courriel d’une fille que je ne connaissais pas. Je ne me souviens pas avec précision du contenu du message, car c’était décousu. Elle me parlait de Samuel. Lorsque j’ai demandé à mon chum de qui il s’agissait et comment cette fille avait obtenu mon adresse, il m’a répondu que c’était sa secrétaire. Compte tenu de la situation, je doute maintenant qu’il ait eu sa propre secrétaire à l’époque…Avec le recul, je me dis qu’il y avait peut-être un signe qui aurait pu le trahir: les ulcères à l’estomac dont il se plaignait plus fréquemment au fil des mois. Mentir devait le rendre plus anxieux. Il se gavait d’un nombre toujours croissant de pilules. Au bout de six mois de réflexion, j’ai dû accepter la réalité: Samuel menait deux vies, une réelle, et l’autre, imaginaire, avec moi. De mon côté, j’étais jeune, et c’était mon premier amour. J’étais facilement manipulable. Depuis cet évènement et encore aujourd’hui, je suis plus méfiante. Cette épreuve m’a changée. Elle m’a durcie. Je ne suis plus la petite adolescente naïve que j’étais avant de rencontrer Samuel. Je suis plus forte, j’ai moins peur. Je sais maintenant que je ne me laisserai plus berner.

Après la rupture, je me suis rapidement reprise en main. J’ai mis de côté beaucoup de détails de cette histoire pour aller de l’avant et éviter de me laisser envahir par les idées noires. Ce que j’ai vécu est grave mais, aujourd’hui, je sais que c’est mon ex qui avait un problème et qui est à blâmer. Moi, je suis simplement tombée sur le mauvais gars avec qui vivre ma première histoire d’amour! Après cette expérience malheureuse, je suis demeurée célibataire pendant deux ans. C’est en jouant au hockey que j’ai rencontré l’homme avec qui je file le parfait amour depuis six ans et demi. Dans quelques mois, j’aborderai la trentaine le sourire aux lèvres. Et je parie que cette décennie sera bien plus agréable que la précédente…

PROPOS RECUEILLIS PAR HÉLÈNE MARION