Je me souviens très bien de ma première conversation avec Cyril. C’était il y a quelques années, un soir d’automne.

J’étais alors célibataire. Plusieurs de mes amis me poussaient à aller dans Internet pour trouver l’âme sœur, mais je ne me sentais pas encore disposée à passer à l’acte. Ce fameux soir, j’étais désœuvrée et je me sentais un peu seule. Je me suis installée devant mon ordinateur et j’ai commencé à naviguer sur le Net, à la recherche de sites de rencontre. Quelle surprise! J’ai découvert que des sites destinés à mettre en relation deux (ou plusieurs) personnes, il en existait des tonnes! Des sérieux et des moins sérieux, tantôt coquins, tantôt érotiques ou encore pornographiques, certains étaient payants, d’autres, gratuits.

Après avoir un peu exploré le cyberespace, je me suis inscrite au hasard à un de ces réseaux de rencontre, par curiosité. Au début, c’était très drôle parce que je ne comprenais pas du tout comment ça fonctionnait: je recevais des messages sans savoir d’où ils provenaient ni comment y répondre… J’ai finalement réussi à repérer l’icône de clavardage et à lire quelques messages, pour me rendre compte que plusieurs Français se trouvaient en ligne. C’est là que s’est affiché le premier message de Cyril. Juste un «Comment ça va au Québec?», auquel j’ai répondu: «Bien!» Comme il était 2 h du matin là-bas, je lui ai demandé ce qu’il faisait debout à cette heure tardive. Il m’a répondu qu’il était en train de cuisiner pour recevoir des amis le lendemain, c’est-à-dire le dimanche.

Après quelques échanges à propos de sa recette, la conversation a glissé en douce de la crème fraîche qui finit par se loger sur les hanches aux hanches en question, et des hanches aux caresses sur lesdites hanches. Nous nous sommes très vite retrouvés en eau trouble, et nous y avons nagé avec beaucoup de volupté pendant plusieurs heures.

Le lendemain de notre conversation coquine, je me suis réveillée en pensant à Cyril. Je n’avais qu’une hâte: allumer mon ordi pour rétablir la communication avec lui. Il était visiblement dans le même état que moi puisque nous nous sommes à nouveau jetés dans les bras – virtuels – l’un de l’autre dès que nous avons repris contact, le soir même. Puis tous les soirs, durant les semaines qui ont suivi.

C’est sur une note sensuelle que nous avions discuté la première fois et c’est sur cette même note que nos conversations quotidiennes se sont poursuivies. Nous faisions l’amour par écrit, lors de longs échanges où s’entrecroisaient mots doux, injonctions torrides, caresses poétiques, rêves charnels et attentions délicates. C’est fou ce qu’on peut exprimer… et ressentir au travers de l’écrit! Nous réinventions tous les jours le langage de l’amour.

En fait, nous sommes devenus extrêmement intimes en très peu de temps. Pas parce que nous parlions de sexe, mais parce que nous le faisions en étant vraiment nous-mêmes, sans faux-semblant, sans demi-vérité, sans pudeur aucune.Bien sûr, nous avons petit à petit commencé à parler de nos vies respectives et nous nous sommes envoyé des photos. Nous avions aussi des conversations téléphoniques. C’est d’ailleurs au cours de l’une d’elles que nous nous sommes avoué notre envie de nous voir, réellement. Pour tout dire, à peine le projet de nous rencontrer a-t-il été formulé qu’il est devenu une urgence absolue. Les choses se sont donc mises en place très vite.

Cyril viendrait à Montréal au début de novembre, pour une semaine, avions-nous convenu. Et nous nous rencontrerions dans une chambre d’hôtel… dans le noir. Oui, oui! C’était bien la folle idée qui avait émergé de mon cerveau lors d’une autre conversation téléphonique. Nous ferions ainsi connaissance de façon tactile dans la réalité, puisque c’est comme ça que nous avions commencé dans le monde virtuel. Nous étions terriblement excités par l’idée et, en même temps, effrayés à la perspective d’être déçus. Et si je n’aimais pas son odeur? Et s’il détestait le grain de ma peau? Nous tremblions à la pensée que la chimie ne serait peut-être pas au rendez-vous, mais nous nous rassurions en nous disant que ce ne serait pas si grave si ça se produisait. En cas de non-attirance mutuelle, nous irions boire un café comme des amis, puis Cyril aurait l’occasion de faire du tourisme pendant une semaine dans une ville qu’il ne connaissait pas. Nous avions tout de même derrière nous deux mois d’échanges extraordinaires.

Était-ce complètement fou de donner rendez-vous à un étranger dans une chambre d’hôtel, qui plus est dans le noir? Sans doute un petit peu… mais Cyril n’était pas un étranger à mes yeux. Je lui parlais tous les jours depuis des semaines et j’avais eu accès à son cœur. Et un cœur ne ment pas. Cela dit, j’avais laissé quand même mes coordonnées et les siennes à mon amie la plus proche, la seule à être au courant de notre aventure. Le jour J est finalement arrivé. Comme prévu, Cyril m’a appelée une fois rendu dans la chambre d’hôtel que j’avais réservée à son nom. Je suis allée le retrouver. J’ai frappé à la porte, il l’a entrebâillée sans me voir et est allé s’enfermer dans la salle de bain, le temps de me laisser entrer. Puis nous nous sommes rejoints au milieu de la chambre, dans la pénombre.

Cet instant, nous en rêvions depuis des semaines. Nous n’avions pas cessé de l’imaginer. Nous nous étions dit que nous commencerions par les mains… et c’est ce qui est arrivé. En tremblant, le cœur battant à tout rompre, nos mains se sont touchées. Nos corps se sont rapprochés. Nos effluves se sont mêlés. Seconde après seconde, centimètre à centimètre, nous avons exploré les contours de nos mains, de nos bras, de nos épaules, de nos visages, de nos corps enlacés. C’était aussi tendre, aussi fort, aussi merveilleux que pendant nos échanges virtuels. Puis nous avons allumé la lumière et nous nous sommes dévisagés. Nous nous sommes trouvés beaux, aussi beaux que dans nos rêves. Et la semaine a été idyllique.

Cyril n’a finalement jamais visité Montréal. En revanche, il a exploré la moindre parcelle de mon anatomie. Impossible d’expliquer rationnellement ce qui nous est arrivé. C’était la rencontre fusionnelle de deux âmes sœurs sur le plan affectif et physique. C’était comme si nous nous connaissions depuis toujours. Aucune gêne, aucune maladresse, aucune hésitation ni pudeur entre nous. Nous faisions l’amour, allions au resto et nous promenions de temps à autre. Point à la ligne. Nous étions sur un nuage, complètement dopés à l’amour.

La semaine est passée très vite, comme un rêve. Et nous avons dû nous séparer, comme nous en avions convenu au départ, car Cyril était… marié et père de famille. Son couple battait évidemment de l’aile pour qu’il se retrouve dans une telle situation, et j’avais eu la faiblesse de m’engager dans cette aventure en le sachant. Malgré ça, nous avions, chacun de notre côté, des valeurs familiales fortes et nous avions décidé de ne plus jamais nous revoir après cette fameuse semaine. Nous nous étions préparés mentalement en nous disant que l’aventure s’arrêterait là, mais qu’il s’agissait d’un cadeau inestimable de la vie. Après tout, combien de gens ont la chance de vivre une passion comme celle-là?

La séparation a quand même été douloureuse. De mon côté, je suis très rapidement passée à autre chose, consciente que je n’avais aucun avenir possible avec cet homme. Il a mis plus de temps que moi à reprendre sa vie où il l’avait laissée. Ça fait maintenant quatre ans que c’est arrivé. Nous nous envoyons parfois un courriel, histoire de nous donner des nouvelles. Il n’y a plus grand-chose qui nous lie vraiment aujourd’hui, si ce n’est une immense tendresse et le souvenir de ces merveilleuses journées passées ensemble, enfoui dans nos mémoires et les replis de nos coeurs.

Ç’a été une semaine hors du temps et de la réalité, au cours de laquelle nous nous sommes donné tout l’amour du monde. Quelque chose de magique et d’unique que nous avons eu la chance de vivre, et dont nous sommes très reconnaissants l’un envers l’autre. Merci Cyril. Merci la vie.

PROPOS RECUEILLIS PAR KENZA BENNIS