À  32 ans, Léonie n’est pas prête à s’engager, à moins de rencontrer le Prince charmant (et encore). Pour cette jolie brune, Internet s’apparente à un inépuisable «magasin de bonbons». Il y a toujours un candidat potentiellement plus coloré, plus sucré que les autres. «Parfois, je me rends compte que je suis en train de « tchater » avec cinq gars à la fois. C’est fou! dit-elle, en riant de bon coeur. Si tu es ouverte à la discussion, tu peux rencontrer en ligne des gars vraiment sympas!»

Internet est (après les amis) l’entremetteur par excellence pour faire des rencontres. Il est même plus populaire que les bars ou le milieu de travail auprès des célibataires. Bien sûr, il y a Facebook, qui n’a peut-être pas été conçu pour la drague, mais où les demandes d’amitié peuvent rapidement mener à «plus si affinités»… Mais il y a surtout les sites de rencontres.

Longtemps perçus comme la solution des désespérés, ils attirent maintenant autant matante Jacqueline que des hipsters du Mile End. Au Québec, plus d’un célibataire sur cinq les fréquente. Une étude menée par un chercheur de Chicago, John T. Cacioppo, a même établi que le tiers des mariages célébrés de nos jours aux États-Unis résultent d’une rencontre en ligne.

Dans le monde, les quelque 8000 sites consacrés à la recherche de l’âme soeur représenteraient une business annuelle de deux milliards de dollars. C’est du moins ce qu’affirme Dan Slater dans son essai Love in the Time of Algorithms. Ce journaliste américain soutient que le phénomène des rencontres en ligne est tel qu’il transforme nos manières d’être, de vivre, d’aimer.

À ses yeux, il s’agirait d’un bouleversement équivalent à la révolution sexuelle qui, à partir des années 1960, a considérablement changé nos moeurs. «Jamais par le passé nous n’avons eu la possibilité d’entrer en contact de manière aussi efficace avec autant de partenaires potentiels. Je pense que ça marque un changement important dans notre façon de concevoir les relations.» 

Nul besoin d’être abonné à OkCupid pour le savoir: un nombre impressionnant de candidats intéressants ne sont qu’à quelques clics de souris de nous. Ils n’ont peut-être pas tous l’allure de Johnny Depp ou le QI de Hillary Clinton, mais ils sont des milliers, voire des millions de célibataires auxquels on a un accès sans précédent.

«La montée en puissance des sites de rencontres va se traduire par une baisse de la longévité des couples.»

Dan Slater soutient que cette mer de possibilités pourrait causer des troubles de l’attention chez de nombreuses personnes et influencer la durée de leurs relations. «La montée en puissance des sites de rencontres va se traduire par une baisse de la longévité des couples», prédit-il. Il évoque le spectre des relations Kleenex, jetables à la première turbulence. Des relations pour lesquelles on ne fait aucun effort parce qu’il y a toujours la promesse (virtuelle) de trouver quelqu’un de «plus ceci» ou de «moins cela».

Dans son essai, le journaliste cite quelques spécialistes qui sont de même avis. «Dans l’avenir, on verra de meilleures relations, mais aussi plus de divorces», annonce Dan Winchester, créateur du site de rencontres britannique FreeDating. Gian Gonzaga, directeur principal à la recherche et au développement du célèbre site eHarmony, prévoit également un monde «où les sites de rencontres pousseront les gens à mettre un terme à leur relation dès qu’elle ne fonctionnera plus».

Dan Slater croit d’ailleurs que l’amour est en voie d’être un produit de consommation comme les autres. Après tout, les sites de rencontres permettent de choisir le «produit» avec une rare précision. On peut déterminer l’âge, la taille, le poids, la couleur des cheveux de l’homme ou de la femme qu’on recherche. Et si le «produit» ne nous satisfait pas après le premier ou le dixième rendez-vous, il nous suffit de zieuter de nouveaux profils de célibataires pour trouver un «modèle» plus à notre goût.

Contrairement à Dan Slater, Cynthia Bélanger, directrice de produits à Réseau Contact, ne croit pas que le phénomène des sites de rencontres menace la survie des couples. Par contre, ceux qui les fréquentent peuvent effectivement devenir plus exigeants et indécis, concède-t-elle.

«Plus on a de possibilités, plus ça devient difficile de faire un choix. On a accès à tellement de célibataires qu’on a tendance à toujours vouloir consulter la fiche du suivant.» Elle fait aussi remarquer que les membres de ces réseaux hésitent davantage avant de s’engager lorsqu’ils font la connaissance de quelqu’un qui les intéresse. «Ils se gardent une porte de sortie, au cas où ils trouveraient mieux!»

Pour sa thèse de doctorat en psychologie à l’UQAM, qui porte justement sur les relations amoureuses 2.0, Marika Jauron a interviewé de nombreux utilisateurs de sites de rencontres. Parmi ceux-ci, certains lui ont confié avoir conservé leur profil actif, même une fois qu’ils étaient en couple, comme s’ils voulaient se garder un plan B.

«Ça ne veut pas dire que les relations formées sur Internet sont moins solides, soutient-elle. C’est seulement plus difficile de s’engager lorsqu’il y a toujours la possibilité de tomber sur quelqu’un de mieux.»

Selon la psychologue, les nouvelles technologies auraient de plus l’effet pervers d’attiser la jalousie au sein des couples. «Les gens sont beaucoup plus suspicieux qu’avant», fait-elle remarquer. Dès les premières difficultés relationnelles, ils auront tendance à surveiller le compte Facebook et les textos de leur partenaire.

Il est vrai qu’en cette époque où on garde contact avec nos ex sur les médias sociaux et où n’importe quel ami éloigné peut commenter de manière flatteuse nos selfies, les occasions de flirter en ligne se multiplient. «C’est une tentation qui n’était pas là auparavant et qui peut entraîner certains effets pernicieux.»

Une étude réalisée par des étudiants américains dans le cadre de leur doctorat révèle que les gens qui sont en couple depuis moins de trois ans et qui fréquentent avec assiduité le réseau social de Mark Zuckerberg sont plus à risque de se séparer ou de tromper leur partenaire.

Anik Ferron, une sexologue qui fait son doctorat à l’UQTR sur ce genre de questions, a constaté à sa grande surprise que la cyberinfidélité devient une pratique courante. Plus de 33 % des personnes qui ont répondu à ses questions ont avoué avoir déjà fait preuve d’infidélité émotionnelle par l’intermédiaire d’Internet (lire: flirter en ligne dans le dos de leur partenaire), et 17,3 % ont reconnu avoir eu sur la Toile des échanges à caractère sexuel avec un partenaire autre que leur conjoint.

«C’est énorme!» s’exclame-t-elle. Cela dit, la sexologue ne pense pas qu’Internet doive être cloué au pilori pour autant. «Les gens ne sont pas infidèles parce qu’ils utilisent Facebook. L’infidélité existe depuis toujours… Mais c’est vrai que les médias sociaux sont des outils facilitants.»

«Internet facilite l’infidélité, mais il ne crée pas les infidèles!»

Noel Biderman, fondateur d’AshleyMadison.com, un site spécialisé dans les relations adultères, est de son avis. Bien que ce site fasse miroiter des aventures extraconjugales aux gens en couple, il ne croit pas que ça suscite de nouveaux comportements. «Internet facilite l’infidélité, mais il ne crée pas les infidèles!»

LA RÉALITÉ OU LE VIRTUEL?

Est-ce que les sites de rencontres risquent réellement de provoquer une vague de divorces et d’affecter le désir que nous avons de nous engager?

Pour l’instant, malgré ce qu’en disent certains experts, rien ne nous permet de le certifier. Le taux de divorce est stable depuis plusieurs années aux États-Unis et au Canada. Mieux: l’étude américaine qui a rapporté que le tiers des mariages américains résultaient d’une rencontre en ligne a aussi révélé que les couples issus d’Internet étaient aussi (et même plus) stables que ceux qui se sont formés dans la «vraie vie».

Quant à la durée des relations, elle a commencé à décliner bien avant l’apparition de Match.com en 1995, comme le fait remarquer Elizabeth Abbott, auteure d’Histoire universelle de la chasteté et du célibat et d’Une histoire du mariage. Cette historienne rappelle que c’est plutôt à la fin du 19e siècle que notre conception de l’engagement a commencé à changer, lorsqu’il est devenu acceptable de mettre fin à un mariage malheureux.

«Aujourd’hui, que nous rencontrions quelqu’un par un heureux hasard ou grâce à l’algorithme d’un site de rencontres, nous nous engageons en sachant que l’infidélité ou la séparation sont des éventualités. Et ça n’a rien à voir avec la manière dont nous avons rencontré notre partenaire.»

L’historienne doute qu’Internet puisse représenter une réelle menace pour les couples. «Il est possible de s’imaginer plein de choses avec Internet… Mais quand on lève les yeux de l’écran, qu’on regarde autour de soi et qu’on voit son conjoint ou son enfant, je pense qu’on réalise vite que la réalité est plus forte que les fantasmes virtuels.» Et si on n’est pas en couple, les sites de rencontres peuvent toujours nous aider à trouver la personne avec qui on aura vraiment envie de s’engager. Même s’ils n’ont rien d’une baguette magique…

LE FAN-CLUB DE MON CHUM

Patricia a tendance à être jalouse et un brin possessive avec son homme. Et Facebook lui donne parfois raison de l’être… «Des filles écrivent constamment sur le mur de mon chum. Il est en contact avec beaucoup de monde à cause de son travail, mais ce n’est pas une rock-star! J’ai du mal à ne pas aller voir les photos des filles qui le complimentent… Je me demande qui elles sont et ce qu’elles veulent.»

LA FICHE GAGNANTE

Lorie, 24 ans, ne s’imaginait pas trouver l’homme de ses rêves sur un site de rencontres. «Je m’y suis inscrite pour dynamiser ma vie sociale et parce que je n’avais pas fait la connaissance de mecs intéressants depuis longtemps.» Quelques mois plus tard, elle tombait sur un gars dont elle est aujourd’hui complètement gaga. Emballée par son expérience des sites de rencontres? Pas pour autant. «Ç’a vite été répétitif, ennuyant, et même déprimant. Ce n’était pas le bol d’air frais que j’avais imaginé! Il n’y a que la dernière rencontre qui a été fabuleuse! Et dès que j’ai pu, je me suis désinscrite.»

DE DONJUAN À ROMÉO

À une époque, Nicolas était inscrit à plusieurs sites de rencontres et multipliait les dates comme un boulimique. «J’allais à deux ou trois rendez-vous différents par semaine. J’ai vu de tout: du pire et du meilleur pendant des mois!» Somme toute, ce célibataire de 34 ans a fini par trouver «ze one». Ils se sont mariés l’an dernier, après s’être fréquentés pendant un peu plus d’un an.

DÉCEPTIONS EN SÉRIE

Après des mois à arpenter les sites de rencontres, Sylvie était plutôt découragée. Cette charmante professionnelle dans la quarantaine en avait marre d’être contactée par des quasi-vieillards ou des jeunots. «La plupart ne cherchent rien de sérieux… Et puis, souvent, les conversations s’arrêtent sans explication. Les gens se permettent n’importe quoi sur les sites de rencontres! Je m’en suis lassée très vite.»

UN TERRAIN DE CHASSE

Pierre n’a jamais eu de difficulté à créer des liens avec des filles. Cultivé, sociable, aimable, il a tous les traits du gars que vous voulez présenter à vos parents. Sauf que c’est la dernière chose dont il a envie. Pierre passe sa vie à fréquenter de nouvelles filles, et les sites de rencontres ne sont pour lui qu’une carte supplémentaire dans son jeu. «Je ne m’en sers qu’occasionnellement. Je n’aime pas lire les fiches parce qu’elles finissent par toutes se ressembler: “J’aime les voyages, les bons restos”… J’en viens à ne regarder que les photos pour voir qui est cute

LA TENTATION

Francis fréquentait une fille depuis plusieurs mois déjà quand une lointaine connaissance l’a contacté par Facebook. «Je l’avais rencontrée par hasard à une fête pendant un voyage à l’étranger. On s’est mis à “tchater”, à rigoler, puis elle m’a annoncé qu’elle serait à Montréal prochainement. On s’est vus, et il est arrivé ce qui est arrivé… J’ai trompé ma blonde. Je ne vais pas jeter le blâme sur Facebook, mais c’est vrai que si je n’y avais pas été inscrit, je n’aurais sans doute jamais revu cette fille.»

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