«On était bien préparés, mais ça a été plus traumatisant que prévu», lance d’emblée Louise Bourgeois une jeune quadragénaire. Il y a deux ans, elle et ses filles de 12 et 13 ans ont aménagé avec Marc et ses fils de 14 et 17 ans. Le choc!
«Du jour au lendemain, c’était 18 brassées de lavage et 600$ d’épicerie par semaine, et des repas de fête tous les soirs. Ce n’est pas deux fois trois. C’est une nouvelle entité. Une dynamique différente où on s’encourage, on passe plus de temps à table, on mange plus…» Louise s’est rapidement trouvée submergée entre son emploi de cadre chez Desjardins et ses quatre ados.
Heureusement que les enfants ne sont présents qu’une semaine sur deux. Le couple peut ainsi se retrouver et rattraper le retard accumulé au travail. «Je ne pense pas qu’on aurait survécu à l’adaptation si on n’avait pas eu la garde partagée», raconte Louise, qui admet avoir réfléchi avec Marc à l’avenir de leur relation. «Il fut un temps où je n’avais pas ma place», ajoute-t-elle en faisant référence à l’animosité qui flottait autour de la table au début. Une thérapie personnelle l’a aidée à la trouver.
«Il y a beaucoup de pensée magique dans les familles recomposées. Les gens se disent: « On s’aime tellement, ça va aller tout seul. » « Je l’aime, je vais aimer ses enfants. » Mais ce n’est pas aussi facile. Il y a toujours du travail à faire», souligne Marie-Christine Saint-Jacques, directrice scientifique au Centre de recherche sur l’adaptation des jeunes et des familles à risque (JEFAR).
Le couple doit être plus fort, plus complice et plus déterminé que dans une famille normale, croit de son côté la psychologue clinicienne Francine Fortier, auteure de Vivre avec les enfants de l’autre.
Se donner du temps
S’engager dans une famille recomposée demande du temps. Du temps pour se connaître comme couple et établir des liens avec les enfants, insiste Mme Saint-Jacques.
Jessica Rouzier, une entrepreneure au début de la quarantaine, a fréquenté son amoureux pendant quatre ans avant d’emménager avec lui, l’an dernier. Pendant cette période, ils ont multiplié les sorties avec leurs enfants respectifs: soupers, randonnées, week-ends de camping, etc.
Ces activités ont permis à Jessica de tisser des liens avec les trois filles de Daniel, qui ont aujourd’hui 19, 21 et 22 ans. Le rapprochement a été plus difficile entre son partenaire et ses deux garçons de 12 et 13 ans. «Au début, j’étais si stressée, je voulais tellement que tout se passe bien que je n’arrivais pas à me détendre. Au point où Daniel et moi ne nous comprenions plus. J’ai dû apprendre à les laisser établir leur relation… On ne doit pas chercher à surprotéger les enfants et le chum. Il faut arrêter de vouloir tout contrôler.»
Même chose à la maison. Louise, qui s’était mis en tête de faire son pain, a appris à lâcher prise. Aujourd’hui, Marc s’occupe de la lessive, et il y a une journée pizza par semaine. «La belle-mère peut s’investir beaucoup, mais les enfants, que ce soit les siens ou ceux de son conjoint, ne sont pas hyper reconnaissants. En connaissez vous beaucoup qui vont dire « merci d’avoir fait le souper » ou « d’avoir lavé mon linge »? Pour eux, c’est normal. Il ne faut pas se donner corps et âme», prévient Marie-Christine Saint-Jacques.
Chacun ses enfants
Avant de cohabiter, on peut aussi s’entendre sur les valeurs et les règles à faire respecter. Sur ce point, psychologue, chercheuse et belle-mère s’entendent pour dire qu’il revient au parent d’intervenir auprès de ses enfants quand il est question de valeurs et de discipline. Au moins dans les premiers temps.
Louise sent qu’après deux ans, ce n’est pas encore le moment pour elle de dicter les règles de fond aux garçons de Marc. «La condition gagnante, c’est quand le père passe le message à ses enfants. Au lieu d’envenimer la situation et de créer des chicanes avec eux, on garde la tension dans le couple et on en parle à l’extérieur de la maison.»
Si la belle-mère ne doit pas chercher à remplacer la mère, elle peut tout de même jouer un rôle dans l’éducation des enfants. «Ce n’est pas parce qu’on n’est pas la mère qu’on n’a pas à se faire respecter, prévient Mme Saint-Jacques. On a le droit de demander des choses aux enfants, que ce soit de ranger leur chambre ou de participer aux corvées. Mais pour que ça fonctionne, il faut l’appui du père.»
Ne pas oublier le couple
Les tensions et les irritations quotidiennes ne doivent pas faire oublier que la famille existe à cause du couple. «Au départ, c’est par amour qu’on s’est lancés dans l’aventure. Les parents peuvent avoir tendance à l’oublier devant les demandes des enfants. Il faut qu’ils se réservent des moments pour se retrouver dans un contexte où ils ont du plaisir», insiste Marie-Christine Saint-Jacques.
Louise et Marc ont pris l’habitude de prendre un verre, après le départ des enfants, dans un bar qu’ils aiment pour revenir sur ce qui a été difficile et ce qui a été agréable durant la semaine. «Ça permet de se rapprocher», explique Louise.
«Dans tous les couples, avec ou sans enfants, il y a des déceptions lors de la cohabitation. Il faut s’ajuster à la vie commune», rappelle Marie-Christine Saint-Jacques, qui suggère de se donner au moins deux ans pour s’acclimater à la nouvelle famille.
Cinq règles pour réussir :
Prendre le temps
Trouver sa place de belle-mère
Être soutenue par son partenaire
Comprendre les sentiments en jeu
Définir les rôles et les règles
Suggestions de lecture
FORTIER, Francine. Vivre avec les enfants de l’autre, Bayard Canada, 2010, 176 pages.
ANTIER, Edwige. L’enfant de l’autre – Les clés d’une nouvelle vie de famille réussie, J’ai Lu, 2002, 190 pages.