Jamais Alice n’aurait pu imaginer «qu’un truc comme ça» puisse lui arriver! «Je n’avais jamais regardé une femme de ma vie», jure cette jolie brune de 35 ans, encore étonnée de la tournure des évènements. Et pourtant, cette maman de deux fillettes, qui a été mariée pendant 10 ans, vit maintenant en couple avec une femme…

Quand Alice a décidé de se séparer de son mari il y a un an, elle ne pensait qu’à une seule personne: Rose, sa locataire, qui lui louait un appartement depuis quelques mois. Avec elle, le courant passait merveilleusement, même si Rose était tout son contraire: oiseau de nuit, D.J. dans les soirées électros et lesbienne.

Après sa rupture, Alice est allée se réfugier chez sa nouvelle amie, qui l’a écoutée, réconfortée, consolée. Huit mois plus tard, elle emménageait officiellement chez Rose. «J’ai trouvé en elle tout ce qui me manquait dans ma relation avec mon mari, et je ne pourrais pas être plus heureuse qu’en ce moment. Mais ne me dites pas que je suis lesbienne! Je suis juste tombée amoureuse. Ça aurait pu être d’un homme, mais il se trouve que c’est d’une femme…»

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Les stars s’affichent

Il y a 10 ans, Madonna avait frappé un grand coup en embrassant à pleine bouche Britney Spears devant les caméras. À l’époque, ce baiser exhalant un fort parfum de scandale avait fait le tour du monde. Aujourd’hui, il est presque devenu banal de voir Miley Cyrus échanger un peu de salive avec Katy Perry. Et c’est sans compter les nombreuses personnalités qui affichent publiquement leur bisexualité.

En 2008, Cynthia Nixon (Sex and the City) révélait qu’elle vivait avec une femme, alors qu’elle avait été mariée durant 15 ans avec le père de ses deux enfants. Puis, ç’a été au tour d’Anna Paquin de déclarer qu’elle était attirée par les filles, elle qui venait pourtant de se fiancer à Stephen Moyer, sa covedette dans True Blood. En 2012, il y a aussi eu le rappeur américain Frank Ocean qui a confessé être déjà tombé amoureux d’un gars. Et le plongeur britannique Tom Daley a admis sa bisexualité l’an dernier. Plus récemment, on a aperçu bras dessus, bras dessous, la top Cara Delevingne et Michelle Rodriguez (Fast and Furious) – toutes deux connues pour leurs goûts très diversifiés en amour.

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Quant à Maria Bello (Prisoners), c’est en pleine page du New York Times qu’elle a annoncé, en novembre dernier, sa relation avec sa meilleure amie. L’actrice, qui a été mariée des années avec un homme, y expliquait que ses sentiments «avaient toujours été fluides».

Cette «fluidité sexuelle», comme la nomment les experts, semble toucher de plus en plus de gens, surtout chez la jeune génération. Ces personnes refusent de se définir par l’étiquette «hétéro» ou «homo». Lorsqu’elles tombent amoureuses, c’est d’une personne et non d’un sexe. À les écouter, on a l’impression que notre orientation sexuelle n’est pas coulée dans le béton. Qu’elle peut évoluer, fluctuer, se transformer au cours d’une vie en fonction des rencontres, des élans et des émois… Est-ce à dire que nous pourrions tous ressentir du désir indifféremment pour un homme et une femme? Aurions-nous tous une sexualité potentiellement fluide?

Et si nous étions tous bisexuels?

Selon une étude réalisée en 2013 par trois chercheurs universitaires, 41% des Canadiennes qui se disent «hétéros» ont déjà éprouvé du désir pour une personne du même sexe. Chez les hommes, le pourcentage est de 19%… Martin Blais, un des auteurs de l’étude, précise toutefois que ces derniers ont plus de mal à faire ce genre d’aveu. «Les pressions sociales sont plus fortes pour eux», explique ce professeur de sexologie à l’UQAM.

«Mes récentes recherches prouvent que les hommes ont des comportements beaucoup plus fluides qu’on pourrait l’imaginer», croit pour sa part Lisa M. Diamond, auteure de l’essai Sexual Fluidity, qui porte sur la sexualité des femmes. «La fluidité sexuelle est en fait très commune. Bien plus commune que l’attirance exclusive pour un seul sexe», poursuit cette chercheuse en psychologie à l’université de l’Utah.

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L’idée que notre orientation sexuelle puisse fluctuer ne date pas d’hier. Déjà en 1905, dans Trois essais sur la théorie sexuelle, Freud avançait qu’on naissait tous bisexuels et que la vie, dans la majorité des cas, se chargeait de nous faire choisir des partenaires de l’un ou de l’autre sexe.

Dans les années 1950, Alfred Charles Kinsey, le père de la sexologie moderne, a analysé la vie sexuelle des Américains et constaté qu’elle était loin d’être polarisée. Sur l’échelle qu’il avait alors établie, seule une minorité de personnes se situait au pôle 0, correspondant à «exclusivement hétérosexuel», ou encore au pôle 6, équivalant à «exclusivement homosexuel ». La majorité de la population se situait plutôt entre ces deux extrémités. À l’époque, ce constat lui avait valu les foudres de ses pairs, qui avaient contesté sa méthode et ses résultats. La pilule était probablement trop dure à avaler pour une société qui considérait encore l’homosexualité comme une déviance…

Autres temps, autres moeurs

Selon le sociologue québécois Michel Dorais, nous ne sommes pas plus fluides sexuellement qu’au temps de Kinsey. «Ce qui a changé radicalement, c’est la façon dont nous assumons et expérimentons notre sexualité», explique l’auteur du livre De la honte à la fierté, qui porte sur la diversité sexuelle au Québec. Auparavant, c’étaient les jugements moraux qui dictaient la manière de vivre notre intimité, tandis qu’aujourd’hui tout est permis. De ce fait, la jeune génération, élevée selon des moeurs plus permissives, a un rapport bien différent au sexe. Elle ose tout. Elle veut explorer, tester et elle ne veut surtout pas avoir d’entraves à ses désirs.

«La banalisation de la porno a fait sauter des tabous. Les jeunes expérimentent, ils multiplient leurs pratiques, leurs partenaires, et ils repoussent les frontières», dit la psychologue Françoise Susset. Elle fait remarquer cependant que cette propension à vouloir tout tenter a aussi des effets pervers: «Les relations lesbiennes sont tellement systématiques dans les films pornos que certaines filles adoptent un comportement bisexuel non par choix mais pour attirer les garçons.»

Bien entendu, les luttes qu’ont menées les gais et les lesbiennes pour faire valoir leurs droits ont également contribué à l’émergence de ces comportements fluides. «Avant, un homo devait revendiquer son appartenance à la communauté gaie et assumer ses combats. La nouvelle génération, qui tient ces droits pour acquis, se sent moins investie dans la cause», observe Martin Blais. Le sexologue remarque d’ailleurs que le Village gai de Montréal a tendance à se dépeupler et que les jeunes préfèrent maintenant se retrouver dans les bars du Mile End qui réunissent sans distinction gais, hétéros et bis, comme le Royal Phoenix.

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Lloyd Ashley Whitesell, professeur à l’Institut Genre, sexualité et féminisme (IGSF), de l’Université McGill, est aussi d’avis que les frontières entre homosexuels et hétérosexuels sont beaucoup plus floues que par le passé. «Beaucoup de personnes refusent d’appartenir à un groupe précis pour ne pas être exclues des autres.» Prenez Jessica, 17 ans. Avec ses cheveux courts teints en bleu, ses pantalons baggy et sa casquette vissée sur la tête, elle a plutôt l’air d’un garçon. «Mais si vous me croisez dans la rue la semaine prochaine, vous ne me reconnaîtrez probablement pas, dit-elle. J’aurai peut-être des rallonges et une robe ultra-féminine. Mon apparence varie en fonction de mon humeur. Quant à mes relations, c’est pareil. En ce moment, je sors avec une fille. Mais il y a un gars dans ma classe que je trouve attirant. Je ne m’interdis rien. Peu importe ce que je représente ou comment ça s’appelle. Je suis beaucoup plus qu’une étiquette!»

Frédérique, journaliste, 41 ans

«Alex et moi, on est tombés amoureux de manière fulgurante à l’âge de 18 ans. On ne correspondait pas aux modèles classiques: lui était plutôt efféminé, et moi, pas vraiment féminine. Mais, tous les deux, on faisait la paire. Et au lit, ça marchait fort aussi! À 25 ans, je me suis mise à fantasmer sur les longues jambes et la petite jupe blanche de ma prof de tennis. Je n’avais pourtant jamais été tentée par les femmes auparavant… Peu après, j’ai décidé de quitter Alex. J’ai réalisé que j’avais commencé à vivre en couple beaucoup trop jeune. Par la suite, j’ai eu des expériences avec des femmes et des hommes. Depuis un an, je suis avec ma blonde, et j’aimerais rester à ses côtés toute ma vie. Mon ex a lui aussi expérimenté des relations avec des hommes. Certains nous disent: « C’était évident que vous alliez finir homos chacun de votre côté. » C’est faux, il n’y avait rien d’évident. Tous les deux, on s’est aimés pendant des années, et on n’a jamais fait semblant.»

Louise, directrice d’une agence de recrutement, 32 ans

«C’était à un party du Nouvel An, et j’étais complètement soule lorsque j’ai embrassé Erika pour la première fois. Je me suis dit: « Wow, c’est wild! » J’avais 28 ans, je n’avais jamais été attirée par une femme et je trouvais que c’était une expérience le fun à tenter, sans plus. Nous nous sommes revues et, petit à petit, j’ai commencé à avoir des papillons dans le ventre. Je me suis alors posé des tas de questions: « Et si j’avais toujours été lesbienne? Est-ce qu’il s’agissait seulement d’une passade? Avais-je vraiment envie de vivre une relation avec une femme? » En fait, j’attendais une révélation sur ma sexualité… qui n’est jamais venue. Erika et moi, on a vécu une belle histoire qui a duré deux ans. Aujourd’hui, je n’y vois toujours pas plus clair, mais j’ai arrêté de me poser des questions. Dans la rue, j’ai un vrai radar pour détecter les gars qui me plaisent et je ne remarque même pas les filles. Mais quand je ressens une attirance, que ce soit pour un homme ou pour une femme, je fonce!»

Éric, comédien, 36 ans

«Quand je tombe amoureux, mon désir pour l’autre est si grand et me dépasse tellement que j’accorde peu d’importance au sexe de cette personne. Ça intrigue beaucoup de gens, d’ailleurs. Les gais disent que je suis comme eux, mais que je ne m’assume pas. Les hétéros me disent le contraire. Du coup, j’adapte mon discours en fonction de la personne à qui je parle pour ne pas avoir à me justifier sans arrêt. Sexuellement, l’acte est aussi intense avec une femme qu’avec un homme, même si les satisfactions que j’y trouve ne sont pas les mêmes.»

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