Quand on a rencontré notre Chéri, on était aussi émoustillée en sa présence qu’une fille au régime devant un comptoir de macarons. Les papillons, les atomes crochus, les conversations passionnantes où on découvrait tous nos points communs, du genre «Moi aussiiiii, j’adoooore l’humour british!» L’amour, quoi!

Mais après quelques années de vie commune, la déception a remplacé les papillons. «Est-ce vraiment l’homme qu’il me faut?» chuchote perfidement notre petite voix intérieure. On rêvait d’une union romantique et épanouissante auprès d’une âme soeur avec qui on serait profondément heureuse pour la vie. Mais au quotidien, pour être honnête, l’humour british nous fait moins rire, et on s’ennuie ferme par moments. «Où est mon Prince Charmant?» répète avec insistance notre petite voix intérieure.

Mauvaise nouvelle: il n’existe pas. Pire encore: à force de courir après lui, on risque de perdre l’homme en chair et en os qui est à nos côtés.

Un mythe tenace

«Le hic, c’est que le mythe du Prince Charmant est répandu dans notre culture», croit Lori Gottlieb, auteure du best-seller Épousez-le! Selon elle, ce fantasme a toujours existé, comme en témoigne l’histoire de la littérature. «Autrefois, cependant, la distinction entre la fiction et la réalité était très nette. Les lecteurs de Jane Austen au 19e siècle, par exemple, savaient que ses romans n’étaient que pure fiction romantique. De nos jours, la frontière entre le mythe et la réalité apparaît plus floue. On ne tolère plus ce qui n’est pas extraordinaire », ajoute la psychologue.

Il faut dire que notre société nous y pousse fortement: bercées de comédies hollywoodiennes depuis notre enfance, la plupart d’entre nous confondent cinéma et vie réelle…

Nous vivons également dans un monde où les choix à notre portée n’ont jamais été aussi nombreux. Qu’il s’agisse d’acheter un jean ou de négocier un forfait pour un cellulaire, la surabondance de choix a de quoi nous donner le tournis. Et c’est la même chose côté amour: alors que nos grands-mères demeuraient avec le même homme toute leur vie, nous avons la possibilité de changer d’amoureux dès que l’envie nous en prend!

Pas étonnant, dans ces conditions, que beaucoup de femmes soient déçues lorsque leur vie de couple n’est pas aussi satisfaisante qu’elles le rêvaient. Elles rompent et passent au partenaire suivant, mais l’insatisfaction revient! Et les vedettes populaires en rajoutent. Jennifer Lopez, 43 ans et récemment divorcée pour la troisième fois, déclarait par exemple il y a quelques mois en entrevue au réseau ABC: «Mon plus grand rêve est celui de vivre un conte de fées. Je veux me marier à nouveau, car je ne laisserai jamais tomber ce rêve.»

 

 Un prince pour me compléter

La culture populaire nous répète donc inlassablement la même histoire. Celle où l’héroïne tombe enfin sur le «bon» gars, l’âme soeur. Sylvain Seaborn, psychothérapeute, y voit un relent de nos rêves de petites filles. «Le fantasme du Prince Charmant persiste parce que ça rejoint le rêve infantile, toujours présent chez plusieurs femmes, de rencontrer quelqu’un qui va enfin les compléter, quelqu’un qui va réparer leurs faiblesses et leurs failles mais qui va aussi leur renvoyer une image idéalisée d’elles-mêmes. C’est une attitude très narcissique, car ça implique que leur valeur est si grande qu’elles ne peuvent être satisfaites qu’avec un partenaire idéal ou que dans une relation idéale.»

Sylvain Seaborn, qui reçoit des couples dans son bureau toutes les semaines, précise que les femmes ne sont pas seules à rêver du conte de fées. «Beaucoup d’hommes aspirent aussi à trouver la « princesse charmante », et espèrent que leur partenaire les adulera et les considérera fantastiques en toutes circonstances», poursuit-il.

Ce narcissisme, on l’observe dans les attentes – de plus en plus grandes – à l’égard du couple. Comme l’explique le sociologue Paul Amato dans son essai Alone Together: How Marriage in America Is Changing, le couple a connu des bouleversements majeurs depuis les années 1970. «Autrefois, on considérait que le travail en équipe et la coopération étaient les clés d’un mariage heureux. Aujourd’hui, on recherche une satisfaction personnelle à travers la relation. Il ne suffit plus pour les femmes de trouver un homme bon avec qui elles pourront bâtir une famille, elles doivent trouver un homme avec qui elles pourront vivre l’amour et s’épanouir complètement», écrit-il.

C’est justement cet épanouissement personnel que Rim cherchait quand elle a rencontré son amoureux il y a cinq ans. «Naïvement, ou plutôt égoïstement, je rêvais d’un chum avec lequel j’allais partager mes passions: le yoga, la randonnée, la danse. Petit détail, toutefois: mon chum avait ses propres centres d’intérêt, et il n’avait pas l’intention de les troquer contre les miens. Au début, ç’a été une sacrée déception! Il avait pété ma balloune, je lui en voulais à mort et j’étais pas mal frustrée. Finalement, je me suis rendu compte qu’il y a bien des loisirs que je peux pratiquer sans lui et y trouver du plaisir. Sans compter qu’on partage bien d’autres choses – des valeurs importantes, une grande tendresse, un intérêt pour la cuisine, de l’humour au quotidien, une vie de famille agréable – qui m’apportent énormément.»

Karen, 43 ans, en couple depuis 21 ans et maman de sept (oui, sept!) enfants, a aussi des choses à dire sur ce sujet. «La personne avec qui on entretient une relation est un miroir, et l’image qu’elle nous renvoie n’est pas toujours agréable. Ça peut être tentant de tout plaquer et d’aller voir ailleurs. À force de porter son attention sur les défauts de notre conjoint, on crée une dynamique encore plus négative, car on ne voit que les mauvais côtés de la relation. Pour qu’un couple dure, il doit y avoir une acceptation de l’autre, mais aussi de soi et de ses propres imperfections.»

Une occasion d’apprentissage

Se pourrait-il aussi qu’au rayon des compétences amoureuses nous soyons un peu cancres? Dans un monde de plus en plus individualiste, on ne nous apprend pas à vivre en couple à long terme, constate André Surprenant. Selon le psychologue, «Notre modèle social est un peu boiteux: beaucoup d’enfants grandissent avec des parents séparés, ou encore avec des parents dont l’union est malheureuse.» Résultat? «Ils ont peu d’occasions d’apprendre les qualités essentielles à une vie de couple satisfaisante, dit-il, comme penser à l’autre, poser des questions pour faciliter la communication, s’entraider et trouver des solutions et des compromis en cas de désaccord.»

Et après, on se demande pourquoi beaucoup d’entre nous échouent à passer par-dessus les embûches de la vie à deux! Lorsqu’un partenaire nous déçoit, on se persuade que «ce n’est pas le bon» et on s’imagine qu’on pourra s’épanouir davantage avec quelqu’un d’autre. Une erreur, selon Sylvain Seaborn. «Je dis souvent à mes clients que s’ils sont déçus de leur partenaire ou de leur relation, ils sont sur le bon chemin. Parce que c’est là qu’ils commencent à être en relation avec la personne réelle, et non avec le partenaire fantasmé.»

En d’autres termes, si l’autre n’a pas les mêmes champs d’intérêt, les mêmes goûts, les mêmes besoins que moi, estil encore aimable? Bien sûr! «Sans quoi, on ne cherche qu’un miroir», affirme le psychothérapeute, comparant l’aventure du couple à un voyage. «Si quelqu’un fantasme sur l’Asie depuis des années et s’il est déçu par la réalité lorsqu’il finit par y aller, il passe à côté de la vraie découverte.»

Eva, 36 ans et en couple depuis 10 ans, est bien d’accord. «J’ai mis du temps à accepter que mon chum était le bon gars pour moi, car il ne correspondait vraiment pas à mon idéal masculin. Il tripait sur Metallica et collectionnait des figurines du Seigneur des anneaux… Ça ne m’excitait pas vraiment! Mais en mettant de côté mes aprioris, j’ai découvert qu’il avait des qualités essentielles à mon bonheur: il est drôle, positif et il prend soin de ceux qu’il aime.»

Son chum, Jean-Frédéric, 42 ans, abonde dans ce sens. «Ma blonde n’est pas tout ce que je voudrais qu’elle soit et je ne corresponds pas à tout ce qu’elle voudrait que je sois, mais ce sont justement nos différences qui font que c’est intéressant. Quand je pense à nos années de vie commune et aux enfants que nous avons eus ensemble, je m’aperçois que ce qui nous unit concrètement forme un tout qui est plus grand que la somme de nos personnalités.»

Renoncement ou acceptation?

Ainsi, pour vivre à deux sans être constamment déçue, il faudrait faire le deuil de «ce qui devrait être» et accueillir «ce qui est». Parfois, ce chemin passe par une prise de conscience, comme en témoigne Rim. «J’ai arrêté de vouloir sans cesse « améliorer » mon conjoint le jour où j’ai réalisé que je n’étais pas aussi exigeante à mon égard. C’est vrai! Mes réalisations personnelles n’ont rien d’extraordinaire et j’en suis pourtant satisfaite. Pourquoi attendre de mon conjoint et de ma relation qu’ils soient exceptionnels, alors?»

Réviser ses attentes au quotidien est aussi une bonne chose. La vie à deux est beaucoup plus complexe que «ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants», pense Karen. «Certaines semaines, tout va bien et je me sens très proche de mon mari. À d’autres moments, on est chacun pris dans nos univers respectifs et on se sent engloutis par le tourbillon de l’existence, surtout avec les enfants qui nous demandent beaucoup d’attention. La passion, l’amour et le bonheur reviennent toujours, mais ce ne sont pas des états immuables.»

C’est justement dans ces phases creuses qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, conseillent les spécialistes. André Surprenant insiste d’ailleurs sur l’importance d’avoir une vie sociale et de faire régulièrement des activités agréables avec d’autres couples. «Lorsqu’on est bien entourée socialement, c’est plus facile de traverser les moments plus difficiles. Dans les instants de doute ou de remise en question, notre entourage peut nous rappeler les bons côtés de la relation et nous aider à prendre du recul», explique-t-il.

Peut-être qu’on pourrait aussi accepter que la vie à deux est un chemin, et non une destination. «On rêve du couple des contes de fées parce qu’on cherche un lieu idéal où les choses ne changent pas, où on ne doute plus. On se dit là, je devrais être bien. Mais la vie de couple n’est pas comme ça. La relation évolue constamment. On traverse des deuils, on désire d’autres personnes, on est confronté à ses propres limites. Rester avec quelqu’un demande des efforts et beaucoup d’adaptation créative», croit Sylvain Seaborn.

Sages paroles, en effet. Mais que faire concrètement quand l’envie de remplacer Chéri par Chéri 2.0 nous démange ou qu’on a l’impression que la relation ne nous apporte pas tout ce qu’on voudrait? Pour Sylvain Seaborn, le meilleur antidote à l’amertume amoureuse est d’arrêter de nous concentrer sur nos attentes déçues et de privilégier notre propre engagement. Par exemple, se demander ce qu’on est prête à faire ou à accepter pour être mieux dans la relation au lieu d’attendre que l’autre nous donne ce qu’on désire. «L’amour, ce n’est pas ce que tu veux, c’est ce que tu donnes», conclu-t-il. À méditer la prochaine fois que notre prince nous offrira un énième roman plate pour notre fête…

Admirer, pas s’extasier!

Selon plusieurs auteurs de psycho pop, l’admiration est un ingrédient essentiel à l’amour. N’est-ce pas contradictoire avec le fait d’accepter son homme tel qu’il est? Pas vraiment, explique la psychologue Rose-Marie-Charest, auteure de La dynamique amoureuse.

L’admiration est-elle indispensable au sein du couple? Oui, mais il ne s’agit pas de l’admiration ressentie au tout début de la relation, quand on est émerveillée parce qu’on découvre une nouvelle personne. Lorsqu’on vit avec quelqu’un depuis cinq ans, on n’est pas émerveillée tous les matins! Je parlerais plutôt d’appréciation que d’admiration. Il est important de se rappeler pourquoi on aime son conjoint: à quel point on apprécie sa patience avec les enfants, par exemple, la qualité des relations qu’il entretient avec ses parents ou sa capacité à surmonter les difficultés, etc. Voir toutes ces qualités humaines et les apprécier, c’est le ciment du couple.

Comment faire le deuil du Prince Charmant sans cesser d’admirer son chum? Il faut déterminer ce qui est fondamental pour nous et se demander s’il possède les qualités qui sont essentielles à nos yeux; et ça ne signifie pas que ces qualités nous transportent quotidiennement…

Admirer, ce n’est pas être en extase tous les jours. Si on a besoin en permanence de nous pâmer devant l’autre, on a un besoin irréaliste qu’aucun chum ne pourra combler. D’ailleurs, quand on a soif d’émotions fortes, on va souvent d’une relation à l’autre parce qu’on est soit dans la douleur de la rupture – qui est une émotion forte – , soit dans l’émerveillement du début de la relation. C’est le contraire de l’engagement à long terme: là, on a fait le deuil de l’intensité constante.

Outre le conjoint, il faut aussi porter notre regard sur la relation qu’on a créée, et qui mérite notre admiration car on a surmonté tel ou tel problème. C’est primordial, car la capacité du couple à résoudre les difficultés est un indicateur de sa durée.

Traditionnellement, les femmes admiraient des hommes ayant un statut social supérieur au leur. Aujourd’hui, plusieurs d’entre elles ont plus de diplômes, gagnent des salaires plus importants que ceux des gars, et disent éprouver des difficultés à trouver un chum… Il y a des femmes qui se sentent mal à l’aise à l’idée d’avoir une relation avec un homme dont le niveau socioéconomique est inférieur au leur, comme il y a des hommes incapables de fréquenter des femmes aux revenus financiers supérieurs aux leurs. C’est normal, on ne change pas des valeurs ancestrales en l’espace d’une ou deux générations. Cela dit, les raisons pour lesquelles on admirait un homme sont en train de changer. Aujourd’hui, les jeunes femmes accordent de l’importance aux valeurs familiales, à la capacité de gérer le stress et de se maintenir en forme, au souci de l’environnement… Quelle belle évolution!

KENZA BENNIS

 

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