L’an dernier, une étude du King’s College de Londres a fait le tour du monde. Elle prétendait mettre un terme à la polémique vieille de 30 ans sur
le point G en affirmant que celui-ci n’existait tout simplement pas! Lorsqu’Odile Buisson a lu cela, son sang n’a fait qu’un tour. Très vite, avec l’aide du gynécologue et andrologue Sylvain Mimoun, cette gynécologue-obstétricienne a contre-attaqué: selon elle, on ne pouvait pas savoir si cette zone érogène existait tant qu’on n’aurait pas scientifiquement étudié les mécanismes du
plaisir féminin. À commencer par ceux du clitoris. «À l’heure de l’imagerie moderne, les sondages sont dépassés, assure-t-elle. L’étude du King’s College [NDLR: fondée sur un sondage mené auprès de 1800 Anglaises] posait la question: "Croyez-vous avoir une zone de la taille d’une pièce de 20 pence [NDRL: env. la taille d’un 5 ¢] sur la partie antérieure du vagin qui provoque un plaisir particulier quand elle est stimulée?" C’est si alambiqué que je réponds "non". Faisons plutôt de la vraie recherche!» Dans son cabinet de la région parisienne, elle a réalisé la première échographie du clitoris. Une expérience qui a ouvert de nombreuses pistes. Pourquoi celles-ci n’avaient-elles pas encore été explorées? Odile Buisson, un véritable électron libre, a quelques idées sur la question, qu’elle expose dans son livre
Qui a peur du point G? Le plaisir féminin, une angoisse masculine (Jean-Claude Gawsewitch). Rencontre.  

Pourquoi cette fascination pour le clitoris?

Je ne suis pas plus maligne que d’autres. J’ai examiné des centaines de patientes sans me poser de questions sur cet organe et sa fonction. Ce que j’en savais, je l’avais appris en médecine; ça représentait deux pages d’anatomie datant de 1979. Et aucune patiente ne se plaignait de problèmes dans cette région de son corps. Puis, il y a six ans, j’ai rencontré le Dr Pierre Foldès, un chirurgien formidable qui soigne depuis 30 ans des femmes excisées. Grâce à son expérience humanitaire, acquise dans le cadre de centaines de missions en Afrique, il a mis au point une méthode de réparation chirurgicale du clitoris. Un jour, il m’a demandé: «Tu ne voudrais pas faire une échographie de cet organe?» Je n’y avais jamais pensé. J’étais, comme mes collègues, excisée psychiquement. Formatée pour ne pas m’intéresser au plaisir féminin.

Personne n’avait éprouvé cette curiosité avant vous?

Oui, la Dre Helen O’Connell, du Royal Melbourne Hospital. En 1998, à partir de dissections anatomiques, elle a publié la première description exacte du clitoris, montrant que tout ce qu’on croyait savoir jusque-là était erroné. Pour mémoire, signalons que, cette année-là, le Viagra est apparu sur le marché pour traiter la dysfonction érectile de l’homme.

Qu’avez-vous appris grâce à cette première échographie, réalisée en 2008?

Qu’avec un matériel plus adapté, on pourrait sans doute discerner des pathologies et mieux les traiter. Je ne pense pas seulement aux conséquences de l’excision. Par exemple, lorsqu’une petite fille se fait mal en tombant sur une poutre, cela peut provoquer une lésion traumatique. J’ai aussi appris que le clitoris est un organe mobile et bien plus important que le petit gland visible au sommet de la vulve. Il est formé d’une double arche. L’arche extérieure est faite de deux corps caverneux, pouvant atteindre jusqu’à 15 cm de longueur, qui partent du gland et descendent le long du bassin. L’arche intérieure est constituée de deux bulbes, enserrant partiellement le vagin, qui se gorgent de sang au cours de l’excitation sexuelle. En demandant à mes amies de contracter leur périnée comme durant un acte sexuel, j’ai observé que ces corps caverneux descendent et s’appuient sur la face antérieure du vagin.

Le fameux point G?

On peut lui donner le nom qu’on veut. Mais il ne faut pas traiter les femmes d’hystériques quand elles disent: «Cela me fait plaisir à cet endroit-là.» Il se passe vraiment quelque chose. Si on n’a rien «vu» avant, c’est peut-être parce qu’il ne s’agit pas d’une structure, mais d’une interaction entre des organes, au moment du coït. Pour confirmer cette hypothèse – ou l’exclure -, il faudrait enfin étudier cette région anatomique de façon scientifique…

Avez-vous poursuivi dans cette voie?

Oui, nous avons essayé de voir ce qui se passait durant une pénétration vaginale. J’ai eu recours à beaucoup de stratagèmes: pince métallique, doigt, tampon, vibrateur… Mais les images n’étaient pas satisfaisantes. Si bien que j’ai pensé que le plus simple serait de faire une échographie pendant le coït d’un couple de volontaires. L’échographie a confirmé que le sommet de l’arche du clitoris est comprimé contre la partie antérieure du vagin par les pressions répétées de la verge en érection. D’où le plaisir.

Vous a-t-on prise au sérieux?

En France, nous avons été assez mal reçus. On a dit des choses comme: «C’est honteux d’entrer dans l’intimité des gens.» Ou encore: «Ce n’est pas de la science, c’est du cul.» Les médecins prenaient cela pour une plaisanterie, et les sexologues n’étaient pas enthousiastes. On m’a même demandé, pour que je puisse publier les résultats, d’assurer le couple pendant l’expérience: cela a coûté 1600 euros [NDLR: environ 2200$]! Ça fait cher le coït! Imaginez le prix de l’étude si une centaine de couples y participaient… Mais quand Pierre Foldès et moi avons publié nos recherches dans The Journal of Sexual Medicine, la référence aux États-Unis, et présenté notre travail à Florence, les Américains se sont montrés très intéressés. Les Italiens aussi…

 

Le plaisir féminin est-il encore tabou?

Peut-être que les femmes n’ont pas encore acquis le droit à la jouissance. Peut-être qu’elles doivent tout attendre du phallus. J’entends dire qu’il n’y a pas de femmes frigides, seulement de mauvais amants. Cela revient à nier l’existence des dysfonctions sexuelles féminines. Pourtant, celles-ci peuvent générer de la détresse et détruire un couple. On me dit aussi: «Mais madame, foutez-nous la paix avec votre clitoris; l’orgasme des femmes, c’est cérébral.» Pour nous, les femmes, tout se passerait dans la tête. Mais proposerait-on une consultation chez un psycho-sexologue à un homme présentant un trouble de l’érection? C’est ce qu’on a tendance à recommander aux femmes en France, où la psychanalyse et la psycho-sexologie prévalent dans le traitement des troubles sexuels féminins. Cela dit, je ne suis pas contre la psychanalyse; au contraire, je pense que la médecine de la psyché ne devrait pas exclure celle du corps. Les deux sont complémentaires.

Qu’apporteraient de nouvelles recherches, à part le fait de mettre fin à la polémique sur le point G?

Comprendre les mécanismes du plaisir féminin permet de mieux traiter les souffrances d’origine sexuelle. Pourquoi celles-ci – et leur cortège de troubles – importeraient-elles moins que les autres? Il faut que les scientifiques comprennent qu’ils créent un préjudice en négligeant délibérément l’étude de la fonction sexuelle féminine. Il faudrait aussi que la médecine sexuelle fasse partie intégrante des études médicales. Le sexe est un aspect fondamental de l’être humain!

 

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