J’ai cru pendant des années que le fait d’être dépendante de l’affection et du soutien de mon amoureux était une tare quasi mortelle. Combien de fois ai-je répété à des copines qui étaient malheureuses en amour: «Pour réussir la vie à deux, il faut absolument être autonome! » Trouver difficile la solitude et sentir qu’on a besoin de l’autre? Un signe d’immaturité et de faiblesse! Voilà ce que j’avais absorbé du discours ambiant sur la vie à deux. D’ailleurs, les ouvrages de psycho pop et les donneurs de conseils de tout acabit ne cessent d’enfoncer le clou: l’indépendance émotionnelle serait la base de l’équilibre en amour. Il faudrait, paraît-il, se sentir parfaitement heureux et comblé comme célibataire avant de pouvoir songer à s’engager dans une relation amoureuse. Et une fois l’amour trouvé, on devrait éprouver un bien-être qui ne dépend pas de l’amour de l’autre. Ceux qui ne parviennent pas à faire preuve d’autonomie forment des unions fusionnelles: une catastrophe!

Eh bien, malgré tous mes efforts pour rendre mon coeur autosuffisant, je n’ai jamais réussi à taire mon besoin d’être rassurée par l’être cher. Exprimés sous forme de reproches ou de questions anodines, les mêmes doutes revenaient de temps à autre: «Es-tu là pour moi? Suis-je importante pour toi? Pourrai-je compter sur toi en cas de nécessité?» Ça suscitait des réactions plus ou moins positives de la part de mon partenaire, conditionné lui aussi à valoriser l’indépendance.

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Quand je raconte tout ça à la psychologue Sue Johnson, auteure du récent ouvrage Serre-moi fort! (First Psycho), elle n’est aucunement étonnée. «Dans nos sociétés occidentales, nous avons développé une phobie de la dépendance affective et culpabilisé les gens – particulièrement les femmes – pour des besoins affectifs parfaitement normaux et légitimes», m’explique-t-elle au téléphone, de l’Université d’Ottawa où elle enseigne. «On a beaucoup parlé de la dépendance sous sa forme malsaine et destructrice, celle qu’on observe dans les unions où un des partenaires est alcoolique ou violent, par exemple. Mais dans une relation normale, la dépendance à l’autre est inévitable, voire souhaitable!»

Comme à l’âge des cavernes

«De nos jours, que ce soit dans le couple ou dans la famille, l’interdépendance est considérée comme une contrainte dont nous devons nous débarrasser, soutient la psychologue. La raison: c’est maintenant l’individu qui prime dans notre société, et nous valorisons avant tout la liberté et l’autonomie. À tel point que nous ne savons plus comment nouer des liens intimes et que nous n’avons jamais autant souffert de solitude.»

En fait, nous renions un besoin qui remonte à l’origine de l’histoire humaine, alors que nous ne pouvions pas survivre ni combattre la faim, le froid ou les prédateurs sans nos semblables. «Ce n’est pas un hasard si nous sommes excessivement sensibles à toute forme de rejet affectif ou social, souligne Sue Johnson. Tisser des liens fait partie de notre histoire.»

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Nous serions donc tous programmés pour chercher à tisser ces liens intimes, constants et sécurisants avec les êtres qui nous entourent. Et cette quête serait particulièrement intense au sein du couple puisque ce sont les liens amoureux, et non plus familiaux, dont se préoccupent avant tout les gens aujourd’hui. Pour toutes ces raisons, une certaine dose de dépendance affective est absolument essentielle pour une union heureuse, soutient Sue Johnson. Mais concrètement, par quoi se traduit une saine dépendance affective? «Simplement par le fait qu’on se sent solidement liés l’un à l’autre – comme par une corde qu’on ne peut pas rompre -, malgré les conflits ou les discordes qui peuvent survenir. Ça se manifeste par le fait qu’on est prêt à écouter l’autre quand il est en détresse, à observer les choses de son point de vue, à lui témoigner de la compassion et à le rassurer lorsqu’il se sent fragile ou qu’il doute de notre affection pour lui.» Évidemment, précise-t-elle, chacun doit faire preuve d’assez d’autonomie pour pratiquer ses propres activités, travailler, entretenir ses relations sociales et cultiver ses intérêts personnels, mais le sentiment de manque et de détresse qui nous habite quand notre partenaire s’absente – que ce soit physiquement ou affectivement – est une réaction humaine universelle.

Les dessous de la colère

En analysant les conflits récurrents dans la vie de couple de ses clients, Sue Johnson a constaté que les disputes et les frustrations surviennent surtout quand les partenaires sentent que le lien qui les unit est menacé. «Quand on a l’impression que l’autre n’est pas là pour nous ou que son amour est incertain, on se met à craindre que le lien soit rompu. Nos peurs, héritées de l’âge des cavernes, nous font paniquer et déclenchent des réactions innées face à la menace: la fuite ou le combat. C’est ce qui explique pourquoi certains opposent un mur de silence à leur conjoint, tandis que d’autres explosent de colère.»

Des exemples? «Dans de nombreux couples, la femme reproche à l’homme de trop travailler, et l’homme l’accuse en retour de n’être jamais satisfaite. Les disputes répétées qu’ils ont à ce sujet les mènent à se blesser l’un et l’autre sans qu’ils arrivent jamais à dissiper ou à apaiser l’inquiétude qui est à la source de leur discorde », dit la psychologue.

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Pour aider les couples à résoudre ce type de problème, la thérapeute a donc mis au point une méthode qui leur permet de cerner les émotions primaires qui sont à l’origine de leurs querelles. Car les critiques, les crises de colère et les attitudes méprisantes cachent souvent un besoin d’amour inassouvi et une grande tristesse.

Progressivement, par des exercices variés, les partenaires mettent au jour les différentes couches d’émotions qu’ils avaient jusque-là réprimées et apprennent à parler franchement des causes sousjacentes de leurs querelles. Ils arrivent ainsi à dire «j’ai besoin de ta présence, tu me manques quand tu passes beaucoup de temps au travail» ou «j’ai besoin de sentir que tu m’aimes et que tu m’admires» au lieu de «tu ne penses qu’à ta carrière» ou «rien ne te contente, tu ne fais que critiquer». En acceptant de dévoiler leur besoin d’attachement, les partenaires peuvent donc, peu à peu, trouver le réconfort affectif dont ils ont chacun profondément besoin.

Pour la plupart d’entre nous, dévoiler ainsi nos peurs et demander à l’autre de nous rassurer n’est toutefois pas facile. «Je rencontre des personnes qui ont appris à considérer les émotions et les conversations émotives comme des menaces énormes. Il peut être très difficile de déprogrammer cette perception, mais on peut y arriver en thérapie, explique Sue Johnson. Cette démarche est d’ailleurs très importante, car tant que les conjoints n’accepteront pas de reconnaître et d’exprimer leur fragilité réciproque, l’attachement qu’ils ont l’un pour l’autre demeurera précaire, et leur relation aussi.»

«On pourrait croire que c’est plus dur pour les hommes, dit-elle, car ils ont été conditionnés à cacher leur vulnérabilité, mais vous seriez étonnée du nombre de femmes qui se retrouvent dans mon bureau et qui ont honte de dire à leur partenaire qu’elles ont besoin de lui!»

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Pour Marianne, 36 ans, apprendre à se dévoiler à son amoureux a demandé du temps. «Quand mon chum annulait les activités que nous avions prévu faire ensemble pour rester tard au bureau ou pour aller jouer au hockey, la colère et les reproches montaient aussitôt en moi. Évidemment, ça finissait toujours en chicane: je le traitais d’égoïste, et lui, il répliquait que je capotais pour des niaiseries. Le jour où je lui ai calmement dit que ce genre de situation me peinait et me donnait l’impression qu’il ne m’aimait pas, il a beaucoup mieux compris ma réaction. Il m’a réconfortée et m’a assurée que j’étais importante pour lui et il a fait des efforts pour se réserver du temps juste pour moi. Depuis, on se dispute beaucoup moins souvent.»

L’importance du toucher

Et au quotidien, à quoi ressemble un couple heureux qui reconnaît l’importance de l’attachement? Pour Sue Johnson, c’est un couple dans lequel chaque partenaire prend le temps, par des petits gestes de tendresse et d’affection, de rappeler à l’autre qu’il est attentif à ses besoins et disponible pour lui. «Je n’aime pas me réveiller dans une maison vide, et mon mari quitte la maison très tôt tous les matins, confie-t-elle à titre d’exemple. Avant de partir, il me réveille doucement en m’embrassant. C’est un petit rituel très apaisant pour moi.» Par-dessus tout, les amoureux qui reconnaissent l’importance de l’attachement se mettent à l’écoute de leur partenaire et font parfois passer les besoins de ce dernier avant les leurs, surtout lorsqu’il exprime de la détresse. «Exactement comme une mère attentive le fait avec son jeune enfant, fait-elle remarquer. Il ne s’agit pas d’infantiliser son partenaire, mais de faire preuve d’une grande sensibilité à son égard et d’être présent pour lui.» Ça peut vouloir dire, par exemple, de laisser tomber le brunch familial pour faire la grasse matinée avec son chum qui a eu une semaine de fou, ou de passer un coup de fil à son amoureuse au bureau pour l’encourager avant une présentation difficile.

Il ne faut pas non plus sous-estimer l’importance de l’intimité physique, dont les bienfaits seraient encore plus grands qu’on ne le croit. «Le contact peau à peau est essentiel chez l’humain, dit Sue Johnson. Le toucher comble bien sûr nos désirs sexuels, mais aussi notre besoin de sécurité, comme c’est le cas quand un de nos proches nous prend dans ses bras. Bien des hommes se plaignant du manque de sexualité dans leur couple finissent par confier que, par le sexe, ils cherchent surtout à se faire cajoler, caresser, rassurer.»

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Éric, 34 ans, se reconnaît dans ce portrait. «Quand ma blonde ne veut pas faire l’amour, c’est difficile pour moi de ne pas le prendre comme un rejet. Elle ne le sait pas, mais ça me fait beaucoup souffrir de ne pas être plus proche d’elle physiquement. Pour moi, c’est important de sentir que nos corps sont connectés, pas juste par le sexe, mais aussi par la tendresse, pour me sentir bien dans la relation.»

Selon la psychologue, il faudrait toutefois cesser de mettre l’accent sur la sexualité-passion et la sexualité-performance que proposent la culture populaire et la pornographie. «Une connexion émotionnelle profonde entraîne une sexualité épanouie, et une sexualité épanouie entraîne une connexion émotionnelle plus profonde encore. Mais pour arriver à ça, on doit voir le sexe comme un jeu, comme une aventure rassurante dans laquelle les partenaires peuvent se confier sans crainte leurs désirs et leurs aspirations les plus secrètes. Surtout, il faut accepter qu’il y ait des ratés et qu’il faille souvent se réajuster.»

Moins de dépressions

Les idées de Sue Johnson sur le couple et l’attachement sont encore peu répandues dans le paysage de la psychologie du couple. Mais elle ne désespère pas: «Il a fallu beaucoup de temps avant qu’on reconnaisse l’importance de l’attachement chez les enfants. Ce n’est que depuis les années 1940 et 1950, grâce au psychiatre britannique John Bowlby, qu’on admet que l’enfant a besoin de se sentir proche physiquement et affectivement des personnes qu’il aime, et de savoir qu’il peut compter sur eux en cas de bouleversement. J’ose espérer qu’un jour on verra aussi à quel point l’attachement est important chez les conjoints.»

D’un point de vue plus général, l’auteure s’inquiète aussi des conséquences de l’isolement affectif sur la santé mentale globale de nos sociétés occidentales. L’Organisation mondiale de la Santé a déclaré que la dépression était la première cause d’incapacité dans le monde à l’heure actuelle. Sue Johnson y voit un lien direct avec la solitude émotionnelle. «L’amour nous protège contre les hauts et les bas de l’existence. Le besoin de trouver quelqu’un vers qui on peut se tourner et dire simplement « Serre-moi fort » est ancré dans nos gènes et dans nos corps. C’est aussi fondamental que de manger et d’avoir un toit, et nous avons besoin de cet attachement émotionnel avec des êtres aimés pour assurer notre survie.»

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