Outre des besoins semblables en termes d’intimité, de passion et d’engagement, les couples heureux partagent un scénario idéal de l’amour, soutient Robert J. Sternberg.

Selon le psychologue américain Robert J. Sternberg, chacun d’entre nous valorise de manière inconsciente une histoire d’amour idéale, qu’il cherche à reproduire dans sa vie de couple. «Ce scénario se construit dès l’enfance, lorsqu’on observe nos parents, puis il évolue au fil des expériences vécues, des romans qui nous marquent, des films qui nous émeuvent, et en fonction de la culture dans laquelle on évolue», explique Robert J. Sternberg.

Pour certains, ce scénario ressemble à un conte de fées (un scénario éculé, mais tenace, où la princesse attend son prince). Pour d’autres, c’est un roman d’aventure (où les partenaires vivent la relation comme un voyage excitant ponctué de multiples découvertes à faire à deux) ou encore une allégorie du jardinage (la relation doit être soigneusement entretenue par deux «jardiniers» qui prennent soin l’un de l’autre).

À chacun son idéal

Robert J. Sternberg a répertorié 25 histoires types dans son ouvrage Les scénarios de l’amour (Les Arènes, 2011), mais affirme qu’il en existe autant de variantes qu’il y a d’individus sur terre. Ce qui est constant, en revanche, c’est l’emprise inconsciente extrêmement forte que ces histoires idéales ont sur nous. «Comme notre scénario intérieur s’est construit dès l’enfance, note-t-il, nous avons tendance à croire qu’il est LA seule bonne définition de l’amour, et nous essayons de le recréer dans nos vies. C’est pourquoi il peut être si douloureux d’être en couple avec quelqu’un qui a un scénario très différent du nôtre. On le vit comme un affront personnel.» Une femme qui voit, par exemple, l’amour comme un partenariat démocratique et équitable vivra beaucoup de frustrations auprès d’un homme autocratique qui se voit comme le premier ministre de la relation et qui prend toutes les décisions.

D’ailleurs, quand l’écart entre les histoires idéales de chacun des partenaires a plutôt l’air d’un gouffre, ajoute le spécialiste du couple, la rupture est souvent inévitable. «Dans ces cas-là, les partenaires vont chercher une nouvelle histoire d’amour, qui collera davantage à leur récit intérieur.» Chose certaine, les couples qui durent sont ceux où les tourtereaux valorisent des récits compatibles, même si ceux-ci peuvent sembler tordus aux yeux des autres. On connaît tous, par exemple, des partenaires qui se disputent sans arrêt mais qui ne songeraient jamais à se séparer. Ils sont heureux ensemble, car ils partagent le même scénario amoureux: une histoire de guerre. Pour eux, le conflit est le moteur de la relation et, sans engueulades, ils ne se sentent pas vivants.

Le chercheur note aussi que les scénarios où la dynamique de pouvoir entre les partenaires est asymétrique (professeur-élève, infirmière- patient, policier-criminel, bourreau-victime) sont les plus malsains et insatisfaisants à long terme. À l’inverse, les couples les plus heureux sont souvent ceux qui vivent un scénario de «collaboration», c’est-à-dire une histoire où les deux partenaires s’attribuent équitablement le pouvoir et la responsabilité du bonheur à deux.

Observer l’autre

Si la compatibilité de nos scénarios personnels est tellement déterminante pour notre avenir amoureux, comment choisir la personne dont le «film» intérieur sera conciliable avec le nôtre? «Les gens ont beaucoup de mal à décrire spontanément leur scénario idéal, dit le psychologue. Il est ancré en eux depuis tellement longtemps qu’il est inconscient.» Il n’y a donc pas de question magique à poser à un prétendant pour savoir si son histoire cadre avec la nôtre. «Il faut tout simplement observer son comportement et en déduire ce qu’on peut. C’est aussi en remarquant certains patterns dans nos relations amoureuses qu’on arrive à mettre le doigt sur nos scénarios intérieurs et, éventuellement, à les changer s’ils nous rendent malheureux.»

Robert J. Sternberg rappelle que notre histoire d’amour idéale peut changer dans le temps. «Nous sommes constamment en train de récrire nos histoires intérieures en fonction des évènements qui jalonnent nos vies. Nos scénarios peuvent donc évoluer, même si nous avons des préférences inconscientes très fortes.» Ainsi, transformer son histoire d’amour idéale serait comme arrêter de fumer ou changer n’importe quelle habitude bien ancrée: «On peut bien sûr y arriver!» dit le psychologue. Ça donne de l’espoir!