L’homme est d’un naturel plutôt discret quand vient le temps de vivre sa peine d’amour; rarement le voit-on en larmes dans une librairie avec six ouvrages d’Yvon Dallaire sous le bras. Comment gère-t-il sa rupture? Tout d’abord, il écoute de la musique, la plus déprimante possible, pour l’aider à extérioriser ses émotions. Pour vivre l’expérience à fond, il opte pour la pénombre et une bonne paire d’écouteurs. Pour souffrir encore un peu plus, il relit aussi de vieux courriels de son ex, il se demande s’il les efface, il s’endort sur le divan au milieu d’anciennes photos de voyage.

Son employeur refuse de lui donner congé pour aller vivre sa peine entouré de filles à demi-nues sur une plage de la Côte d’Azur? Alors, il travaille. Beaucoup. Il bosse comme un malade. Il fait des heures supplémentaires, il démarre six nouveaux projets: bref, il se rabat sur les sphères de sa vie où il est en contrôle. Il réorganise, il planifie, il gère. Il en profite même pour se débarrasser de quelques vieilles habitudes. Puisqu’il n’a plus envie de rien faire, c’est plutôt facile. Il hésite entre retourner au gym ou se laisser dépérir devant des reprises des Joyeux naufragés, entre susciter l’admiration ou la pitié.

Et puis, il s’étourdit. Il renoue avec les quelques célibataires de son réseau d’amis, il sort, il s’enivre, il s’engourdit. Il apprécie la compagnie des gens qui ne lui posent pas trop de questions. Il se croit guéri, mais il ne l’est pas. Pas encore. Il se dit que ça va, qu’il est passé à autre chose et, soudain, au marché, il plie des genoux devant un fruit qui lui rappelle son odeur à Elle.

 

PEINEDAMOUR-300.jpgAlors, il jette son coeur dans la première poubelle qu’il voit en se disant «plus jamais». Un instant plus tard, pris de panique, il revient sur ses pas pour le reprendre: sait-on jamais, ça servira peut-être, plus tard. Les montagnes russes. Son estime de soi a pris un dur coup. S’il rencontre une fille, ce sera elle qui aura fait les premiers pas, et il cédera facilement à ses avances, surtout pour s’assurer qu’il est encore capable de susciter le désir. Mais il la fera fuir très vite, avec des phrases déprimantes auxquelles il ne croit pas vraiment, qu’il balance au hasard d’une conversation. «Laisse tomber, je te mérite pas!», «Le couple, l’amour, les comptes conjoints, l’optimisme et la chaleur humaine, pour moi, c’est fini!» Il s’imagine qu’il pourra rayer de sa vie tout ce qui lui a fait mal. Il se trompe, évidemment. Il a le droit.

Arrive le jour où il se remet à draguer. Il cherche d’abord quelqu’un qui a toutes les qualités de son ex, mais sans ses défauts. Il se rend vite compte que toutes les relations seront vaines tant qu’il jugera les femmes qu’il rencontre en fonction d’Elle.

Et puis, enfin, il s’accorde un peu de temps. Il se rend compte que vivre sans Elle est possible. Il réalise qu’il y croit encore, à l’amour, malgré le sentiment d’échec qui persiste. Il se sourit, dans un miroir, et il tente de se faire beau pour la prochaine histoire.

 

 

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