Ouf! Après un an et demi de travaux, j’émerge à peine d’un immense projet de rénovation que j’ai entrepris avec mon chum. Jamais je n’aurais cru que cette aventure nous bouleverserait autant! Entre l’euphorie, les remises en question, l’exaspération et le désespoir, retaper une maison avec mon homme m’en a fait voir de toutes les couleurs… et ça nous a fait passer à un cheveu de la rupture.

Quand cette idée a germé, Patrick et moi, on formait un couple depuis environ un an et on avait très envie d’habiter ensemble. Le problème? Il ne voulait pas sacrifier un rez-de-chaussée avec cour pour un condo au deuxième étage, et moi, je ne voyais pas de place pour aménager mon bureau de pigiste chez lui. Sans compter que son appart, rénové jadis aux goûts de son ex, était à mon avis une catastrophe esthétique de céramique marbrée. Et puis, comme on était amoureux fous, on planifiait déjà qu’on aurait vite besoin d’une chambre d’enfant… ou même de deux.

Pendant deux mois, on s’est donc farci un marathon de visites pour essayer de trouver une autre propriété qui correspondrait à nos besoins. Trop petit, trop cher, mal situé… Rien ne nous convenait. Une idée nous revenait constamment en tête: récupérer le logement de l’étage supérieur du triplex de Patrick et créer un grand appartement décloisonné sur deux étages. Financièrement, ça revenait même un peu moins cher qu’acheter ailleurs! La décision s’est imposée d’elle-même.

 

Patrick et moi, on exultait. Avec un architecte, on a fait la liste de nos désirs pour la nouvelle maison, excités comme des enfants qui écrivent au père Noël. On rêvait d’un grand espace ouvert pour respirer, cuisiner et recevoir; d’une salle de bains digne de ce nom et plus grande qu’un placard; de poutres en bois dénudées, d’une baie vitrée…

Débordante d’enthousiasme, je dévorais des piles de magazines de design et d’architecture pour m’inspirer. Mais rapidement, des différences majeures entre Patrick et moi sont venues assombrir le tableau. Militant écologiste pendant ses années d’université, mon homme travaille toujours en environnement. Réduire, récupérer et recycler, ce n’est pas qu’un slogan pour lui, c’est une éthique quotidienne. J’admire énormément ces valeurs chez lui, puisque je suis moi-même assez écolo à mes heures. J’étais donc tout à fait d’accord pour que notre projet de rénovation soit le plus vert possible. En principe.

Sur le terrain, après avoir passé quelques journées à déclouer méticuleusement du plancher de bois franc et à entreposer les lattes dans le but de – peut-être! – les réutiliser un jour, ma ferveur écolo était passablement amochée. J’étais devenue une slacktivist, soit une activiste qui «slacke». Et quand Patrick s’est mis à me dire qu’il voulait conserver une vieille toilette beige et une horrible baignoire en acrylique des années 1990, alors que je rêvais d’une salle de bains moderne et épurée, le doute a commencé à se frayer un chemin dans mon esprit: nos différences de goût cachaient-elles des désaccords plus graves?

 

Il faut dire que les rénovations avaient peu à peu envahi nos conversations, nos soirées et nos weekends. Fini, les brunchs paresseux du dimanche et les promenades romantiques en après-midi. D’amoureux, on était devenus gestionnaires de projet. Il y avait constamment des décisions à prendre, des détails techniques à régler… C’était excitant au début, et Patrick, qui travaillait comme un forcené sur le chantier dès qu’il avait un moment libre, m’apprenait un tas de choses sur la rénovation. Mais c’était aussi très exigeant. Un magnifique samedi soir de la fin de l’été, alors que mon amoureux était resté sur le chantier, je promenais mon chien dans les ruelles du Plateau, habillée de vieux vêtements de travail sales, les cheveux pleins de poussière, le teint morne. En voyant des voisins attablés dehors et profitant du beau temps, j’ai éclaté en sanglots. Je n’avais pas vu l’été passer et je me sentais profondément seule, moche et découragée. Fatigués, stressés financièrement par les dépenses constantes, à bout de nerfs, on se disputait de plus en plus souvent. Les chicanes faisaient rapidement boule de neige, et les reproches blessants fusaient de part et d’autre. Patrick trouvait que j’avais des goûts de luxe, que j’étais obsédée par des détails superficiels et que mon anxiété de perfectionniste nous empoisonnait la vie. De mon côté, je le trouvais grippe-sou, rigide et rabat-joie, et j’étais profondément déçue de constater que son pragmatisme l’emportait sur notre rêve de créer un nid à deux.

Quand j’essayais de lui montrer une de mes trouvailles design dans une revue, il levait à peine le nez. Frustrée, je lui faisais la gueule dans les allées de la quincaillerie, devenue notre repaire quotidien. Les travaux avançaient, même si la date d’emménagement était constamment repoussée. Deux jours avant Noël, la finition de nos planchers s’est révélée un fiasco, entraînant des retards et nous imposant des frais imprévus pour réparer le gâchis. Brièvement unis contre l’entrepreneur incompétent qui avait causé les dégâts, nous avons passé des Fêtes épuisantes à essayer de tout arranger. Avec tout ce travail physique, je me faisais des muscles, mais je voyais mon tour de taille élargir à vue d’oeil, à force de bouffer n’importe quoi sur le pouce. Dans les rares moments où je m’habillais pour une sortie, je constatais avec effroi que tous mes vêtements étaient devenus trop petits. Même si je me répétais que c’était temporaire, ça ne m’empêchait pas de me sentir mal dans ma peau par-dessus le marché! Décidément, ce projet ne prenait pas tout à fait la tournure que j’avais imaginée…

 

Presque un an après le début des travaux, la maison était suffisamment avancée pour qu’on puisse y emménager, et j’ai commencé à faire mes boîtes. Comme les tensions perduraient entre Patrick et moi, j’angoissais en me demandant si tout ça n’était pas une erreur magistrale. Avait-on englouti des milliers de dollars et des tas d’efforts dans une maison pour arriver au constat qu’on n’était pas faits pour vivre ensemble? M’en allais-je tout droit vers une rupture?

En m’entendant paniquer, mes copines et ma mère m’ont calmement fait remarquer que n’importe quel couple, même le plus soudé, aurait battu de l’aile après une année entière à avaler de la poussière. La seule chose à faire était donc de respirer par le nez (de l’air pur, si possible!) et de nous donner une chance. Après tout, si on réussissait à traverser le fil d’arrivée de ces rénovations, ça voudrait dire que notre couple était assez fort pour affronter n’importe quoi!

Aujourd’hui, il reste encore un tas de petites choses à faire pour terminer notre intérieur. Les conflits n’ont pas disparu du jour au lendemain, mais peu à peu, je me sens émerger des brumes épaisses de la fatigue et du stress. Je commence à voir la maison avec un regard reposé et à constater que tous nos conflits ont finalement abouti à de très beaux compromis, où on reconnaît parfaitement nos goûts respectifs et nos valeurs personnelles. Au lieu de m’attarder à tout ce qui cloche et à tout ce qui n’est pas fini (euh, il n’y a toujours pas de poignées de porte dans la maison!), je m’efforce aujourd’hui de cultiver l’immense gratitude que j’éprouve quand je regarde ce bel espace lumineux, aéré et chaleureux que nous avons bâti ensemble. Un lieu dans lequel on a réappris à s’aimer, tous les deux.

Un peu comme un accouchement, ça s’est fait dans les cris et la douleur, mais le résultat est un parfait mélange de nous deux. Et ça se pourrait même qu’on soit assez fous pour remettre ça! Mon homme m’a annoncé l’autre jour qu’il rêvait d’un chalet à rénover. Mais peut-être que cette fois-ci, je me contenterai d’admirer ses talents de menuisier de loin, en sirotant une limonade au bord du lac…

 


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