J’ai toujours cru qu’il était inutile de se protéger de ses émotions, même après avoir vécu des peines d’amour déchirantes. S’empêcher de s’abandonner, c’est se mettre à l’abri non seulement des déceptions, mais aussi du plaisir. Moi, si j’ai été célibataire pendant plusieurs années, ce n’est pas parce que j’avais peur de retomber amoureuse, c’est simplement que j’attendais de trouver la bonne personne.

Cette personne, je l’ai rencontrée par une magnifique journée d’été, alors que j’approchais de la cinquantaine. Je lisais à la terrasse d’un café de Val-David, où j’habitais alors, quand un petit groupe de Montréalais s’est installé près de moi. J’ai entendu ces gens discuter d’une rumeur concernant Francis Cabrel, qui, selon eux, n’écrivait pas les textes de ses ballades. Quoi?! En tant que fan du chanteur, je n’ai absolument pas pu m’empêcher de m’immiscer dans la conversation… surtout qu’il y avait dans la bande un monsieur que je trouvais très beau! Cet homme, c’était René, troubadour, exbassiste et parolier d’un célèbre groupe des années 1960. Il m’a appris qu’il se produisait deux soirs de suite Chez Coco, une véritable institution du coin. Je suis donc allée voir son spectacle, puis je suis retournée l’applaudir le lendemain. Évidemment, il n’a plus eu le choix de m’inviter à sa table! La chimie a opéré, et nous avons passé la soirée à bavarder.

Le lendemain, je me suis réveillée en sentant qu’il fallait absolument que j’écrive à mon nouvel ami. J’ai donc rédigé une lettre en essayant de reproduire son style lyrique.

«Cher René, Je vous écris les yeux fermés parce que vous souriez derrière mes paupières closes. C’est ma façon de retenir encore une heure, dix minutes, un instant, une éternité, le parfum léger, léger, de vos chansons, la douceur de l’aile d’une "fredonnelle"…»

En voulant envoyer ma missive, j’ai retrouvé la carte d’affaires que l’assistant de René m’avait laissée et sur laquelle il y avait seulement… oh zut! un numéro de téléphone! J’ai donc pris mon courage à deux mains et j’ai appelé René. Il m’a très gentiment donné son adresse, et je lui ai posté mon poème.

Quelque temps plus tard, j’étais de passage à Montréal et je soupais avec un bon ami. Je lui ai raconté que j’étais un peu amoureuse d’un homme qui habitait la métropole. Il m’a tout de suite conseillé de prendre le téléphone et de contacter René. «Ben non, voyons, je ne peux pas faire ça!» me suis-je écriée.

Cependant, comme notre repas avait été bien arrosé, je n’ai pas trop résisté quand, hop! il m’a poussée dans une cabine téléphonique et a composé le numéro de René. «Marielle! a répondu ce dernier, je finis tout juste de manger avec un ami. Il reste du vin, venez nous rejoindre!» Et voilà, c’est comme ça que notre histoire a commencé…  

 

 

J’ai connu, bien sûr, quelques moments d’hésitation avant de me lancer corps et âme dans cette relation. Après tout, ce n’était pas la première fois que je rencontrais quelqu’un. J’avais déjà été mariée à 20 ans, et ensuite j’avais vécu sept ans avec le père de mon fils. Mais tout a changé quand, un soir, René m’a demandé de le rejoindre dans un petit bar de Val-David. Ça va avoir l’air ridicule, mais quand je suis entrée, tout ce que j’ai vu, c’est son dos. J’ai pensé avec émoi: «Oh! Comme j’ai envie de m’appuyer sur ce dos-là!» C’est comme ça que mes dernières résistances sont tombées. Pendant un certain temps, nous avons fait l’aller-retour entre nos deux régions. Puis, quand mon fils est parti vivre à Montréal, j’ai également déménagé dans la métropole afin d’habiter avec mon nouveau compagnon dans son tout petit appartement. Quelques années plus tard, quand René a obtenu un contrat dans une boîte à chansons de Lévis, je l’ai suivi avec joie. L’idée de vivre au bord du fleuve m’enchantait royalement. Nous avons loué une magnifique maison, que nous avons achetée par la suite. Le temps a coulé tout doucement pendant que nous passions les années côte à côte.

Mon premier mari et moi étions séparés depuis des lustres, mais nous n’avions jamais officialisé le divorce. Nous nous étions quittés en bons termes et nous n’en voyions tout simplement pas l’utilité. Par contre, depuis que j’avais rencontré mon beau troubadour, je me disais qu’il faudrait bien que coupure se fasse! Nous avons fini par signer les derniers papiers il y a deux ans. Et soudain, après 14 ans de vie commune, René s’est mis à me parler de mariage! Chaque fois qu’il le faisait, je lui lançais sur un ton mi-figue, mi-raisin: «Eh bien, mon cher, faites-moi une demande en règle!» (Parce que oui, nous nous vouvoyons toujours malgré les années qui passent…) Noël approchant, je croyais qu’il ferait peut-être ça le 24 décembre. Ou le 25. Puis je me suis dit que ce serait sans doute au jour de l’An… et ensuite, j’ai arrêté d’y penser.

 

Un soir de janvier, nous regardions ensemble un quiz télévisé. Nous avions l’habitude de nous poser des questions pendant cette émission. Je n’ai donc pas été étonnée quand mon amoureux m’a lancé: «À quelle heure voulez-vous recevoir votre bague?» «À 21 h», ai-je répondu, croyant à un jeu. Lorsque je l’ai vu se lever, à l’heure dite, pour aller chercher une petite boîte et demander ma main, je n’en revenais tout simplement pas. J’ai craqué!

C’est ainsi qu’à 62 ans je me suis mariée une seconde fois. C’était en août, dans un manoir anglais de style Tudor, délicieusement vieillot. Une fine couche de poussière recouvrait les meubles. Ça m’a plu: je ne voulais pas d’une cérémonie figée et parfaite. Pour ce qui est de ma robe, vous comprendrez bien que je n’ai pas choisi du blanc! J’ai plutôt porté un ensemble crème, très léger, à motifs de fines plumes noires. La copine de mon neveu a interprété La chanson des vieux amants, une adorable petite fille, qui commençait à peine à marcher, a joué le rôle de ma bouquetière, et les amis de René se sont occupés de la musique… Bref, c’était magique. Nous avons fêté jusqu’aux petites heures du matin! Après la noce, mon mari et moi sommes partis, comme il se doit, en voyage. Nous sommes allés à l’Isle-aux-Coudres, à La Roche Pleureuse, un endroit qui n’a pas changé depuis que j’y allais avec ma mère, quand j’étais toute petite. Nous avons aussi passé quelques jours en Gaspésie, où René voulait pêcher. Ç’a été un séjour charmant, même si nous avons dû… acheter notre poisson au marché!

 

Bientôt, ça fera un an que nous sommes mariés. Il arrive que les gens me demandent ce que la cérémonie a changé entre nous. J’ai été obligée de réfléchir à la question et j’en suis venue à la conclusion que ça a surtout approfondi notre engagement. À 20 ans, je n’en avais rien à foutre du mariage! On était en plein milieu de la révolution sexuelle, à quoi bon s’unir pour la vie? Je l’ai fait à l’époque, car j’allais m’établir près de grands-oncles et tantes que j’adorais. Ils étaient d’une autre génération et ils auraient mal accepté que je vive avec mon amant sans la bénédiction d’un prêtre.

Avec René, c’est autre chose. Disons que je suis pas mal sûre que nous sommes «partis pour un bon bout», comme on dit! En toute franchise, le quotidien, ce n’est jamais très excitant. Avant d’épouser mon conjoint, ma petite voix intérieure me disait toujours: «Marielle, tu peux toujours t’en aller, tu sais.» C’est vrai qu’aujourd’hui je peux encore le faire, mais ce n’est plus pareil; j’ai donné ma parole. C’est comme si ça relativisait les choses. Avec le temps, les petites querelles deviennent moins importantes. Je sens que peu importe ce qui arrive, nous pourrons traverser toutes les épreuves ensemble. C’est ça qu’on appelle le grand amour, non?

 

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