«Je cherche une jeune femme qui porte un chandail rose et qui conduit une voiture rouge», a lancé le portier de l’hôtel en faisant irruption dans la suite où se déroulait le tournage de l’émission de télévision à laquelle je travaillais. Cette fille, c’était moi. J’avais 24 ans, je rêvais de devenir journaliste, tout en étudiant et en cumulant les petits boulots de serveuse. Je venais de décrocher un stage comme styliste sur le plateau d’un populaire talk-show. C’était ma première journée de travail, et j’ai tout de suite cru que je m’étais mise dans le pétrin. Peut-être avais-je mal garé ma voiture? Ce n’était pas ça du tout: le portier voulait savoir si j’avais reconnu l’homme que je venais de croiser. Alors là, je tombais des nues!

Quelques instants auparavant, en arpentant les couloirs de ce chic hôtel-boutique, je m’étais en effet arrêtée devant le regard doux et humide… d’un gros bouvier bernois. Pâmée, je m’étais penchée pour caresser le chien et, au bout de la laisse, j’avais aperçu le maître. Évidemment que je l’avais reconnu. Même les plus sauvages tribus de l’Amazonie avaient probablement déjà vu sa tête! Ces cheveux poivre et sel, ce regard de clown triste, ce visage iconique… C’était un célèbre acteur hollywoodien que j’avais en face de moi, le genre qui collectionne les statuettes dorées sur son manteau de cheminée. En le dépassant, j’avais senti qu’il me suivait du regard. Je n’en avais pas fait de cas. Les stars ne m’ont jamais particulièrement impressionnée et, en plus, j’avais l’habitude d’en croiser tout plein au bar branché où je travaillais le soir. «Ce monsieur semble vous connaître», m’a cependant appris le portier, avec l’air nerveux d’un espion qui a une mission de la plus haute importance à accomplir. Intriguée, j’ai accepté qu’il lui transmette mon numéro de téléphone. Quelques heures plus tard, ça a sonné.

«Hi, it’s John*.»

 Mon coeur s’est mis à battre la chamade. Jusque-là, je croyais encore que tout ça n’était peut-être qu’une blague. Là, je me rendais compte que c’était vrai… et que la voix que j’entendais dans mon récepteur était l’une des plus célèbres du monde! John voulait tout simplement m’inviter à dîner. Dévorée de curiosité, j’ai dit oui. Je n’étais pas particulièrement attirée par cet homme, mais franchement, je ne risquais pas grand-chose en acceptant son invitation…

On a convenu de se rencontrer dans un resto le lendemain. Lorsque je l’ai rejoint, il était en compagnie d’un de ses amis réalisateurs et de la femme de celui-ci. Elle était en tout point pareille à l’image qu’on se fait d’une cocotte de L.A.: lumineuse, complètement refaite et perpétuellement au régime. Tout le contraire de moi, quoi! L’ambiance était quand même cordiale, détendue. On discutait à quatre de tout et de rien. John n’essayait pas du tout de me draguer. On buvait, on riait. Vers la fin de la soirée, il était si éméché que je l’ai ramené, endormi dans ma voiture, jusqu’à son hôtel. En partant, il m’a fait la bise, et c’est tout.

Cet été-là, pendant tout le temps qu’a duré son tournage à Montréal, on est souvent sortis ensemble. Le même scénario se reproduisait invariablement. Il m’appelait, je le retrouvais, entouré de gens et, à la fin de la soirée, il se contentait de me planter un bec sur chaque joue. Une fois, je me rappelle avoir débarqué dans un resto où il était assis avec trois autres acteurs célèbres, de grosses pointures de l’Actors Studio. Là, je l’avoue, j’ai été intimidée. Ils parlaient fort avec leurs accents new-yorkais, et moi, j’essayais tant bien que mal de saisir quelques mots au vol. Les amis de John m’ont demandé si j’étais actrice. J’ai dit que non, bien sûr. Ils ont eu l’air perplexes. Ils devaient se demander ce que je faisais là!

Mes rapports avec John lui-même étaient faciles, naturels. «J’aime être avec toi parce que tu t’en fous de qui je suis», me disait-il souvent. De mon côté, j’adorais passer du temps avec lui. J’aimais sa compagnie, sa conversation, sa galanterie… mais je ne ressentais toujours aucun désir envers cet homme qui avait plus du double de mon âge.

Quand le tournage s’est terminé, je pensais que notre histoire – d’amour ou d’amitié, je ne savais pas – s’arrêterait là. Pas du tout. Quelques semaines après son départ de Montréal, il m’a appelée de Moscou. C’était fou, la vie qu’il menait! J’avais beau ne pas le désirer, j’étais tout de même séduite. Par son mode de vie jet-set et par l’impression qu’à ses côtés tout était possible, bien sûr. Par ses attentions, surtout: il m’appelait souvent, s’intéressait à moi, m’écoutait attentivement. En plus, il ne me faisait sentir absolument aucune pression. Jamais, pas une seule seconde, je n’ai eu l’impression qu’il se demandait pourquoi on ne couchait pas encore ensemble.

Quelques semaines plus tard, je suis allée le voir à New York. Au début, j’avais refusé qu’il paie mon billet d’avion, mais comme tout l’argent que je gagnais servait à payer mes études et que, du coup, je tardais à le visiter, il avait fini par insister: «Écoute, c’est comme si je t’invitais à dîner, sauf qu’au lieu d’être à Montréal, on sera à New York.» Sur place, il m’avait réservé une chambre dans un hôtel très chic. Ce que j’étais stressée cette nuit-là! Je n’arrêtais pas de me demander si ma carte de crédit allait résister aux prix prohibitifs d’une suite à Manhattan! Le lendemain, pendant le souper, John m’a glissé une enveloppe comme si de rien n’était. Il y avait là de quoi payer la chambre et le billet d’avion. J’étais contente d’y trouver le montant exact que ça coûtait, pas un dollar de plus. C’est difficile à comprendre, je le sais, mais tant qu’il payait mes dépenses sans me payer, moi, je ne me sentais pas comme une pute. Aujourd’hui, je crois que je ne pourrais plus agir comme ça (j’aurais trop l’impression de le mener en bateau!), mais à l’époque, j’étais jeune, curieuse, et j’espérais sincèrement qu’au bout du compte il se contenterait de mon amitié.

Un jour, tout de même, John a eu envie d’accélérer les choses. Il m’a invitée dans son penthouse à Manhattan et, dans l’ascenseur, il s’est jeté sur moi pour m’embrasser fougueusement. J’ai bafouillé des excuses en lui disant que je n’étais pas prête. On s’est embrassés à deux ou trois autres reprises, mais chaque fois, j’étais distante, et ça n’allait pas plus loin. Peu à peu, les rumeurs au sujet de notre histoire ont grossi, jusqu’à parvenir aux antennes de certains médias. Une journaliste d’un grand quotidien m’a contactée, et la productrice de l’émission à laquelle je travaillais aussi. Elles voulaient que j’insiste auprès de John afin qu’il leur accorde une entrevue. Quand elles m’ont fait part de leurs demandes, je me suis sentie mal à l’aise: d’un côté, je voulais percer dans le milieu des médias, de l’autre, je voulais rester loyale envers John. J’ai fini par lui demander conseil. «Tu leur diras que, si elles veulent vraiment m’interviewer, elles n’ont qu’à passer par mon agent, m’a-t-il répondu. Tu n’as pas à me demander ça à leur place.» La productrice de mon émission n’a pas du tout apprécié…

Le seul truc de ce genre qu’il ait fait pour moi, c’est de signer une assiette dans le resto où je travaillais le soir. Après ça, je peux vous dire que mon patron me vénérait! Il n’arrêtait pas de me dire: «Sof’, tu couches avec lui? Non? T’es conne ou quoi? Même moi, je coucherais avec lui!»

Puis, un jour, le moment décisif est arrivé. On était à New York, c’était l’été. Ça faisait un an qu’on se voyait.

«Sofia, je voudrais aller plus loin avec toi», m’a-t-il dit tout doucement.

Je suis restée silencieuse pendant quelques instants. «Alors, ça va s’arrêter là», ai-je répondu. Il a dit qu’il le sentait depuis longtemps et qu’il allait respecter ma décision. C’était vraiment un type formidable! Quel dommage que je ne sois pas tombée amoureuse de lui…

Cette coupure m’a fait beaucoup de peine, mais elle m’a aussi soulagée. Je n’avais plus envie de le faire languir. Je l’aimais trop pour ça. Ç’a été drastique: du jour au lendemain, on a cessé de communiquer. Il le fallait. Trois mois plus tard, j’apprenais que les tours du World Trade Center étaient tombées. J’ai tout de suite appelé John:
– John, tu vas bien?
– Oui, ma chérie, je vais bien, ne t’en fais pas.

C’est l’une des dernières fois qu’on s’est parlé. Peu après, j’ai rencontré l’homme qui allait devenir mon mari. Il n’était pas riche, il ne menait pas une vie jet-set et il avait exactement le même âge que moi, mais quelque chose en lui me rappelait John. Mais ça, évidemment, il n’y a que moi qui le sais.

*Noms fictifs.

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