Je ne suis pas une groupie, ça n’a jamais été dans ma nature. Mais je me reconnais, à bien des égards, dans la pièce
La groupie du pianiste, de Michel Berger. Comme la pauvre fille de la chanson, j’ai passé des nuits à attendre l’artiste que j’aimais. Comme elle, j’ai oublié que j’existais. Comme elle, j’ai été amoureuse d’un égoïste.

Mathieu avait toujours gravité autour du même milieu que moi, mais c’est à un souper organisé par des amis communs qu’a eu lieu notre première vraie rencontre. À l’époque, il n’était pas le chanteur connu qu’il est aujourd’hui. Même si sa carrière commençait tout juste à décoller, sa réputation d’homme à femmes était, quant à elle, déjà bien établie.

De mon côté, je sortais d’une relation destructrice avec quelqu’un qui me trompait. J’étais loin d’être prête à m’investir dans une nouvelle histoire, encore moins avec un tombeur notoire. Je n’aimais pas sa musique, et il ne me plaisait pas particulièrement physiquement. Ça partait mal.

Malgré tout, j’étais intriguée par l’effervescence, l’inconnu et, avouons-le, le côté glamour associés à l’univers dans lequel il évoluait. Les compliments qu’il me faisait et l’attention qu’il me donnait mettaient du baume sur mon petit coeur brisé. Il savait séduire, il savait quoi dire…

Bien décidée à ne pas m’attacher, j’ai donc ouvert avec lui une parenthèse amoureuse que je pensais pouvoir refermer à tout moment. Je ne savais pas que lorsqu’on dispute une partie contre un amoureux professionnel, on perd vite l’avantage… Dès le début de notre relation, il m’a fait sentir comme si j’étais la seule femme du monde, la plus belle, la plus aimée. Bien sûr, je n’étais pas dupe: je me rappelais toujours sa réputation de séducteur. Bien sûr, je ne m’attendais pas à ce qu’il change pour moi.

… Ou, peut-être, juste un peu.

Après quelques semaines de fréquentations pas trop sérieuses, je suis partie en voyage à l’étranger pendant plusieurs mois. Nous nous manquions tellement qu’il a eu tôt fait de venir me retrouver. Nous avons passé trois semaines idylliques ensemble, et notre amourette s’est changée en grand amour. Celui qui rend heureux, celui qui rend fidèle. Celui qui rend aveugle.

À mon retour au Québec, nous avons emménagé ensemble. À l’image de notre relation, sa carrière avait soudainement le vent en poupe. Quelques-unes de ses chansons jouaient régulièrement à la radio, son album marchait très fort, on le voyait partout. Notre appartement était souvent plein de musiciens, de chanteurs ou de célébrités que je n’avais jusque-là aperçus qu’à la télé. Je n’avais qu’à tendre le bras pour toucher à une bière ou à une ligne de poudre. J’avais toujours refusé d’essayer la cocaïne avant qu’il m’en propose mais, avec lui, j’avais décidé de tout vivre à fond, de m’abandonner à l’insouciance.

Je l’aimais tellement que je voulais lui ressembler, le rejoindre, ne rien lui refuser. Je ne voulais pas tout gâcher.

«Ne gâche pas tout», c’est justement ce qu’il m’a demandé lorsque je l’ai surpris, durant une de ces fameuses fêtes, dans notre lit avec une autre fille. Il a ajouté: «Soit tu nous rejoins, soit tu t’en vas. J’ai pas le goût que tu fasses une crise, là.» Je ne les ai pas rejoints. Mon goût de vivre une vie trépidante avait ses limites. J’ai préféré jouer la fille cool et faire bonne figure en allant tenir compagnie aux invités massés dans notre salon. Limiter les dégâts, et ne pas ajouter l’humiliation publique à la colère, au chagrin et à la déception.

L’évidence m’avait laissée écrasée, comme sous un piano: il n’avait pas changé pour moi. Je n’avais pas suffi. Bien sûr, il s’est excusé le lendemain. Il m’a promis qu’il ne recommencerait plus, et j’ai eu envie de le croire. Avec lui, tout semblait sans conséquence. Je ne l’ai donc pas quitté. Connaissant sa nature, son besoin maladif de séduire et de plaire, je lui ai même donné le droit de me tromper, à certaines conditions. Il n’avait mon accord pour coucher avec une autre que lorsqu’il était en tournée et surtout, surtout, il devait être honnête et me l’avouer quand ça arrivait. Ce drôle de compromis trouvé, nous avons continué de filer le (presque) parfait amour…

Nos rares moments à jeun, nous les passions à parler de lui: de sa musique, de ses peurs, de ses envies, de son nombril…

Mon existence entière était centrée sur ses tournées, ses enregistrements, ses questionnements. Ma seule récompense, inestimable et précieuse, c’était lorsqu’il me disait que j’étais belle et qu’il m’aimait. Évidemment, ses promesses et mes conditions ont fini par prendre le bord. Je trouvais des condoms dans ses poches, j’interceptais des SMS de fillesqui le remerciaient pour leur nuit d’amour, j’entendais des rumeurs… Lorsque je lui demandais des comptes, il niait tout en bloc en me servant des excuses de plus en plus abracadabrantes. Parfois, il allait jusqu’à plaisanter, comme lorsque nous avons parlé d’avoir un enfant: «Si on fait un bébé, j’aimerais que tu ne me trompes pas pendant que je serai enceinte», ai-je dit. «Mais pour ça, ma chérie, il faudrait que je me cloître!» a-t-il répondu avec sérieux.

Si j’ai ri, à ce moment-là, ce n’est pas parce que je l’ai trouvé drôle. Ça devait être la petite partie de moi encore lucide qui trouvait tout ça parfaitement ridicule: «Allume, idiote!» Il a fallu encore de nombreux affronts, de nombreux mensonges, pour que je me décide à le quitter. La première fois que j’ai essayé de partir, notre rupture n’a pas duré longtemps. Il avait déménagé et respecté mon souhait de prendre des distances, ne donnant pas signe de vie pendant environ un mois. Je pensais me sentir misérable et perdue sans lui, mais j’ai plutôt constaté que je me sentais libre. Je pouvais m’endormir sans me demander s’il était avec une autre. Je pouvais me regarder dans le miroir et voir autre chose que seulement «sa blonde». Un soir, en rentrant chez moi, je l’ai trouvé couché dans mon lit, avec une amygdalite. «Je ne peux pas vivre sans toi.» J’aurais dû les mettre à la porte, lui et ses amygdales enflées, mais j’ai joué à l’infirmière. Moi qui pensais avoir regagné mon indépendance, j’ai sauté sur la première occasion de le retrouver. Il avait besoin de moi? J’accourais. Promesses, tromperies… Quelques semaines plus tard, nous étions revenus au même point qu’avant la rupture. Puis, il y a eu un dernier mensonge. Nous devions passer la soirée ensemble à son retour d’une tournée. Après l’avoir attendu pendant des heures, j’ai appelé son agent, ses amis, ses musiciens… Personne ne savait où il était. Lorsqu’il a finalement refait surface le lendemain, il a prétexté que leur avion n’avait pas pu décoller. C’est ça, oui!

J’en avais assez de souffrir et, pour que ça s’arrête, il fallait absolument que je sache tout. J’avais besoin d’annihiler tout risque de le croire à nouveau. Alors que j’avais toujours refusé d’affronter la réalité, j’ai lu son journal intime. Elles étaient toutes là, couchées sur papier. Il y parlait de ses frasques, de ses femmes, de ses trophées… Chaque aveu me faisait verser des larmes.

C’était fini pour de bon. L’idiote que j’étais avait enfin «allumé». En une semaine, j’ai déménagé, coupé tout contact avec son monde, son milieu, sa vie. Il a bien essayé de me retenir mais, pour la première fois, j’ai choisi mon bien-être au lieu du sien. Un bien-être aigre-doux, puisque c’est à ce moment-là que j’ai découvert que je n’étais pas accro qu’à lui, mais également à la cocaïne. C’est là que mon vrai enfer a commencé. J’ai pris un temps fou à me relever, à me reconstruire et à guérir de ma dépendance. Je me suis juré de ne plus jamais consommer, d’éviter les musiciens et, surtout, de ne plus accepter de me faire traiter ainsi.

Quelques années plus tard, j’ai tenu deux résolutions sur trois: je ne me drogue plus et je vis avec l’amoureux le plus parfait du monde. Il est fidèle, aimant, il me rend heureuse… et il m’appelle tous les jours lorsqu’il est en tournée! Vous l’aurez compris: l’amour, le vrai, celui qui ne détruit pas, celui qui aide à grandir et qui fait sourire, ce n’est pas un chanteur de charme qui me l’a fait connaître. Cet amour-là, je le vis chaque jour avec le batteur tatoué d’un groupe punk. Ironique, n’est-ce pas?

 

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