Jouir? J’avais presque oublié ce que le mot voulait dire! Le pire, c’est que je m’étais faite à l’idée… Après tout, j’étais remariée depuis six ans; mon fils de 20 ans était parti vivre sa vie. J’approchais dangereusement de la mi-quarantaine, avec la pénible impression d’avoir joué toutes mes cartes côté séduction. J’avais presque le sentiment d’être devenue transparente, avec mes rides et mes kilos en trop. Alors, vous pensez bien que les nuits torrides, les p’tites vites excitantes avec James, mon mari, ou les dépenses folles en lingerie sexy étaient loin de mon esprit!

Ça, c’était jusqu’à ce que ma bonne copine Karen, la plus flyée de la gang, me refile 50 nuances de Grey, le bestseller érotico-porno dont tout le monde parlait. «OK, je sais que tu n’es pas fana de ce genre de livre. L’écriture, l’histoire, l’héroïne… c’est nul, a-t-elle admis tout de go. Mais, je te le dis, Susan, ce roman est vraiment hot!»

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Ce que Karen avait omis de me préciser, c’est qu’il fallait se farcir plus de 150 pages d’insignifiances avant que la relation de domination-soumission entre Anastasia, la jeune étudiante vierge, et son «maître», le riche et beau Christian Grey, devienne un tant soit peu intéressante. Mais une fois que les choses ont commencé à se corser… disons que j’ai vite oublié mes réserves! Soudain, j’ai eu du mal à lâcher le livre. Je le traînais partout, jusque dans mon lit! Je me suis même caressée en lisant une scène particulièrement émoustillante, aux côtés de mon mari, James, qui s’était endormi pendant le téléjournal (ça vous donne une idée de notre libido… dodo).

Ce qui aurait pu rester un simple plaisir de lecture (j’ai dévoré le roman en quatre jours et j’ai immédiatement couru m’acheter le deuxième tome) a commencé à prendre de plus en plus de place dans ma tête. Je pensais à des scènes olé olé dans le train, pendant les réunions interminables au bureau et dès que j’avais un moment à moi dans la journée. Je fouillais en secret les sites Internet pour en savoir plus sur le bondage, le sadomasochisme et les accessoires nécessaires, comme le corset, la cravache, le collier en cuir, les sangles… Ça nourrissait mes fantasmes. Je m’imaginais me faisant fouetter par James. Je sais, j’aurais pu rêver de Christian Grey, de Brad Pitt ou même d’un parfait inconnu, mais c’était à mon mari que je pensais. Peut-être avais-je encore du désir pour lui? Quoi qu’il en soit, je chassais vite ces images de soumission de ma tête, car mon homme avait beau être un bon amant (dans mon souvenir, en tout cas!), il était vraiment straight au lit. Avec le recul, c’était bien mal le connaître!

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Un soir où j’étais seule à la maison, j’ai commandé des menottes et un collier en cuir. Moi, la femme mariée, chef d’un service de marketing pour une grande société, en train de faire du shopping sur un site BDSM? Oui, madame! Et je tripais comme une petite folle! Une semaine après leur livraison, j’ai rangé les objets «interdits» dans un coin de mon walk-in, le coeur battant, en attendant le bon moment. Ce dernier s’est présenté au retour d’un tête-à-tête bien arrosé avec James dans notre resto italien préféré. J’avais préparé soigneusement mon scénario – comment je m’habillerais, comment je lui demanderais de me passer les menottes, comment je le mettrais devant le fait accompli. Je n’avais pas envie de discuter de notre séance sadomaso longtemps à l’avance; j’ai préféré passer à l’acte tout de suite. C’est ainsi que je me suis retrouvée, maladroite et rouge de désir, menottée à la tête du lit, collier en cuir au cou, en lingerie de dentelle et en cuissardes de latex noir, face à mon James, excité comme jamais! D’accord, je n’ai pas eu d’orgasmes ridiculement multiples comme dans le roman de E. L. James, mais disons qu’une fois le malaise et le sentiment d’étrangeté passés, j’ai pris mon pied!

Le lendemain, je me suis réveillée seule dans le lit. J’entendais James faire du café (les habitudes des gens mariés reviennent au galop!) et je me sentais tout à fait bien. J’apercevais mon soutien-gorge, mon collier, mes menottes étalés sur le tapis de la chambre… et je souriais. On a très peu reparlé de notre nuit, James et moi, mais on a vite recommencé. Peu à peu, on est devenus plus à l’aise, maîtrisant de mieux en mieux nos rôles. On a même rédigé un contrat, comme dans le livre et comme le veut la tradition des relations de domination-soumission, afin de respecter nos limites respectives. Par exemple, James ne pourra jamais m’infliger certaines punitions, comme l’étranglement des seins, car ce genre de douleur, très peu pour moi. Mais pour le reste, on laisse aller notre imagination. Je dirais même que nos jeux, dont j’ai mis un certain temps à parler à ma copine Karen, ont éveillé d’autres envies, comme celle d’inventer des scénarios et de les écrire dans un magnifique cahier en cuir rouge qu’on a fait fabriquer par un artisan.

Il y a quelques semaines, je me suis initiée au tournage vidéo, car j’avais très envie de filmer nos ébats. Pas pour les revoir bêtement, mais pour raffiner nos techniques, si j’ose dire. Qui sait, je finirai peut-être par me lancer dans la production de films XXX pour les filles désireuses d’expérimenter ce genre de relations!

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On dit souvent que les femmes ne sont pas visuelles, que les images de sexe ne les titillent pas. C’est faux. Enfin, c’est aussi réducteur que d’affirmer que les végétariens qui refusent un filet mignon n’aiment pas manger! Si on propose aux femmes des images qui aiguisent leur appétit et leur désir, qui se rapprochent du film érotique qu’elles se passent dans leur tête… je suis convaincue qu’elles seront séduites! D’ailleurs, afin de mieux cerner les désirs des femmes plus mûres (on reconnaît la directrice marketing en moi!), j’ai organisé un cocktail avec des amies sur le thème du fameux roman, qu’elles devaient toutes avoir lu, évidemment. Vous auriez dû voir les discussions! Mes invitées étaient en feu! L’une fondait pour Grey, une autre le traitait de pervers narcissique fini, une autre encore enviait Anastasia… Mais pas un mot quand j’ai demandé à quand remontait la dernière fois où elles avaient fait l’amour les yeux bandés! Ouais…

Les critiques ont beau décrier le genre mommy porn (porno pour mères de famille) en général et ce livre en particulier, je crois quant à moi que ça répond à un vrai besoin. Couplet sur le féminisme mis à part, je peux dire que mes jeux de domination-soumission me libèrent d’un tas de choses. Comment dire, ils me permettent de m’abandonner, de cesser de tout maîtriser. Moi qui suis toujours en train de prendre les devants et de planifier les choses, je me laisse enfin guider par le désir de mon compagnon, qui se délecte dans sa position de domination. Évidemment, comme on sait très bien tous les deux que c’est un jeu, on retrouve nos rôles de mari et de femme qui s’aiment et se respectent dès qu’on détache les sangles ou qu’on range la cravache. Les valeurs qui constituent les fondements de notre couple, comme le respect et la collaboration – et j’insiste pour dire qu’elles ont absolument lieu d’être dans la vie de tous les jours -, eh bien, elles laissent la place à autre chose quand on fait l’amour. L’égalité cède la place à la volupté, et la raison, aux frissons. Ça nous permet de repousser les limites du plaisir. Et après six ans de mariage, j’avoue que tous les chemins sont bons pour entretenir le désir! Au fait, je n’ai jamais terminé la fameuse trilogie de Grey: Karen avait raison, l’écriture est vraiment nulle! Entre nous, je préfère vivre mon propre roman érotique et en repousser sans cesse la fin…

Vous vivez une histoire particulière et aimeriez la partager avec nos lectrices? Une journaliste recueillera votre témoignage. Écrivez à Martina Djogo | [email protected] ELLE QUÉBEC | 1100, boul. René-Lévesque Ouest, 24e étage, Montréal (QC) H3B 4X9

 

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