«François avait des ancêtres scandinaves, mais rien en commun avec eux. […] Il devait passer pour prendre un verre et quelques bouchées chez moi avant que nous ne sortions voir un spectacle musical. François était un jeune loup affamé. Il me mangeait des yeux avant même que ses doigts aient touché ma peau. Je voulais m’installer au salon pour discuter, l’apprivoiser, le connaître, mais il me sauta littéralement dessus, mordant et léchant chaque parcelle de peau nue qui dépassait de mes vêtements. Je n’ai pas compris sa fureur, celle qui appartient habituellement aux amants avides l’un de l’autre. Je n’avais même pas eu le temps de me demander si je le désirais que ses doigts frottaient déjà mon sexe. J’ai essayé de ralentir le rythme, mais au bout de quelques minutes, il a recommencé à être frénétique…» Envie d’en lire plus? Allez faire un tour sur
alysscensored.blogspot.com
. C’est le blogue d’Alyss, qui écrit des «mots doux, tendres, durs, crus, sensuels; créateurs d’images, de fantasmes, parfois réels, parfois fictifs» au sujet de sa vie sexuelle.

Elle n’est d’ailleurs pas la seule à relater ses expériences coquines – réelles ou imaginaires – sur le Web. En effet, les blogues érotiques féminins y foisonnent. Certains sont poétiques, d’autres, plutôt crus; d’autres encore sont émaillés de photos, comme celui d’Akivaria, qui présente des clichés d’elle-même en dessous affriolants.

 

 

Confidences osées

Mélodie Nelson est une Montréalaise de 22 ans qui raconte ses soirées arrosées et ses nuits folichonnes dans sa page personnelle. Quand on lui demande ce qui la pousse à dévoiler ainsi son intimité, elle répond que c’est la place importante qu’occupe la sexualité dans sa vie. «Je trouve que c’est sain de laisser mes envies s’épanouir, qu’elles soient romantiques ou pas, comme celle de faire une fellation dans une voiture», confie-t-elle. Elle avoue aussi exagérer parfois ses histoires: lorsqu’elle sort avec ses copines dans les bars, elle ne se retrouve pas systématiquement à batifoler avec elles dans les toilettes.

 

La suite: Un journal "extime"

Victoria Welby, qui publie dans son site des billets succincts et allusifs, mais toujours très sensuels, explique pour sa part: «J’ai rarement trouvé de la littérature érotique ou pornographique qui m’allume. Du coup, j’ai eu envie d’en produire.» Quant à Alyss elle confie: «Le sexe est le seul sujet qui me motivait à écrire de façon régulière.»

Cela dit, que ces blogueuses aientdes aspirations littéraires ou non, toutes s’entendent pour dire que, si leurs textes sont parfois inspirés de leur vécu, ils ne constituent pas un journal intime. «Je tiens un journal, mais je le garde pour moi», déclare à ce sujet Anne Archet, qui met en ligne des anecdotes lestes et des poèmes grivois depuis maintenant 10 ans. Les lecteurs de Rue 69, la rubrique coquine du webzine français Rue 89, ont d’ailleurs décerné le titre de «troisième meilleur blogue sexe» à son site archet.net.
«Reste à voir si c’est bien un blogue érotique», se demande la Québécoise, qui dit y publier aussi ses réflexions anarchiques.

 

Journal «extime»

«Le blogue n’est pas un journal intime, assure le psychiatre français Serge Tisseron, auteur de Virtuel, mon amour, un essai sur les relations interpersonnelles à l’ère des nouvelles technologies. Il s’agit plutôt de ce que j’appelle un journal "extime", "l’extimité" étant le fait de dévoiler des pans de son intimité à un ou à des interlocuteurs afin de la valoriser. «Le désir de se révéler en relatant des expériences sexuelles ou en présentant des photos osées de soi dans le Web est étroitement lié à un besoin de renforcer son estime de soi, poursuit le psychiatre. Tout le monde a envie d’être reconnu et, grâce à Internet, on peut faire en sorte de capter l’attention de beaucoup de personnes.» Mélodie Nelson, dont les écrits, qu’elle qualifie d’«érotiques au troisième degré», attirent de 500 à 1000 visiteurs par jour, confirme: «J’adore savoir que j’excite les gens. C’est un bon ego boost

 

 

La suite: Liaisons dangereuses?

Akivaria, qui affiche sur son site des photos d’elle en lingerie, admet: «Au début, mon blogue m’aidait à avoir confiance en moi, par rapport à mon physique.» Dans un billet publié il y a quelques mois, elle confiait d’ailleurs ceci: «Si j’en suis venue à la photo, c’est parce que je ne me supporte pas dans un miroir.» Dans un autre billet, elle disait aussi que certains de ses lecteurs l’exaspéraient: «[Les mecs] pensent que, parce que je fais des photos dénudée, ou en lingerie, je suis forcément une fille qui voudra parler de sexe et uniquement de ça, que je serai très ouverte pour parler de ma vie sexuelle.» Serge Tisseron affirme que ce n’est pas parce que des femmes racontent leurs exploits sexuels sur le Web qu’elles ont envie de faire l’amour devant tout le monde. Selon lui, aucune de ces blogueuses ne voudrait réellement renoncer à son intimité. «La meilleure manière de donner du sens à une expérience intime, c’est de la raconter, que ce soit avec des mots ou des photos. Quand on a vécu quelque chose de très fort et qu’on y repense, on a très vite l’impression que ce souvenir nous échappe, explique-t- il. Mais, lorsqu’on commence à en parler à quelqu’un et qu’on voit qu’il est attentif, ça nous incite à aller jusqu’au bout du récit. En fait, la meilleure façon de se raconter une histoire à soi-même, c’est de la raconter à quelqu’un d’autre.»

Liaisons dangereuses?

Aucun doute que le côté «vécu» de ces sites pimente la lecture des internautes… Il n’en reste pas moins que, si ces récits sont parfois autobiographiques, ils demeurent «une "fictionnalisation" des expériences personnelles», explique Kim Sawchuk, qui enseigne les communications à l’Université Concordia. La professeure fait d’ailleurs remarquer que les liens entre autofiction et érotisme existaient avant la création du cyberespace. Il suffit de se rappeler les journaux d’Anaïs Nin, une des premières femmes à avoir publié dans les années 1960 des écrits inspirés de sa vie sexuelle. «Par contre, les blogues proposent quelque chose de nouveau: ils permettent de combiner des images, du texte et d’autres médias. Et puis, et surtout, ils donnent l’occasion d’entretenir une interaction avec les lecteurs», poursuit-elle. Anne Archet indique justement que sa relation avec son lectorat est ce qui la motive le plus. «Le fait de présenter mes textes dans mon site est infiniment plus intéressant que de publier un bouquin dans une maison d’édition, parce que les gens écrivent des commentaires dans ma page et que j’ai un contact direct avec eux.» C’est aussi cette interactivité, en plus de la gratuité et de l’accessibilité des blogues, qui pousse de nombreux lecteurs à surfer sur le Web plutôt qu’à acheter des livres érotiques. Les internautes ont également l’impression qu’ils pourront facilement entrer en relation avec les auteures. La plupart des blogueuses interrogées soutiennent en effet qu’elles répondent aux courriels et aux commentaires qu’on leur envoie. Victoria Welby affirme même que certains de ces échanges lui ont inspiré des billets, et Alyss avoue qu’elle a rencontré son amante actuelle grâce à son site. Toutefois, ces communications peuvent constituer un couteau à double tranchant, comme l’a constaté Anne Archet. «Un Français a pris l’avion pour venir, avec une bague et une bouteille de champagne, me faire la grande demande. Depuis, je suis devenue prudente… et invisible.» Pour elle, l’anonymat est capital.

 

La suite: Blogues engagés

Il l’est aussi pour Alyss, dont la famille est très prude, et pour Akivaria, qui veut se préserver du jugement de son entourage… et des mauvaises rencontres. «En posant à visage découvert, j’aurais peur qu’on me harcèle. Après tout, on ne sait pas sur qui on peut tomber», dit-elle. Victoria Welby, elle, ne tient pas à conserver l’anonymat. Toutefois, elle souligne qu’il est primordial d’avoir recours à un avatar. «Je suis et je ne suis pas Victoria Welby. Je le suis, parce que j’écris avec mes tripes, au gré de mes émotions, de mes expériences, de mes désirs, de mon plaisir. Et je ne le suis pas, parce que Victoria finit par être un personnage qui m’échappe, qui possède une vie propre.» Serge Tisseron considère toutefois que publier des textes de ce genre, même sous le couvert de l’anonymat, c’est toujours s’exposer; d’autant plus que, sur Internet, la critique est loin d’être tendre. «L’anonymat ne protège pas contre le risque d’être blessé, prévient-il. Il faut garder en tête que nos interlocuteurs ne sont pas nécessairement ce qu’ils prétendent être et que, justement, parce que leur identité demeure secrète elle aussi, ils sont souvent beaucoup plus intrusifs et agressifs qu’ils le seraient dans la réalité.»

Blogues engagés
Certaines femmes tiennent un blogue érotique pour avoir une meilleure estime d’elles-mêmes, agrémenter leur vie sexuelle ou, simplement, développer leur talent littéraire. Victoria Welby, elle, le fait aussi dans une perspective féministe. «La sexualité des femmes telle qu’elle est présentée dans les médias et les productions culturelles est souvent clichée et répétitive, voire pas du tout réaliste, déplore-t-elle. J’ai envie de rendre compte d’une partie de la réalité qui est trop souvent tue.»

C’est aussi le désir de faire connaître la sexualité sous toutes ses formes qui motive la journaliste Agnès Giard à tenir depuis 2007 le blogue Les 400 culs  pour le compte du quotidien français Libération. «Parler de sexualité simplement pour titiller les gens, ça ne m’intéresse pas!» s’exclame celle qui, dans ses entrevues et ses articles, présente le sexe sans tabou et sous toutes ses coutures. «Je veux montrer qu’il y a une grande diversité de fantasmes, de désirs, et que c’est cette diversité qui fait l’intérêt de la sexualité humaine.»

«Les réactions de certains lecteurs montrent qu’il y a encore du chemin à faire et que c’est un vrai combat», poursuit-elle, avant d’ajouter qu’elle reçoit aussi des commentaires d’internautes qui la remercient de les aider à mieux comprendre leur sexualité. «De la même manière qu’on a revendiqué la liberté de pensée, maintenant il faut revendiquer la liberté de fantasmer», lance-t-elle. Si on se fie à la multitude de blogues qui osent enfin parler de sexe, on serait tenté de croire que, s’il y a révolution, elle a lieu sur le Net!

 

 dixblogues.jpgÀ consulter: 10 blogues qui parlent de sexe!