Le Viagra, un médicament contre les problèmes érectiles commercialisé en 1998, a changé la vie de bien des hommes et provoqué un raz-de- marée dans l’industrie pharmaceutique. Dans les années suivant sa mise en marché, les médecins le prescrivaient plus de 200 000 fois par semaine. Preuve que le Viagra n’a pas profité uniquement aux hommes en andropause auxquels il était d’abord destiné: en 2012, les profits générés par la vente de la petite pilule bleue ont atteint deux milliards de dollars.

Depuis, de nombreuses compagnies pharmaceutiques se sont lancées dans la course pour trouver son équivalent féminin. La grande gagnante? La société japonaise Shionogi, qui vient de mettre au point un médicament oral, l’Osphena. Ce Viagra rose, destiné aux femmes ménopausées, reproduirait l’effet de l’oestrogène dans le vagin. Il préviendrait ainsi les douleurs qui peuvent survenir pendant les relations sexuelles en agissant contre la sècheresse et l’atrophie des tissus.

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Bien que l’Osphena n’ait pas obtenu l’approbation de Santé Canada, il a reçu au printemps dernier celle de la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis et est maintenant vendu chez nos voisins du sud. Au dire de ses créateurs, pas moins de 30 millions d’Américaines ménopausées pourraient en bénéficier.

Le hic, c’est que certains spécialistes ont des doutes sur son efficacité. Tout d’abord, contrairement à ce que suggère Shionogi dans son dépliant publicitaire, rien n’indique que ces douleurs connues sous le nom savant de dyspareunie seraient liées à la baisse d’hormones survenant à la ménopause. En 2008, dans le cadre de son doctorat en psychologie à l’Université McGill, Alina Kao n’a trouvé aucune corrélation entre le déclin des oestrogènes et les douleurs ressenties au cours des relations sexuelles. «D’autres recherches ont même démontré que c’est avant l’âge de 30 ans que les femmes souffriraient le plus de dyspareunie», ajoute Sophie Bergeron, professeure en psychologie à l’Université de Montréal et spécialiste des douleurs gynécologiques.

Autre problème: l’Osphena n’est pas un bonbon inoffensif. Sur la notice du médicament, la liste des effets secondaires liés à son utilisation n’a rien de rassurant: risque accru de cancer du col de l’utérus, d’infarctus, de thrombose veineuse; augmentation possible des bouffées de chaleur, incompatibilité avec le traitement des infections à levures….

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«Même si l’Osphena peut être utile et efficace pour certaines femmes, on doit faire preuve de prudence par rapport à tout nouveau produit de ce type», indique Lydya Assayag, directrice du Réseau québécois d’action pour la santé des femmes. Ce qui inquiète aussi l’experte, c’est que l’industrie pharmaceutique tend à présenter la ménopause comme un problème à traiter. «C’est vrai qu’il s’agit d’une période de changement pour les femmes. Elles doivent s’adapter au déclin de leur production hormonale, tout comme au départ des enfants de la maison, à la retraite qui se profile… Mais la ménopause n’est pas une maladie!»

Une pilule pour raviver la libido

Il n’en demeure pas moins qu’à notre époque qui glorifie la jeunesse et la performance – y compris au lit -, l’industrie pharmaceutique veut nous convaincre qu’elle détient la clé pour améliorer notre vie sexuelle. À cet effet, ses porte-paroles martèlent depuis des années que 43% de la gent féminine souffrirait de «dysfonctions sexuelles». Le journaliste Ray Moynihan, du British Medical Journal, avait pourtant révélé que ce pourcentage provenait d’une simple étude – réalisée en 1999 et mille fois citée – au cours de laquelle on avait demandé à 1500 femmes si elles avaient vécu des pannes de désir ou un manque de lubrification pendant les deux derniers mois. Or, personne n’avait pris la peine de vérifier si, durant cette période, ces dernières avaient traversé des moments difficiles comme un deuil, un accouchement, une maladie ou une séparation. Des circonstances qui peuvent vraiment affecter la sexualité des femmes.

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Daniel Bergner, journaliste du New York Times Magazine, s’est intéressé à la complexité du désir féminin dans son essai What Do Women Want? Selon lui, il n’est pas surprenant que l’industrie pharmaceutique soit obsédée par la recherche d’un médicament lié aux dysfonctions sexuelles chez les femmes. «La mise en marché du Viagra en 1998 a montré qu’une seule pilule pouvait rapporter une gigantesque somme d’argent», rappelle-t-il. Il croit qu’aujourd’hui la véritable mine d’or serait la mise au point d’un médicament ciblant la libido des femmes. Un défi qu’aucun acteur de l’industrie n’est parvenu à relever jusqu’à présent. Il faut dire que le Viagra remédie aux problèmes érectiles en agissant sur la circulation sanguine, ce qui équivaut à régler un simple problème de «tuyauterie», tandis que s’attaquer à la psyché des femmes est beaucoup plus complexe.

Un chercheur néerlandais pourrait toutefois remporter le pari. Après des années de recherche, Adriaan Tuiten a mis au point Lybrido, une pilule qui parviendrait à raviver l’appétit sexuel des femmes. Son atout: en plus de contenir du sildénafil, la fameuse composante du Viagra qui active la circulation sanguine, elle miserait sur la testostérone afin de stimuler les zones du cerveau responsables du désir. Pour l’instant, les résultats des essais cliniques sont positifs et, si tout va bien, ce Viagra rose pourrait être commercialisé dès 2016.

Le Lybrido améliorera-t-il réellement notre vie sexuelle? Nul ne le sait. Mais les bonzes de l’industrie pharmaceutique doivent déjà saliver en pensant aux profits qu’ils vont encaisser.

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