«Quelle est la durée moyenne d’une relation sexuelle?» «Combien d’orgasmes puis-je avoir en une nuit?» «Les préliminaires, ça doit durer combien de temps?»… se demandent plusieurs sur Internet, dans les courriers de lecteurs ou les émissions de télé dédiées à la sexualité. C’est dans l’air du temps. On parle chiffres et performances quand on aborde la sexualité, laquelle est évaluée, mesurée, quantifiée… comme les autres activités de notre vie. Il faut manger vite, travailler plus, s’amuser efficacement.

«Écoutez les conversations masculines, il n’y est question que du nombre de femmes, du nombre de fois, du nombre de positions. Toujours des nombres», explique Alberto Vitale dans Éloge de la lenteur, de Carl Honoré. Celui qui a fondé le mouvement Slow Sex, en 2002, poursuit: «Vous allez au lit avec une liste d’étapes à franchir. Vous êtes trop impatient, trop centré sur vous-même pour véritablement apprécier le sexe.» Pour cet Italien originaire de Bra – qui est aussi la ville natale du fondateur du Slow Food –, la solution est simple: il faut ralentir! Et prôner la «décélération érotique» pour sauver les rapports amoureux de «la frénésie insensée de notre monde fou et vulgaire».

Entrée ou dessert?
Mais que signifie la notion de lenteur dans le domaine sexuel? «Il faudrait peut-être se demander d’abord ce que veut dire l’indicateur temps en la matière», interroge Doha Khan, conférencier et thérapeute, qui anime au Québec des ateliers sur l’art d’aimer, inspirés de la pratique tantrique. «Y a-t-il vraiment un début, un milieu et une fin à l’acte sexuel? À partir de quel moment précis, de quel geste, considère-t-on qu’on commence et qu’on termine?»

Michel Lemay, sexologue à Montréal, abonde dans le même sens. Il estime qu’il serait temps de revoir les quatre phases de l’acte sexuel, telles que les sexologues américains Masters et Johnson les ont établies dans les années 60: préliminaires, plateau (maintien de l’excitation pendant un certain temps), orgasme, résolution (retour au calme). Ces étapes sont en effet devenues la norme de notre activité sexuelle. «Mais qui nous oblige à les suivre?, se demande Michel Lemay. Et si je n’ai pas envie de préliminaires, mais juste d’un orgasme, ou le contraire, quelle importance? Lorsque je suis à table et que je me contente d’une entrée ou d’un dessert, qui peut affirmer que je n’ai pas eu un repas complet? Si ça me satisfait, c’est tout ce qui compte, non?»

Carl Honoré, auteur du best-seller Éloge de la lenteur, constate que notre culture de la vitesse nous conditionne à privilégier la destination au voyage, et que le sexe pâtit de cette même mentalité axée sur le résultat. Autrement dit, l’important, dans l’acte sexuel, serait son «efficacité», qui se mesurerait par l’orgasme. Pour suivre la cadence, l’industrie pharmaceutique a même inventé le viagra, afin de rendre les hommes performants en tout temps et à tout âge. Concernant les femmes, l’obligation de jouissance est la même, mais la science peine à leur offrir des solutions chimiques. En plus, la nature ne nous a pas gâtées côté vitesse. Car comme le rappelle Carl Honoré, il faut en moyenne 20 minutes aux femmes pour atteindre leur pic d’excitation, tandis que les hommes y parviennent en moins de 10.

Réconcilier cœur et sexe
«Je n’aime pas l’expression Slow Sex, explique Michel Lemay, car elle peut être mal comprise. Est-ce qu’elle signifie qu’il faut prendre plus de temps pour performer ou plus de temps pour établir une meilleure relation dans les rapports sexuels?» Bonne question. «L’essentiel n’est pas, techniquement, de faire l’amour plus lentement ou pas, précise le sexologue, c’est de prendre son temps pour réfléchir à son désir. Une relation d’une nuit peut être belle, intense et intime, à partir du moment où les deux l’ont réellement désirée et où il y a une véritable interaction entre les partenaires.»

Pour Carl Honoré, «rien ne met plus en lumière ce besoin d’une sexualité plus douce que l’intérêt mondial du public pour le tantrisme. […] Chaque jour, 12 000 internautes naviguent dans le blizzard des sites pornographiques avant de tomber sur tantra.com, écrit-il. Loin d’être intimidés par la montagne de ridicule amoncelée sur la tête de Sting, des couples de tous âges s’inscrivent désormais nombreux à des ateliers de sexualité tantrique».

La philosophie tantrique, inventée en Inde il y a plus de 5000 ans, repose sur la prise de conscience de notre unité fondamentale, d’une union entre le corps, l’esprit et l’univers. «Le sexe tantrique, dans sa forme la plus pure, n’est pas seulement une pratique sexuelle lente, il en canalise l’énergie pour aboutir à une parfaite union spirituelle avec son partenaire mais aussi avec l’univers lui-même». Inspiré par cette philosophie, Doha Khan propose des ateliers où les participants apprennent à «réconcilier le sexe, le cœur et la spiritualité, à restaurer et à assumer [leur] potentiel orgasmique loin de toute performance, à apprendre à toucher et à être touchée». Le tantrisme, dit-il, «c’est remettre le sacré dans la sexualité. Ce n’est pas une technique sexuelle, mais un cheminement vers l’autre».

Lors de son voyage dans le monde de la lenteur, le journaliste canadien Carl Honoré a tenté l’expérience. Non sans crainte: «le jargon New Age, les chakras, les vidéos de présentation animés par des hommes arborant une queue-de-cheval: tout cela me paraissait très ringard», écrit-il à ce propos. Il reconnaît pourtant que l’expérience a été des plus enrichissantes. «Quoi que l’on pense du New Age, il peut ouvrir la porte à une meilleure sexualité ainsi qu’à une intimité et une conscience de soi plus profondes.» Le tantrisme est pourtant parfois mal compris, voire déformé, mais Carl Honoré fait remarquer que: «Même si c’est le cas, qu’est-ce que ça change? […] Après tout, lorsque vous débarrassez le tantrisme de son bagage spirituel, vous conservez les rudiments d’une sexualité épanouie: tendresse, commmunication, respect, variété et durée.»

Tout le propos du Slow Sex, en somme… et de plusieurs médias, qui se sont emparés de la tendance pour conseiller de «prendre un bain, mettre des bougies dans la chambre, une musique douce, pratiquer de longs préliminaires…» Des conseils qui agacent Michel Lemay: «S’ils sont vides de sens pour vous, cela ne sert à rien. Les bougies ne vont pas m’aider à regarder vraiment l’autre et à découvrir son corps. Et si je préfère la musique rock aux douces mélodies? Encore une fois, il faut savoir ce qu’on désire vraiment et le faire, tout simplement.» Le sexologue estime donc très facultatif l’emploi du vaporisateur de ylang-ylang, mais il n’en est pas de même avec la technique sexuelle, qu’il faut savoir maîtriser. Fidèle à ses métaphores culinaires, il souligne que «pour bien manger, il faut savoir faire la cuisine». Là encore, point n’est besoin de rester des heures aux fourneaux. «Mais faire appel à tous ses sens est primordial, ajoute-t-il, car nous vivons dans une société qui focalise la sexualité sur les organes génitaux, d’une part, et sur la vue, d’autre part.»

À l’énoncé «Les rapports sexuels sont plus beaux grâce à…» de l’étude internationale Durex 2007, les internautes ont répondu majoritairement: «davantage de romantisme, de tendresse et d’amour». C’est peut-être tout simplement cela, le Slow Sex. Un peu de douceur et d’amour.

 

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