François a été mon premier grand amour. À l’époque où je l’ai rencontré, j’avais 15 ans, et lui, 22. Quand je l’ai aperçu, ç’a été comme si je voyais un homme pour la première fois. Je le trouvais beau, fort, sensible, et tout ce qu’il disait me fascinait. C’était l’homme de ma vie! Lui aussi m’a tout de suite remarquée, et on est devenus amis. À cause de notre différence d’âge, il se retenait de me dire qu’il m’aimait. Comme on était tous les deux très timides, il ne s’est rien passé à ce moment-là. On s’embrassait et on dormait ensemble, c’est tout. Notre relation était platonique. On s’écrivait pendant la semaine et on se voyait chaque week-end à Rouyn-Noranda.

Quelque temps après, François est parti travailler un an à Montréal. Pendant cette période, je suis allée le voir à peu près toutes les six semaines, à l’insu de mes parents. Ils connaissaient François, sans savoir exactement quel lien nous unissait. Deux jours avant mon bal de cinquième secondaire, il est revenu vivre en Abitibi, et c’est lui qui a été mon cavalier. C’était très romantique! À l’automne, je suis partie à mon tour vivre à Montréal pour mes études. Durant cette période, on s’est très peu vus, mais on est devenus amants. Pourtant, même à cette époque-là, on ne s’est jamais dit qu’on s’aimait. Et puis, peu à peu, on a perdu contact. J’ai rencontré d’autres gens, et lui aussi; puis, on a arrêté de s’écrire et de se voir.

On s’est complètement perdus de vue pendant plus de 10 ans. Je savais qu’il habitait quelque part en Abitibi avec sa blonde, et il savait que j’étais à Montréal. On ne cherchait pas à se retrouver. J’avais fait le deuil de François, même si, pendant toutes ces années, il est toujours resté dans mon jardin secret.

Je me suis mariée beaucoup trop jeune, à 18 ans. Au Palais de justice, quand j’ai dit «oui», je me souviens de m’être demandé: «Est-ce que je fais le bon choix?» Même si mon mari ne m’a jamais frappée, il faisait preuve de violence verbale envers moi. Je n’étais jamais à la hauteur de ses attentes; il me rabaissait constamment. Un jour, il a détruit les lettres de François, que j’avais gardées…

Pourtant, je ne regrette pas ce mariage difficile. J’imagine qu’il fallait que je passe par là pour apprendre quelque chose, pour découvrir mes forces et mes faiblesses. Quand j’ai divorcé, à 21 ans, mon estime personnelle était au plus bas. C’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à me rebâtir.

J’ai eu ma période «mère Teresa». J’aidais mon prochain plus que moi-même, et je faisais passer les autres avant moi. J’ai accompli de très belles choses pendant ces années-là, mais je n’étais pas à l’écoute de mes besoins. Ça m’a menée à un burnout. Il a fallu que je prenne du recul et du repos pour rebâtir ma confiance en moi. Je me suis dit: «Tant que je ne serai pas bien avec moi-même, je ne pourrai pas être en harmonie avec quelqu’un d’autre, même si c’est l’homme de ma vie, comme François.»

Pendant sept ans, j’ai été une sorte d’ermite. J’ai eu très peu d’amants, pour une nuit ou deux, jamais plus. Je méditais plusieurs heures chaque jour, ce qui a permis à beaucoup de mes blessures intérieures de guérir. Durant ce temps, François restait la petite flamme me permettant de croire que quelqu’un pouvait m’aimer. Comme il avait été le premier homme à prendre soin de moi, il était devenu une référence à mes yeux. Quand je rencontrais quelqu’un, je le comparais toujours à lui. Dans mon esprit, il était resté semblable à l’image idéalisée que je m’en étais faite à 15 ans.

J’ai longtemps été célibataire. Tout l’amour que j’avais à donner se déversait sur mes deux chats. Quand ils sont morts, l’un à la suite de l’autre, je me suis sentie très seule. J’ai donc reporté mes sentiments sur la personne que je voyais le plus souvent: mon vétérinaire! Lorsque mon corps m’a dit: «Tu as besoin d’aimer et d’être aimée», cet homme-là a reçu ce trop-plein d’amour comme une bombe au visage. Je lui ai fait peur, évidemment, et il ne s’est rien produit. Toutefois, il a réveillé en moi l’envie de vivre pleinement. Peu de temps après, j’ai pris la décision consciente de sortir de mon isolement. C’est bien beau, l’évolution personnelle, mais quand on émet soi-même les questions et les réponses, on finit par tourner en rond. On a besoin d’être confronté à l’Autre.

J’ai essayé d’entrer en contact avec François, car je savais que je ne pourrais aimer aucun autre homme tant que je l’aurais dans le coeur. J’ai écrit à l’adresse que j’avais trouvée dans un annuaire de Val-d’Or. Ce n’était pas le «bon» François, mais celui qui a reçu ma lettre a eu la présence d’esprit et de coeur de faire des recherches.

Il a retrouvé «mon» François, qui vivait au bord d’un lac, en Abitibi. Quand mon premier amour a reçu ma lettre, il était sur le point de quitter sa blonde. Il a attendu d’avoir bien assimilé cette séparation avant de me répondre. Quand il m’a appelée, six mois plus tard, j’avais rencontré quelqu’un. Avec cet homme-là, j’ai appris à communiquer, et, après plusieurs années d’abstinence sexuelle, j’ai aussi réappris à faire l’amour! Je suis restée deux ans avec lui, tandis que François était célibataire et réapprivoisait la solitude, après une relation de 12 ans. Finalement, j’ai quitté mon partenaire, je suis allée en Abitibi deux semaines pour le travail et j’ai écrit de nouveau à François. On s’est revus. Cette fois, il était enfin prêt.

On s’est rendu compte qu’on n’avait jamais arrêté de s’aimer. Le proverbe «Loin des yeux, loin du coeur» ne s’appliquait pas à nous. Après toutes ces années de séparation, on a «connecté» à nouveau à une vitesse vertigineuse. C’était le bon moment. On était libres tous les deux, et la différence d’âge ne comptait plus. J’avais 32 ans, et lui, presque 40. On s’est retrouvés en tant qu’adultes, mais avec une joie d’enfants. Tout s’est fait très vite: je suis tombée enceinte quelques semaines plus tard, et François est venu vivre avec moi. Quand je lui ai dit que j’attendais un bébé, il a pleuré de joie. Ça m’a beaucoup sécurisée. Il a tout de suite été très heureux parce que, pour lui, cet enfant consolidait ce qui nous unissait déjà depuis si longtemps.

François a été réellement fort. En très peu de temps, il a appris qu’il allait devenir père, a quitté son emploi, vendu sa maison, déménagé dans une nouvelle région et amorcé une réorientation professionnelle. N’importe quel autre homme aurait pété les plombs! Lui, il est resté très confiant, et ça m’a confirmé que j’étais avec la bonne personne. Notre petite fille est née le 1er mai 2004, et c’est la plus belle chose qui pouvait nous arriver. C’est comme si l’amour qu’on éprouve l’un pour l’autre s’était matérialisé dans ce petit être. Si on avait vraiment vécu notre histoire d’amour il y a 20 ans, on ne serait probablement plus ensemble aujourd’hui, à cause de notre immaturité à ce moment-là, à cause des attentes de la jeunesse, etc.

Aujourd’hui, on vit comme deux adultes qui ont compris ce qui est vraiment important dans un couple, c’est-à-dire la confiance, le respect et la communication. Bien sûr, il y a des tiraillements à l’occasion, on a des discussions, on doit parfois faire des accommodements, mais on s’aime tellement que ça en vaut la peine. Ce qui est extraordinaire, c’est que notre amour a survécu au temps et aux relations que nous avons eues chacun de notre côté. Aujourd’hui, on a une vision plus complète l’un de l’autre.

Quand je regarde François, je vois autant l’homme de 22 ans dont je suis tombée amoureuse que celui, plus mature, avec qui je vis. Je constate le chemin qu’il a parcouru, et mes sentiments à son égard sont encore plus profonds qu’avant. Pour lui, c’est la même chose. Il était amoureux de la jeune fille de 15 ans que j’ai été et, aujourd’hui, il aime une femme qui est le fruit de tout ce qu’elle a vécu. Une femme épanouie et comblée!

PROPOS RECUEILLIS PAR ÉRIC FOURLANTY