Au Québec, un couple marié sur deux finit par divorcer, et la proportion serait encore plus élevée chez les conjoints de fait. Derrière ces unions brisées se trouvent des enfants dont la vie est chamboulée. En sont-ils pour autant traumatisés, comme on le prétend souvent? «Absolument pas!» répond la psychologue Gessica Di Stefano, qui vient de publier une thèse à ce propos.

«Selon plusieurs études, environ 80% des enfants vivant dans des familles séparées n’ont pas vraiment de problèmes, affirme-t-elle. Les autres – soit un enfant sur cinq – présenteraient toutefois des symptômes de dépression, d’hyperactivité, d’impulsivité, d’anxiété, voire d’agressivité. » Pourquoi ces enfants souffrent-ils, alors que la majorité s’en sort bien? Voilà l’énigme que la psychologue s’est employée à résoudre.

Pendant son doctorat à l’Université de Montréal, Mme Di Stefano a étudié les cas de plus de 1000 enfants, certains issus de familles intactes, d’autres de familles séparées. «J’ai découvert que ce n’est pas l’évènement de la séparation comme tel qui crée les difficultés chez les enfants, mais plutôt les effets qui en découlent: c’est-à-dire la dépression ou l’anxiété des parents, de faibles revenus, ou encore des pratiques parentales négatives comme passer peu de temps avec ses enfants, ne pas faire preuve d’une discipline constante, crier après eux ou les frapper», révèle-t-elle.

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Selon la psychologue, ces observations constituent une excellente nouvelle pour les parents dont le couple a explosé. «Ça veut dire qu’on peut épargner bien des problèmes à ses enfants si la rupture et la période qui s’ensuit sont bien gérées.»

Des limites claires

Soit, mais par où commencer? «D’abord, en n’agissant pas avec votre enfant comme s’il était votre thérapeute», affirme Mme Di Stefano. «Certains parents ont tendance à se confier à leur enfant, surtout s’il a atteint l’adolescence. Je le déconseille, car il faut maintenir des limites saines entre lui et son père ou sa mère. Si un des parents se sent déprimé ou anxieux, il a intérêt à consulter un psychologue. De retour à la maison, l’adulte sera mieux en mesure d’exercer son rôle parental.»

 L’enfant n’a pas non plus à être témoin des disputes entre ses parents. Il se sent alors coincé dans un conflit de loyauté, ce qui peut provoquer chez lui de la colère, des comportements agressifs ou de l’anxiété. «Il vaut mieux régler vos désaccords en médiation, soutient Mme Di Stefano. C’est l’occasion d’apprendre à mieux communiquer avec votre ex-conjoint et de trouver une façon de prendre des décisions parentales ensemble. Même si vous ne vivez plus sous le même toit, votre enfant percevra que vous demeurez ses parents, et ça, c’est très rassurant pour lui.»

L’annonce de la séparation est aussi, en soi, une étape cruciale. «Les enfants se souviennent de ce moment-là toute leur vie, rappelle la psychologue. Pour lui en parler, choisissez un environnement neutre et calme. Ne laissez pas échapper une nouvelle pareille un lundi matin avant le départ pour l’école, car l’enfant n’aura pas le temps de la digérer et vous n’aurez pas le loisir d’en discuter. Assurez-vous d’abord de la présence de votre ex-conjoint et planifiez à deux ce que vous souhaitez dire exactement. Vous pourrez alors contrôler davantage vos émotions et réduire le risque de communiquer votre détresse à votre enfant.»

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Autre point important: éviter d’aborder en détail les raisons de la séparation. «Contentez-vous de dire à votre enfant que vous et son père ne vous entendez plus et que vous seriez tous plus heureux si papa et maman avaient chacun leur maison», conseille la psychologue. «Prenez le temps de parler de ce qui changera et de ce qui restera tel quel. Par exemple, expliquez-lui comment se déroulera la garde, sans oublier de lui dire que papa (ou maman) l’accompagnera encore aux séances d’entraînement de hockey et que vous serez tous deux dans les gradins pour l’encourager à chaque partie. Insistez enfin sur le fait que ce qui arrive n’est pas de sa faute, que vous l’aimerez toujours et que votre relation avec lui ne changera pas. Après coup, laissez-lui le temps d’exprimer ses émotions et ses inquiétudes, même si c’est difficile pour vous de les entendre.»

Gérer les émotions négatives

«Après la séparation, les enfants vivent un tourbillon d’émotions et les parents doivent les aider à les reconnaître afin de pouvoir bien les exprimer», souligne Gessica Di Stefano. Par exemple, un enfant anxieux aura du mal à dormir, il aura plus ou moins d’appétit et souffrira peut-être de tensions musculaires. Il posera une tonne de questions: « Quand vais-je voir papa? Chez qui irai-je dormir ce soir? Qui me conduira à mes cours de natation? Qui m’aidera à faire mes devoirs? »»

En fait, son attitude dissimule un grand besoin qu’on le rassure. Une suggestion pour y parvenir? Apprivoiser avec lui son nouveau contexte familial en affichant un calendrier où vous inscrirez les journées prévues chez sa mère et celles qu’il passera chez son père, ainsi qu’en lui procurant un petit carnet où seront notés les numéros de téléphone de ses parents afin qu’il puisse les joindre en tout temps.

«Si votre enfant pique des crises et adopte des comportements agressifs, tentez de détecter ce qui provoque sa fureur avant que la situation dégénère et amenez-le à verbaliser ses émotions», conseille aussi Mme Di Stefano.

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«Supposons que votre garçon est fâché parce qu’il a oublié son jeu vidéo chez son père. Vous pouvez d’abord lui dire que vous comprenez sa colère: il se sentira mieux compris et sera moins susceptible d’être agressif. Vous pouvez aussi trouver des solutions concrètes pour prévenir les incidents qui l’énervent – dans ce cas-ci, dresser une liste de choses à mettre dans son sac à dos avant de quitter la maison paternelle. Mais n’oubliez pas non plus d’établir des limites: oui, votre petit chéri est en colère, mais ce n’est pas une raison pour qu’il donne un coup de pied dans le mur!»

Votre enfant peut par ailleurs être affligé d’une grande tristesse: il pleure, s’isole, manque d’énergie, et son estime de soi est au plus bas. «Acceptez qu’il soit triste, puis discutez avec lui de ce qui le peine, suggère la psychologue. Pour lui redonner confiance et briser sa solitude, aidez-le à voir ce qui va bien dans sa vie, soulignez ses succès scolaires et personnels, et multipliez les moments passés en famille ou avec ses amis.»

Voilà autant de stratégies qui rassurent les enfants et favorisent leur bon développement, estime Gessica Di Stefano. «Quand leurs deux parents s’entendent pour les soutenir et le démontrent par des actions concrètes, les enfants se sentent en sécurité, savent mieux maîtriser leurs émotions, ont davantage confiance en leurs moyens et, en fin de compte, n’ont aucun mal à cheminer dans la vie.» Qui a dit que les enfants du divorce étaient forcément des enfants à problèmes?

Témoignage: «Ma plus grande joie, c’est que mes filles sont équilibrées!»

Louise, mère de deux filles âgées de 24 et de 20 ans, séparée depuis 13 ans

«Mes filles, nées de deux unions différentes, ont toujours été ma priorité. Leurs besoins ont toujours passé en premier et je me suis même endettée pour maintenir leur niveau de vie. Pour m’en sortir, je suis devenue hyper organisée grâce à un mégacalendrier où j’inscrivais tout: listes d’épicerie, soupers à préparer, jours de ménage et de lavage, sorties, semaines chez papa ou chez moi, etc. Je pouvais ainsi passer beaucoup de temps avec mes enfants au lieu de toujours courir comme une poule sans tête.

Nos relations n’étaient pas parfaites, évidemment. Une fois – une seule -, j’ai fait devant ma plus jeune un commentaire désobligeant à propos de son père, et elle ne s’est pas gênée pour me dire sa façon de penser. Mes filles m’ont déjà reproché aussi de leur poser trop de questions sur ce qu’elles vivaient chacune chez leur père. Depuis, j’ai arrêté de les interroger là-dessus et j’ai appris à mieux les écouter.

J’avoue avoir eu peur qu’elles se sentent perdues après mes deux ruptures, mais je constate aujourd’hui que ça n’a pas été le cas. Après avoir rencontré mes filles, les gens me disent souvent: « Qu’elles sont belles, intelligentes et équilibrées! » C’est le plus beau compliment qu’on puisse me faire.»

Témoignage: «J’ai consulté un médiateur, un pédopsychologue et un psychologue pour passer au travers de la séparation.»

Jessie, mère d’une fille de 6 ans et d’un garçon de 4 ans, séparée depuis 3 ans

«Quand j’ai divorcé, mon avenir m’apparaissait comme un grand trou noir: je me retrouvais seule avec deux bébés sur les bras et pas beaucoup d’argent. Au début, j’avais tellement peu d’appétit que j’activais une sonnerie sur mon téléphone pour me rappeler de donner à manger aux enfants!

La médiation nous a beaucoup aidés à déterminer la garde partagée, la séparation des biens et la pension alimentaire. Mon ex et moi avons également consulté une pédopsychologue afin d’établir la formule de garde partagée la mieux adaptée à notre situation. Cette rencontre nous a aussi permis de mieux nous comprendre en tant que parents.

Malgré tout, je me sentais triste et déprimée. Comme je ne voulais pas pleurer devant les enfants, j’ai trouvé d’autres moyens pour canaliser ma peine. J’ai suivi une thérapie pendant quelques mois, je me suis mise à la course à pied, j’ai tenu un journal intime. Et quand il m’arrivait d’être morose alors que les enfants étaient avec moi, je mettais la musique à fond la caisse et on se faisait un dance party à trois! Aujourd’hui, les choses vont beaucoup mieux. Je peux dire que j’ai une famille dysfonctionnelle… néanmoins très fonctionnelle!»

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