Toute la beauté et l’innocence de mon premier amour se résument en un simple moment. Nous devions avoir sept ou huit ans, Laura et moi. Elle était anglophone, et je ne comprenais pas un mot de ce qu’elle disait, mais ça ne nous empêchait pas d’être bien ensemble, assis côte à côte sur une balançoire à deux places pendant les premiers beaux jours de l’été, à partager des biscuits en forme d’animaux. Nous étions seuls au monde, étourdis par l’amour (ou le mouvement de la balançoire) et, parfois, dans un frisson délicieux, nos doigts s’entremêlaient dans la boîte de biscuits. Elle me donnait les tigres quand elle en trouvait, et moi, je lui offrais les chats, qu’elle aimait croquer deux pattes à la fois.

Comme mon père avant moi, j’avais trouvé la femme de ma vie. Comme lui, je fêterais un jour mes 50 ans de mariage avec elle. Mais, surprise, les parents de Laura ont déménagé, et on ne s’est jamais revus. L’amour, à cet âge, s’éteint parfois à cause de simples détails pratiques.

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Qu’à cela ne tienne! Après une courte période de deuil passée à m’empiffrer de biscuits, seul sur la balançoire à deux places, j’allais faire la conquête de ma nouvelle flamme: Nathalie. Quand j’ai sonné chez elle pour lui offrir un casse-tête à motifs de chats dans un panier rempli de balles de laine, elle l’a refusé et m’a claqué la porte au nez. J’aurais pu nier l’évidence et simplement me dire qu’elle n’aimait pas les chats ou les puzzles mais, au fond, je venais de comprendre que l’amour était plus complexe que je l’avais imaginé.

Ce n’est pas tout de choisir quelqu’un; encore faut-il que l’autre nous choisisse aussi. Quelles sont les chances que ça arrive? Ça aurait été simple que Stéphane aime Nathalie et que Nathalie aime Stéphane, mais non. L’amour, ça ressemble souvent à Stéphane aime Nathalie mais Nathalie préfère Martin qui, lui, aime Sophie qui aime Julie qui, elle, aime Josée qui aime Stéphane, mais ne le lui avouera jamais.

Une fois en couple, on se dit que ça va être facile. Enfin. Moi, c’est ce que je me suis dit quand je suis tombé amoureux d’une fille qui m’aimait aussi. Pudiques, mes parents avaient réussi à me cacher les périls de la vie à deux pendant toutes ces années. Je n’ai jamais été témoin de la moindre engueulade. C’est dire à quel point j’ai été surpris la première fois que j’ai emménagé avec une fille. On ne m’avait rien dit à propos des compromis, des querelles ou de la jalousie. On ne m’avait même pas mis en garde contre le sympathique collègue de ma blonde, athlétique et serviable, qui finirait par l’épouser et lui faire des enfants.

Aujourd’hui encore, je me lance chaque fois dans la vie de couple sans manuel d’instructions et je procède par essais et erreurs. Beaucoup d’erreurs. Parce que je ne suis au courant de rien. Et je ne sais toujours pas si je dois en vouloir à mes parents pour ça ou les remercier.

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