Alexandra, c’est mon amoureuse. Entre nous, ça fait sept ans que ça dure. Avant de la rencontrer, je n’avais jamais envisagé devenir maman: j’étais homosexuelle, dehors toutes les nuits, infidèle.

Avec elle, j’ai dit adieu à ma vie de célibataire sans aucun regret. Ensemble, on rigole, on bouquine, on boit du bon vin. On ne fait rien de spécial, mais toutes ces activités quotidiennes que j’aurais trouvées affreusement plates auparavant me ravissent maintenant.

C’est Alex qui m’a donné envie de faire un enfant. Au début, je n’étais pas tellement convaincue, je n’arrêtais pas de me poser des questions: Comment devenir maman quand on est lesbienne? Comment mon enfant réagirait-il au fait d’avoir deux mères? S’agirait-il d’un handicap pour lui?

Chaque fois, Alex balayait mes interrogations: «Chérie, quel parent peut se targuer d’être parfait? Nous, on veut juste donner de l’amour à un petit être. Où est le mal?»

Elle a fini par chasser mes doutes, et j’ai enfin laissé libre cours à mon envie d’avoir un bébé. Comme Alex ne ressentait pas le désir d’être enceinte, on a décidé que je porterais l’enfant. On a donc amorcé les démarches et pris rendezvous dans une clinique de fertilité pour trouver un donneur de sperme.

PLUS: C’est mon histoire: «J’ai laissé tombé le prince charmant»

En arrivant pour la première fois chez le gynécologue, j’ai eu un mauvais pressentiment. Les murs étaient tapissés de photos de bébés conçus par insémination artificielle. J’ai ça un peu glauque, cette manière d’afficher le palmarès de toutes ses petites «créations». Après m’avoir examinée, le gynéco m’a dit qu’il fallait que je subisse un traitement hormonal, avec des piqûres quotidiennes. Ensuite, il m’a précisé que l’enfant ne pourrait jamais rien savoir au sujet de son père. Là, des petites lumières rouges se sont mises à clignoter dans ma tête. J’ai pensé: «Stop. On arrête tout!»

Lire la suite…

 Je n’avais pas la moindre envie de ça. Pas envie de revenir ici, gonflée comme un boeuf bourré d’hormones. Pas envie de me faire inséminer avec le sperme d’un inconnu. J’ai réalisé à quel point c’était important que mon enfant ait un papa. Je voulais pouvoir lui dire un jour: «Toi, tu es un vrai casse-cou, comme ton père!»

J’en étais sûre désormais: je ne voulais pas faire un enfant de cette façon-là.

En rentrant à la maison, j’étais un peu dépitée mais sereine. C’était ma décision et je l’assumais pleinement. Quitte à devoir me priver d’enfant. Alex m’a alors lancé: «Et si on demandait à un de nos copains d’être le donneur?» Hum. Plus facile à dire qu’à faire! Ni elle ni moi ne nous imaginions en train de poser la question à un d’entre eux. Et puis, nous ne voulions pas choisir n’importe qui. Il nous fallait un homme proche de nous, ouvert, responsable… pas qu’un simple géniteur! Bref, le truc impossible.

Un soir, nous sommes allées souper avec mon père et sa femme, Sylvie. À 63 ans, papa est resté un grand enfant. Je me suis toujours bien entendue avec lui, notamment parce qu’il ne m’a jamais jugée. De mon côté, j’ai toujours accueilli à bras ouverts les copines qu’il me présentait.

Ce soir-là, donc, il nous a demandé: «Alors, où en êtes-vous dans vos projets de bébé? Moi, j’ai hâte d’être grand-père!
– On en est au point mort, ai-je répondu. On ne trouve pas de papa. Il vaut mieux laisser tomber.»

PLUS: C’est mon histoire: «J’ai accepté d’épouser quelqu’un qui ne m’attirait pas»

C’est Sylvie qui a suggéré: «Mais pourquoi ne poseriez-vous pas la question à Sébastien?» Sébastien, son fils à elle? C’était vraiment la dernière personne à qui j’aurais pensé. C’était un garçon calme, doux et posé, de huit ans mon cadet. Vu notre différence d’âge, je l’avais toujours considéré comme un gamin… mais le «gamin» en question devait aujourd’hui avoir pas loin de 30 ans!

«Je suis sûre qu’il prendrait votre demande au sérieux, a renchéri Sylvie. Il est célibataire depuis un bon moment… et il a tellement envie d’être père!»

 

Lire la suite…

Au retour de cette soirée, Alex et moi étions euphoriques. On avait l’aval des parents! Ne manquait plus que celui du principal intéressé… Pour faire notre grande demande, nous l’avons invité à la maison. Je lui ai préparé un souper italien. En général, mes aubergines à la ricotta font fureur. Au moment de servir la panna cotta, Alex a sorti une bouteille de champagne et s’est lancée: «Sébastien, on a quelque chose à te demander. Ça fait longtemps que nous voulons avoir un bébé et, pour tout te dire, on aimerait que tu en sois le papa. S’il te plaît, ne nous réponds pas tout de suite. Prends le temps de bien peser le pour et le contre… En tout cas, sache qu’on ne te demanderait pas un sou pour l’élever, et que tu ferais ta place à ses côtés comme tu le souhaites.»

PLUS: C’est mon histoire: «Je me suis inventé un amant»

J’ai vu Sébastien devenir blanc comme un drap, l’air bouleversé. Visiblement, il ne se doutait de rien. Il nous a simplement répondu: «Je suis vraiment flatté que vous ayez pensé à moi. Ma décision est prise: c’est oui.» Il nous a aussitôt enlacées et nous sommes restés de longues minutes comme ça, à nous serrer fort tous les trois. Ce soir-là, je me suis sentie la femme la plus chanceuse de la terre.

Alex et moi avons volontairement laissé passer quelques mois, histoire d’être bien certaines que Sébastien ne s’était pas engagé trop vite. Mais c’est lui qui nous a relancées: «Dites donc, les filles, ce bébé-là n’arrivera pas par l’opération du Saint-Esprit! Prêtes pour un premier essai samedi prochain?»

Prêtes? Évidemment que nous l’étions, depuis un bon moment déjà! Avec Alex, ça faisait des semaines qu’on passait des soirées entières à écumer tous les forums sur Internet pour apprendre «comment pratiquer une insémination à la maison». Nous connaissions toute la théorie; il ne nous restait plus qu’à la mettre en pratique!

 

Lire la suite…

Ce samedi-là, je ne savais pas du tout où j’en étais dans mon cycle menstruel et, de toute façon, j’étais persuadée qu’il nous faudrait procéder à plusieurs essais avant que ça marche. C’était un coup pour rire, afin de dédramatiser la situation et de mettre la procédure au point.

Quand Sébastien est arrivé chez nous, quelques magazines «ciblés» pour lui l’attendaient dans la salle de bains. Pendant ce temps, Alex et moi nous sommes installées. J’ai posé mes fesses sur notre lit, les pieds appuyés sur les deux tabourets de bar de la cuisine. Alex ressemblait à un mineur, avec sa lampe frontale fixée sur sa tête! La scène était tellement surréaliste que j’ai passé au moins 10 minutes à rire aux larmes, pliée en deux.

Et puis Sébastien a frappé à la porte de la chambre pour nous remettre son petit gobelet, et l’ambiance est aussitôt devenue plus sérieuse. J’ai vu le regard d’Alex se concentrer. Elle a disparu entre mes jambes, avant d’appuyer sur la seringue tout doucement, comme on l’avait lu sur Internet. Je suis ensuite restée un bon quart d’heure sans bouger, comme ça, les jambes en l’air. Avant de partir, Sébastien nous a dit: «Finalement, ce n’est pas sorcier… Quand est-ce qu’on le refait pour vrai?»

Croyez-le ou non, on n’a pas eu besoin de répéter l’expérience: dès cette première fois, je suis tombée enceinte.

J’ai vécu une grossesse de rêve. Quand Tom est né, c’est Alex qui a coupé le cordon, et Sébastien est venu le soir même nous voir à l’hôpital.

Tom a maintenant un an. Depuis sa naissance, notre trio a trouvé son rythme de croisière: Sébastien vient voir son fils aussi souvent qu’il le désire et il l’emmène parfois avec lui le weekend. Il n’y a pas de règle écrite entre nous à propos de la garde de l’enfant. Et pour l’instant, ça fonctionne très bien.

Bien sûr, nous savons que Tom amorce son existence avec une histoire familiale plutôt compliquée, qui risque un jour de susciter des questions dans la cour de récréation. Mais tous les trois, nous serons là pour le rassurer et le protéger. De toute façon, notre fils devra faire sa vie avec ce qu’il a, comme tous les enfants. Ce qu’il a, lui, c’est deux mamans plus un papa. Et beaucoup, beaucoup d’amour.

À LIRE: C’est mon histoire: «J’ai rencontré mon premier véritable amour à 60 ans »