Je connais Thomas depuis mon adolescence. On s’était perdus de vue jusqu’à ce qu’il me contacte sur Facebook il y a trois ans, à l’aube de mes 26 ans, pour m’inviter à prendre un verre. D’accord, allons-y. Mais juste un verre, hein?

Ce soir-là, j’ai découvert Thomas sous un angle que je ne soupçonnais pas: attentionné, drôle, intelligent… et beaucoup plus beau que dans mon souvenir. Mon coeur a chaviré. Le sien aussi. Et c’est ainsi que nous sommes tombés follement amoureux l’un de l’autre. Soudain, nous ne pouvions plus vivre séparément. À un point tel que, lorsque je lui ai annoncé, peu après notre rencontre, que j’avais planifié un voyage en Australie pendant plusieurs mois, il a lâché son emploi de directeur dans une grosse boîte, il a sous-loué sa maison et il m’a suivie au bout du monde.

Durant huit mois, nous avons passé toutes nos journées côte à côte, découvrant de nouvelles contrées, apprenant à nous connaître. Nous vivions un rêve. Plus tard, beaucoup plus tard, quand les choses se sont gâtées, il m’a dit qu’il n’avait jamais été aussi heureux que pendant ces moments-là…

En revenant au Québec, nous avons tout de suite emménagé ensemble. Un an plus tard, même si on se protégeait, je suis tombée enceinte. Ce n’était pas du tout prévu, mais on a décidé de garder l’enfant. Malheureusement, après cinq mois, j’ai fait une fausse couche. Thomas, lui, était là pour moi. Il me rassurait: «Ce n’est pas grave, ne t’en fais pas, on est plus forts que ça.» Grâce à lui, j’ai fini par surmonter cette période sombre.

Puis, il y a eu ce fameux soir où il est resté à dormir chez des amis; de mon côté, je me relaxais en lisant un bouquin. Soudain, j’ai eu un doute. Un pressentiment inexplicable. Je me suis levée pour fouiller dans ses courriels. Je ne sais pas du tout pourquoi j’ai fait ça, je n’avais pourtant rien à lui reprocher…

Depuis notre périple australien, on avait échangé nos mots de passe respectifs. Mais ce jour-là, en regardant dans sa boîte, j’ai aperçu un message louche, qu’il s’était lui-même envoyé d’un second compte. Sans trop de mal, j’ai réussi à pénétrer dans ce dernier. Et c’est alors que j’ai subi le plus grand choc de ma vie. Un coup de massue. Il y avait là 400 courriels, échangés en six mois à peine. Des messages très crus dans lesquels il prenait rendez-vous avec des femmes et des hommes pour coucher avec eux. Des courriels dans lesquels il détaillait des actes sexuels d’une vulgarité sans nom…

Je ne peux pas expliquer ce que j’ai ressenti. Y a-t-il quelque chose de pire que d’être trahi par la personne qu’on aime? De se rendre compte qu’elle nous a menti pendant des années? J’ai passé la nuit à lire les messages. Je pleurais, je criais, je me jetais sur les murs…

Le lendemain matin, je l’ai affronté. Et il s’est effondré comme un petit garçon. Tout de suite, je me suis détachée de cet homme que je ne reconnaissais plus. Lui si amoureux, si passionné, capable de faire des choses aussi dégradantes sans m’en parler? De toute évidence, il n’était pas la personne que je croyais.

Quand il s’est calmé, j’ai cherché à comprendre. C’était trop sordide pour être une simple infidélité. Ces centaines de courriels faisaient état d’un sexe furtif, pratiqué vite et sans émotion, dans une voiture ou une ruelle. Parfois sur les heures du dîner, parfois en plein après-midi. Quelquefois, sans protection. C’est ça qui m’a fait le plus mal: apprendre qu’il avait risqué ma vie et celle de notre bébé sans même y penser.

Comme un homme qui sombre peu à peu dans l’alcool ou la drogue, mon conjoint s’était mis à tirer un coup avec n’importe qui. Plusieurs mois avant de me rencontrer «officiellement», il avait vécu un grand stress. Dérouté, il l’avait soulagé grâce au sexe une fois, deux fois, et puis c’était vite devenu une dépendance totale. Sa seule période de pause, si je puis dire, ç’a été lorsque nous sommes partis en Australie. Là-bas, détendu, loin du boulot et du quotidien, il n’avait pas ressenti le besoin d’agir. Il était heureux… Mais une fois de retour au Québec, il a de nouveau sombré, et ce, même si on avait une vie sexuelle épanouie. Il faut dire que grâce à certains sites de petites annonces, c’était tellement facile pour lui de faire des rencontres! Entre deux vélos à vendre et une offre de covoiturage, on y trouve des dizaines de messages quotidiens de personnes qui veulent baiser vite fait, peu importe le partenaire.

Je sais que la plupart des gens infidèles disent qu’ils le sont «parce qu’ils ne peuvent tout simplement pas s’en empêcher». Mais ce que Thomas vivait allait bien au-delà de la simple aventure extraconjugale: c’était un sex addict, un vrai. Il ne couchait pas avec une ou même avec plusieurs autres filles en se foutant silencieusement de moi. Non. Il ne ressentait aucun désir pour quelqu’un d’autre; il éprouvait simplement des pulsions incontrôlables. Après, il avait honte. Et il refoulait ça si profondément en lui-même que le soir, il était capable de rentrer, de m’embrasser, de souper avec moi et de continuer à être un chum extraordinaire. Dans sa tête à lui, son amour pour moi n’était nullement altéré par ses agissements. J’étais encore et toujours la femme de sa vie. Il continue d’ailleurs de me le répéter, en se promettant, en me promettant, de me reconquérir un jour.

Parce que non, nous ne sommes plus ensemble. J’ai vu trop de choses, découvert trop de détails pour recommencer à lui faire confiance. Même si je sais qu’il est malade, même s’il veut s’en sortir, je ne lui pardonnerai jamais d’avoir fait certains choix. Il aurait pu aller chercher de l’aide, il aurait pu se protéger systématiquement lors de ses escapades, il aurait surtout pu éviter de faire de moi une victime collatérale, parce qu’il se savait malade avant de me rencontrer. Il ne l’a pas fait. Et moi, je crois qu’on ne peut pas absoudre quelqu’un de toute responsabilité. Il y a quelque temps, j’ai vu le film Shame, de Steve McQueen. J’ai été sidérée d’y découvrir un personnage qui était presque le double de Thomas; un homme dont la dépendance au sexe était tellement forte qu’elle en était devenue avilissante…

Aujourd’hui, avec le recul, je peux en parler avec un certains détachement. Mais, après la découverte qui a bouleversé mon existence, j’ai vécu pendant des semaines un choc profond. Je pleurais sans arrêt, je refusais de voir Thomas. Au bout d’un moment, j’ai décidé de me prendre en main. J’ai fait beaucoup de sport, j’ai vu mes amis, j’ai parlé de ce qui m’arrivait. J’ai commandé tous les livres que j’ai pu trouver sur la dépendance sexuelle. La plupart d’entre eux venaient des États-Unis, un pays où cette «maladie» semble davantage reconnue comme telle. En les lisant, je me suis reconnue dans plein de témoignages. Et j’ai appris que les spécialistes, notamment l’International Institute for Trauma and Addiction Professionals, estiment que de 3 % à 6 % de la population américaine serait touchée par ce mal. C’est énorme!

Une chose que personne ne semble comprendre, c’est que, même après avoir découvert la profondeur de sa trahison, je n’ai jamais détesté Thomas. C’est mieux comme ça, je crois, parce qu’il faut beaucoup d’énergie pour haïr quelqu’un! Je considère que, dans toute cette histoire, j’ai été plutôt chanceuse. Chanceuse d’avoir découvert la sexualité compulsive de mon conjoint après 3 ans de relation et non 15. Chanceuse d’avoir su écouter cette petite voix intérieure qui me soufflait qu’il y avait anguille sous roche. Chanceuse aussi, même si ça peut paraître étrange de le dire, d’avoir perdu notre enfant…

Un jour, peut-être, j’aimerais créer un groupe d’entraide pour les proches des personnes sexuellement dépendantes. Thomas, qui suit depuis quelques mois une thérapie, aimerait éventuellement en parler, lui aussi, à un plus grand public pour montrer qu’on peut s’en sortir. Mais pour l’instant, il est encore trop tôt. Nos chemins se séparent. De mon côté, j’ai déménagé et décidé de faire ce dont j’avais toujours rêvé. Avant mes 30 ans, je veux partir en Amérique du Sud et terminer ma maîtrise. Un jour, je serai peut-être même reconnaissante à Thomas de m’avoir permis, bien malgré lui, de suivre mes ambitions jusqu’au bout…

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