Vous naviguez d’échec amoureux en échec amoureux? Vous vous laissez toujours séduire par des losers ou, au contraire, aucun gars ne réussit à vous émouvoir? La source de vos difficultés pourrait résider dans le lien qui vous unit à votre père. Dans son livre L’amour en guerre, le psychanalyste Guy Corneau affirme que, pour expliquer nos patterns amoureux, «il convient de nous tourner vers ceux qui furent nos premiers modèles: nos parents. Les relations parents-enfants, les pères avec leurs filles et les mères avec leurs fils, conditionnent directement les dynamiques entre les sexes et ont une influence marquante sur les futurs comportements amoureux.» En d’autres termes, dis-moi qui est ton père et je te dirai quelle femme tu es…

L’histoire de Geneviève, 52 ans: «Je choisissais mes amoureux en fonction de mon père.»
«J’étais sa préférée, sa petite chérie, sa princesse. Lui, il était mon héros, mon confident. Je conserve un souvenir extraordinaire de mon enfance mais, à l’adolescence, ce paradis s’est transformé en enfer. Mon père est devenu jaloux et surprotecteur. Il ne supportait pas que je m’intéresse aux garçons. Selon lui, aucun gars n’était assez bien pour moi! J’étais tellement sous son emprise que, pendant plusieurs années, je ne choisissais pas mes amoureux selon mes goûts et mes besoins, mais en fonction de mon père, ce qui m’amenait à répéter les mêmes patterns. Je passais constamment du rockeur fini à l’intellectuel ferré! C’était soit pour provoquer mon père soit pour l’impressionner. Un jour, j’en ai eu assez de cette relation étouffante et je le lui ai dit. Il a très mal réagi. Nous ne nous sommes plus adressé la parole pendant trois ans. C’est durant cette période que j’ai vécu ma première grande histoire d’amour avec un homme que j’aimais vraiment. Je l’avais choisi pour moi! Après trois ans de silence, mon père m’a écrit une lettre dans laquelle il s’excusait et m’expliquait pourquoi il avait agi de cette façon. J’ai constaté qu’il avait fait un profond examen de conscience. J’ai décidé de lui pardonner. Par la suite, nos rapports se sont apaisés. Lorsque j’ai eu 35 ans, et jusqu’à sa mort, nous avons eu une très belle relation. Nous nous sommes retrouvés.»

L’avis du psy «Pour se détacher d’un père surprotecteur, la fille doit créer une rupture. Il doit y avoir une “défusion”. Après, et seulement après, il est possible d’effectuer une reconstruction sur des bases plus saines.» Marc Pistorio, psychologue

Période cruciale s’il en est, la tendre enfance cache les fondements de notre personnalité. «L’identité de l’enfant se construit jusqu’à l’âge de six ans, explique la sexologue Jocelyne Robert. C’est à ce moment-là que la petite fille cherche dans le regard de son père si elle a de la valeur, si elle est importante. Le père doit prendre le temps de reconnaître la féminité de son enfant.

S’il ne le fait pas, celle-ci grandira en ayant un manque, qu’elle cherchera à combler toute sa vie.» Même son de cloche chez Guy Corneau: «La petite fille fait ses premières tentatives de séduction sur son père. Celui-ci doit répondre à ce jeu, il doit faire sentir à sa fille qu’elle est spéciale à ses yeux, qu’elle est belle et aimable. Il doit prendre le temps d’établir une saine complicité avec elle.» La réponse du père est capitale, ajoute-t-il, puisque c’est ce regard rempli d’amour et de respect qui permettra à sa fille de devenir une femme bien dans sa peau. Ce dont témoigne Laurence, 22 ans: «Mon père a toujours été là pour moi. Je sais qu’il m’aime inconditionnellement. J’ai l’impression que je peux tout lui dire, qu’il ne me jugera pas et qu’il m’aidera si j’en ai besoin. Dans mes rapports amoureux, je choisis des hommes qui possèdent ses qualités: un peu protecteurs (pas trop, juste assez), drôles, sociables et, surtout, respectueux.»

Quand le regard aimant n’y est pas…

Malheureusement, toutes n’ont pas cette chance. Certaines n’auront pas droit à ce regard paternel aimant… Dans ce cas, «il y aura inévitablement un vide chez la petite fille, fait observer Guy Corneau. Une fois adulte, celle-ci doutera constamment de sa valeur et aura tendance à se critiquer: “Je suis trop grosse, trop maigre, j’ai trop de seins, pas assez…” Ou encore, elle deviendra une séductrice, une femme qui cherchera à tout prix le regard de l’homme. Et puis, c’est bien connu, ajoute-t-il, c’est le silence du père qui crée ces femmes qui aiment trop.» C’est le cas de Marie-Andrée, 38 ans. Père alcoolique, mère frustrée.

«Mon père était dur, intransigeant. Quand il me parlait, c’était pour me faire des reproches. Je n’étais jamais assez bien pour lui. Chez nous, le silence n’était pas apaisant. Il était lourd et il précédait les pires tempêtes.» Marie-Andrée a grandi dans la peur, et cette crainte ne l’a jamais quittée. Résultat? «En amour, c’est la catastrophe. Je n’ai pas confiance en moi. J’ai toujours peur de ne pas être aimée, d’être abandonnée. Je m’accroche à mon partenaire et je deviens très envahissante. Je suis en thérapie depuis plus de 20 ans pour vaincre ma dépendance affective, et ce n’est toujours pas réglé!»

Le silence paternel peut prendre différentes formes, il peut même sembler impénétrable, comme celui qu’a connu la cinéaste Jennifer Alleyn. Elle a grandi avec un père tellement discret qu’elle en est arrivée à douter qu’il l’aime: «Longtemps, j’ai espéré des mots qui ne venaient pas. Quand j’étais jeune, les gens de mon entourage me disaient à quel point il m’aimait mais, moi, je voulais que ça vienne de lui! Or, il était incapable de dire ces mots-là.» Son père est le peintre québécois Edmund Alleyn, décédé en 2004. Quelques jours après sa mort, Jennifer s’est installée dans son atelier. Caméra à la main, elle a entrepris d’étudier les nombreuses toiles qui s’y trouvaient dans l’espoir de percer le mystère d’une vie de silence. De cette démarche intime est né, le printemps dernier, le magnifique documentaire L’atelier de mon père – Sur les traces d’Edmund Alleyn...

«En réalisant ce film, je me suis rendu compte que j’occupais une bien plus grande place dans ses pensées que je l’avais imaginé. J’ai découvert des tableaux de moi à différents âges. C’était sa façon de me dire: “Tu es présente dans ma vie. Tu es tellement là que tu es dans mes oeuvres, dans mon art.” J’ai mis du temps à comprendre que ce serait sa déclaration, que c’est de là qu’elle me parviendrait.» Jennifer admet que même si elle a souffert du silence de son père, elle a tendance à choisir des hommes qui ne sont pas très démonstratifs: «J’imagine que c’est parce que je me sens en pays de connaissance. Depuis que j’ai compris que le langage affectif de mon père ne passait pas par les mots mais par l’art, je considère le langage amoureux différemment. Il n’y a pas que les mots qui parlent…»

COUPER LE CORDON

Jannick, une infirmière de 29 ans, a eu un père très affectueux, tout au moins durant son enfance. Elle se rappelle combien le passage à la puberté a été douloureux: «J’étais très proche de mon père. Il m’amenait partout: au travail, à un match de hockey, dans les magasins. J’adorais être avec lui. Le jour où j’ai eu mes règles, tout a basculé!» Son père lui a alors solennellement annoncé qu’elle était maintenant une femme. Du coup, les câlins, les bisous et leur complicité ont fondu comme neige au soleil. Cette rupture a eu un effet dévastateur sur Jannick: «J’étais très en colère contre moi. Je détestais mon corps. Je voulais être de nouveau petite et retrouver mon père. J’ai commencé à perdre du poids, je voulais effacer mes seins, mes hanches. J’ai fini par souffrir d’un trouble alimentaire. J’ai mis des années à m’en sortir. Aujourd’hui, je vais bien. Mais je ne comprends pas encore pourquoi mon père a agi ainsi.»

Jocelyne Robert a des éléments de réponse: «Certains hommes craignent que les formes féminines de leur fille n’éveillent des fantasmes en eux. Et puis, on dénonce tellement de cas d’abus qu’il arrive que certains aient peur. “Que vont penser les voisins, se disent-ils, si ma belle grande fille s’assoit sur mes genoux?”» La sexologue s’empresse toutefois d’ajouter qu’il est normal et sain d’établir une distance physique entre les parents et les enfants lorsque ceux-ci arrivent à l’adolescence. «Attention, la distance physique n’a rien à voir avec la distance affective! précise-t-elle. C’est une question d’équilibre.»

En effet, tout est une question d’équilibre, selon Véronique Moraldi, écrivaine et conférencière spécialisée en analyse des liens familiaux et de leurs conséquences sur le comportement des adultes. «Un père qui ne tient pas son adolescente à distance, ça peut devenir très “castrant” pour elle. S’il est trop présent, trop protecteur, celle-ci risque de ne jamais se détacher de lui. C’est pourquoi il doit “lâcher” sa fille pour qu’elle puisse aimer un autre homme que lui.»

Père absent? trop présent? pas assez aimant? Le père idéal n’existe sans doute pas. Mais qu’il existe ou pas importe peu, finalement, car si son influence sur l’identité sexuelle et la vie amoureuse de sa fille est indéniable, elle n’est ni définitive ni unique. «Le passé en tant que tel n’est pas intéressant, conclut Guy Corneau. Ce qui est intéressant, c’est de voir en quoi notre passé influence notre présent.» Le but n’est donc pas de trouver un coupable, responsable de nos malheurs, mais de comprendre les blessures de notre enfance pour mieux arriver à les surmonter.

 

L’histoire de Soraya, 38 ans: «Mon père m’a énormément déçue, comme père et comme homme.»

«J’avais 12 ans quand mes parents ont divorcé. Jusque-là, mon père avait toujours été un homme présent, aimant et affectueux. Puis, du jour au lendemain, plus rien! J’ai continué de le voir de temps à autre, mais il est devenu distant, irresponsable, égoïste… Cet abandon et ce changement de comportement ont eu l’effet d’une bombe dans ma vie. Je ne comprenais plus rien! Comme c’était déjà suffisamment tendu et compliqué entre mes parents, j’ai tout gardé à l’intérieur de moi. J’ai enterré ma douleur et j’ai continué d’avancer. À 35 ans, je me suis littéralement effondrée. Cette vieille blessure a explosé, tel un volcan! Je n’ai pas eu d’autre choix que d’entreprendre une thérapie. C’est là que j’ai pu laisser sortir ma colère et ma peine. J’ai saisi que mon père m’avait énormément déçue, comme père et comme homme. J’ai aussi compris que, pendant de longues années, j’avais confondu mon père et toute la gent masculine. Je jugeais constamment les hommes, je ne leur trouvais que des défauts. Il m’a fallu revoir tous mes préjugés et toutes mes peurs, et les apprivoiser. Le processus a été laborieux, mais extrêmement bénéfique. Je me suis rendu compte qu’il y avait plein de gars qui possédaient plein de qualités. Ça a vraiment changé ma vie!»

L’avis du psy «Pour s’épanouir, une femme blessée doit faire le deuil de son père. Elle doit cesser de chercher à “réparer” ou à “revivre” ce que ses parents ne lui ont pas donné. Il lui faut à tout prix se rebâtir à l’extérieur d’eux.» Marc Pistorio, psychologue

L’histoire d’Amélie, 27 ans: «Chaque fois que j’avais besoin de mon père, il lâchait tout pour s’occuper de moi.»

«J’ai toujours été perfectionniste et angoissée. Quand j’étais stressée, c’était vers mon père que je me tournais. Il m’aidait à m’organiser. Chaque fois que j’avais besoin de lui, il lâchait tout pour s’occuper de moi. Je me sentais importante à ses yeux. Comme j’étais très axée sur la performance, mon père m’a appris que ce qui compte, ce n’est pas le résultat, mais le cheminement. Cet enseignement m’a aidée à calmer mes angoisses et il m’aide encore aujourd’hui, tant dans mon travail que dans mes rapports avec les autres et dans mes relations amoureuses. Je prends soin de moi et d’autrui. J’ai une bonne estime de moi. Et je sais que le regard aimant de mon père y est pour beaucoup. Depuis quelques années, je partage ma vie avec un homme qui lui ressemble énormément. Il possède les mêmes grandes qualités… et les mêmes travers. Mon chum est un intellectuel, très peu manuel. Si je veux que les choses se fassent dans la maison, je dois souvent les faire moi-même et, parfois, ça m’irrite. Je comprends maintenant pourquoi ma mère était parfois exaspérée de vivre avec un homme aussi peu doué manuellement, mais les qualités de mon père (et celles de mon amoureux) compensent largement ses défauts!»

L’avis du psy «Le père idéal est celui qui est disponible, qui joue avec son enfant et prend le temps d’établir un lien spécial avec sa fille. On ne lui demande pas d’être parfait, on lui demande d’avoir une présence bienveillante et affectueuse auprès de sa fille.» Guy Corneau, psychanalyste

 

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