Conjuguer le sport et la mode n’est pas une idée nouvelle. Les basketteurs de la NBA sont connus pour leurs tenues d’avant-match, le plus souvent cool et décontractées, voire ostentatoires. Serena Williams a fait trois fois la couverture du Vogue, et le style sportif chic et urbain de Travis Kelce, champion du Super Bowl, ne fait que s’améliorer depuis qu’il fréquente Taylor Swift (la pop star, elle, incorpore des clins d’œil au football américain dans chacun de ses looks ultramédiatisés le jour d’un match). Quant à la collaboration de longue date entre Rihanna et Puma, elle a donné lieu à un éventail de vêtements et de baskets «athléchics». Le seul sport qui a été généralement exclu de la conversation? Le hockey. 

Selon Sara Civian, journaliste indépendante spécialisée dans le hockey, qui rédige des articles classant le style des joueurs de la LNH pour le site sportif Bleacher Report, les raisons sont multiples. À son avis, le hockey a une longue tradition en matière d’image publique, qui se traduit notamment par un code vestimentaire strict au sein de la Ligue: les joueurs sont généralement tenus de porter un complet-cravate, de se conformer à une certaine étiquette afin de présenter un front uni en tant qu’équipe. «Je pense que le manque de style est aussi dû à un manque de diversité — c’est un sport très blanc et homogène. J’ai parlé à des joueurs de couleur, et ils m’ont dit qu’ils s’inspiraient d’autres joueurs de couleur de la Ligue lorsqu’ils veulent exprimer leur style. En général, ils respectent l’obligation de porter le complet, mais en le rendant plus intéressant.» 

Dans les dernières années, les choses ont commencé à changer. Durant la saison 2020, lorsque la pandémie a restreint la possibilité de voyager, la Ligue a temporairement assoupli ses règles, et, depuis, certaines équipes, notamment les Maple Leafs de Toronto, ont permis occasionnellement à leurs joueurs d’expérimenter dans ce domaine. Ceux-ci font aussi de plus en plus appel à des stylistes et à des créateurs pour leurs tenues d’avant-match. Selon le média numérique canadien theScore, par exemple, le designer pour hommes Tom Marchitelli travaille fréquemment avec certains des meilleurs athlètes de la Ligue, dont le gardien de but des Bruins de Boston, Linus Ullmark. De leur côté, les équipes de création de contenu, jeunes et branchées, savent tirer profit des photos d’avant-match et des événements qui font le buzz et qui deviennent de plus en plus une vitrine mode. On se rappelle la doudoune géante à pois signée Marni que Justin Bieber portait en tant que capitaine invité au Match des étoiles de la LNH en février dernier à Toronto. Selon Sara Civian, les athlètes ont tout intérêt à continuer sur cette lancée. «La mode est non seulement un moyen pour les joueurs d’obtenir des contrats avec les marques, mais aussi de s’exprimer, de se faire connaître et d’acquérir le genre de charisme médiatique qui manque à la LNH.»

«La mode est non seulement un moyen pour les joueurs d’obtenir des contrats avec les marques, mais aussi de s’exprimer, de se faire connaître et d’acquérir le genre de charisme médiatique qui manque à la LNH.»

Mais la LNH a déjà été éclipsée par une nouvelle recrue. Lorsque la Ligue professionnelle de hockey féminin (LPHF) — une ligue unifiée bénéficiant d’un large soutien de l’industrie et d’efforts de marketing réels — a lancé sa saison inaugurale en janvier dernier, les athlètes ont montré leurs talents tant sportif que vestimentaire. Avant chaque match, chacune des six équipes de cette Ligue partage, pour le bonheur des fans, des photos et des vidéos où on voit les joueuses poser avec enthousiasme dans toutes sortes de tenues, du blazer rose au pantalon de survêtement minimaliste. La LPHF, qui n’a pas de code vestimentaire, semble avoir compris ce que la LNH a mis des décennies à apprendre: permettre aux athlètes de dévoiler leur personnalité par leur façon de s’habiller a de la valeur lorsqu’il est question de développer un sport (et ça permet aussi aux fans d’interagir avec les hockeyeuses sur ce plan). 

«J’aime que la LPHF ait adopté la mode, et que les athlètes agissent en étant conscientes de la présence de l’appareil photo et qu’elles lancent: “OK, prenez ma tenue en photo”, dit Sara Civian. On sent que tout le monde veut que cette nouvelle Ligue fonctionne, et les looks d’avant-match sont en quelque sorte une représentation de sa légitimité. Il faut se montrer, et chacun y met du sien.»

Pour en apprendre davantage sur leurs tenues le jour d’un match, on a appelé des joueuses au style impeccable de chacune des trois équipes canadiennes de la LPHF pour jaser de leur relation avec la mode, de leur esthétique personnelle et de leur façon de s’habiller. 

Mariah Keopple — Équipe de Montréal

Mariah Keopple — Équipe de MontréalARIANNE BERGERON / PWHL MONTREAL

Mariah Keopple, de l’équipe de Montréal, s’est rapidement imposée comme une joueuse à surveiller, à la fois sur la glace et du côté vestimentaire. Cette défenseuse née au Wisconsin se distingue aussi par un autre talent: elle conçoit et confectionne la plupart des tenues qu’elle porte le jour d’un match, un savoir-faire qu’elle a acquis durant la pandémie, quand les matchs de l’Ivy League ont été annulés. Mariah Keopple a toujours été créative, mais lorsque la COVID l’a forcée à prendre une année sabbatique durant ses études à l’Université de Princeton, elle a eu envie de s’occuper. Armée d’une machine à coudre, elle a décidé d’apprendre à fabriquer des vêtements à l’aide de tutoriels YouTube et des précieux conseils de sa grand-mère. «J’ai toujours été très active — mes amis et ma famille disent que je ne dois jamais m’ennuyer. En ce qui concerne les vêtements, je pense qu’il est amusant de porter quelque chose d’unique; je vais donc dans les boutiques de seconde main pour trouver ce genre de pièces. J’ai même commencé à me dire: “Je peux juste créer quelque chose d’unique moi-même.”» 

Pour quelqu’un comme Mariah Keopple, qui affirme que son style personnel est flexible et qui affectionne différents goûts esthétiques, c’est un talent particulièrement utile. «J’aime les tons neutres et les looks monochromes, mais je peux aussi être très streetwear, adopter un style bohème ou très soigné», dit la joueuse, qui a d’ailleurs conçu des vêtements pour la marque américaine Royalty Sports. Mais ce qu’elle souhaite avant tout est de se sentir bien habillée et bien dans ce qu’elle porte. Quand il s’agit de concevoir l’habillement qu’elle enfilera le jour d’un match, tout dépend de son emploi du temps, mais en général, Mariah Keopple y pense longtemps à l’avance. Pour le match d’ouverture, joué à Montréal, elle a confectionné un tailleur beige comportant au dos la date, le nom de son équipe et des illustrations représentant Montréal. Sur son pantalon étaient inscrits le numéro des maillots de ses coéquipières et leur signature. Pour une autre occasion, elle a transformé des napperons à fleurs vintage en corset. Mariah Keopple a l’habitude de s’intéresser à la mode — elle a même écrit sa thèse à Princeton sur le lien qui existe entre les vêtements et l’identité — et elle est ravie d’avoir ce genre d’exutoire tout en pratiquant le sport qu’elle aime. 

«Dans l’équipe, les gens demandent toujours: “Oh, qu’est-ce que Mariah va porter?”», dit-elle en ajoutant qu’elle espère qu’on voie la créativité et la passion nécessaires à la conception de ses looks. «C’est tellement incroyable lorsque quelqu’un me dit: “J’aime beaucoup ton haut”, et que je peux répondre: “Merci, c’est moi qui l’ai fait.” Les vêtements sont un aspect tellement important de notre personne et de l’image qu’on projette. Ça nous relie tous d’une manière que les gens ne comprennent pas, je crois.» 

SON CRÉATEUR PRÉFÉRÉ :

«Marc Jacobs. J’ai regardé ses vidéos MasterClass, et je suis obsédée par son esthétique.»

SA PIÈCE INCONTOURNABLE :

«Un haut à col cheminée à manches longues; je peux en porter un avec n’importe quelle tenue.»

SES ENVIES DE MODE :

«Je suis allée en Italie l’été dernier, et chaque fois que je passais devant une boutique Prada, j’avais très envie d’acheter un des serre-tête en vitrine. Je pense que ça compléterait bon nombre de mes tenues. Je porte beaucoup de chapeaux; ça ferait changement.»

Sarah Nurse — Équipe de Toronto

Sarah Nurse — Équipe de Toronto HEATHER POLLOCK / PWHL TORONTO

Sarah Nurse se rappelle la première fois qu’elle a dû penser à la tenue qu’elle porterait le jour d’un match. Elle avait sept ans, et l’entraîneur de l’équipe de garçons dans laquelle elle jouait avait demandé que tous les athlètes en herbe portent un costume-cravate. «Je me souviens de m’être dit: “Mais je suis une fille; est-ce que je peux porter une jupe?” Ce que l’entraîneur a immédiatement refusé», raconte Sarah Nurse, originaire de Hamilton, en Ontario. «Ma version du costume-cravate a consisté en une chemise rose et une cravate des Maple Leafs de Toronto, étant donné que j’aimais beaucoup cette équipe. C’est la première fois que je me rappelle avoir pu respecter les règles vestimentaires tout en me les appropriant.» Sarah Nurse, qui a participé deux fois aux Jeux olympiques et remporté une médaille d’or avec l’Équipe nationale féminine du Canada, a conservé cet état d’esprit tout au long de sa carrière professionnelle. Comme le hockey est un sport «assez masculin» et que beaucoup de ses amies étaient des «garçons manqués», elle a toujours utilisé la mode pour exprimer son côté féminin. Aujourd’hui, qu’elle se rende à un match, qu’elle soit en ville ou simplement chez elle, Sarah Nurse adore jouer avec les textures et les matières pour instiller une dose de glamour à son style. «Je n’aime pas réserver mes tenues à des occasions spéciales. J’aime être heureuse et me sentir bien dans ce que je porte, peu importe où je vais. J’aime pouvoir glamouriser ma vie.» Le jour d’un match, Sarah Nurse a tendance à planifier ses looks tout en se laissant une certaine liberté, afin de canaliser l’atmosphère du jour J. Les matchs du samedi soir, par exemple, sont l’occasion de «donner plus de pep» à ses looks, qui penchent pour une esthétique d’affaires décontractée (mais toujours amusante) lorsqu’elle joue à l’extérieur, parce qu’elle s’habille à partir de ce qu’elle a mis dans sa valise plutôt que du contenu de sa garde-robe. Elle s’amuse également à adopter la teinte bleue caractéristique de son équipe et des pièces fortes, comme un manteau court en fausse fourrure bleu électrique, qu’elle a porté avec un sac Prada à petites pierres pour un des premiers matchs de la saison. 

Sarah Nurse aime que les photos d’avant-match lui permettent de mettre en valeur sa personnalité tout en dévoilant une autre facette du hockey féminin. «J’espère que lorsque les gens voient mes vêtements, ils comprennent que je ne crains pas d’être audacieuse et de révéler qui je suis. Pendant longtemps, le hockey a été un sport tellement traditionnel… Le fait qu’on puisse en repousser les limites et exprimer notre créativité est donc vraiment important pour moi. Les femmes de notre Ligue ont des styles et des points de vue tellement différents que si vous regardez nos tenues, vous trouverez quelqu’un qui vous représentera.» 

SA PIÈCE PHARE :

«Je suis une inconditionnelle de sacs à main, et j’ai récemment fait l’acquisition d’un sac Fendi rose à paillettes, similaire à celui de Carrie Bradshaw dans Sex and the City. J’aime pouvoir l’associer à un vêtement chic ou décontracté.» 

SON ICÔNE DE STYLE :

«Rihanna. Elle repousse les limites et ne craint pas de mélanger les matières et les textures, tout en brouillant la frontière entre le sport et la mode.» 

SON PREMIER ACHAT IMPORTANT :

«Un petit sac noir à bandoulière Soho, de Gucci. J’étais si fière. Il avait probablement coûté 900 $, ce qui est beaucoup d’argent, et je le portais avec tout.»

Lexie Adzija — Équipe d’Ottawa / Équipe de Boston

Lexie Adzija — Équipe d’Ottawa / Équipe de BostonPWHL OTTAWA

Lexie Adzija est une accro du shopping autoproclamée, une habitude qu’elle a prise dès l’enfance. Elle et sa mère adoraient passer du temps ensemble dans les centres commerciaux; elle effectuait même parfois le voyage de sa ville natale, St. Thomas, en Ontario, jusqu’à Toronto pour magasiner. «J’étais tellement occupée par le hockey que dès que j’avais l’occasion d’enfiler une jolie tenue, j’en profitais. Je me suis rendu compte en grandissant que la mode occupait de plus en plus de place dans ma vie, qu’il s’agisse de magasiner ou d’être créative en concevant mon propre style et en découvrant ce que j’aimais ou pas en fonction des tendances.» 

Lexie Adzija est aujourd’hui attaquante dans l’équipe d’Ottawa — sa première expérience professionnelle après l’université —, et elle voit la mode et les looks qu’elle portera le jour d’un match non seulement comme un moyen d’exprimer sa personnalité, mais aussi comme l’occasion de développer une image de marque qui complète ses nombreux talents sur la glace. (En mars, après cette entrevue, Lexie a rejoint l’équipe de Boston.) Elle décrit son esthétique comme étant soit «bourgeoise», soit urbaine et cool. Le style qu’elle privilégie dépend de son humeur et de ce qu’elle fait, et il est possible de voir ces deux versions d’elle-même avant un match. Au cours d’une journée où l’énergie est palpable, par exemple, elle penche davantage pour une allure chic, mais elle aime aussi incorporer dans ses looks quelques clins d’œil à l’équipe adverse. Lors d’un match contre l’équipe de Montréal, elle avait mis un haut noir et blanc avec des manches en dentelle, une minijupe noire et un béret rouge. «Mes coéquipières m’appelaient “Lexie in Paris” pour plaisanter», dit-elle en riant. 

Pour élaborer ses tenues, elle commence par ses essentiels préférés (blazer, pantalon en cuir) dans des tons neutres, puis trouve des moyens d’incorporer des touches de couleur, la plupart du temps avec ses accessoires (sac, chaussures ou chapeau). Elle essaie également de préparer ses tenues au moins deux jours à l’avance pour éviter tout stress supplémentaire. Les looks qu’elle choisit de porter le jour d’un match ne servent pas seulement à exprimer son amour pour la mode, à avoir du fun et à être présentable; ils lui permettent aussi de rejoindre les joueuses de hockey et les fans, plus particulièrement les jeunes filles, afin de leur prouver qu’elles ont le choix de la façon dont elles se montrent. «J’ai beaucoup réfléchi au message que je voulais faire passer. Mon image de marque est qu’on peut faire les deux: on peut être féminine, s’habiller et afficher son style tout en étant une compétitrice féroce sur la glace.» 

SON ENDROIT PRÉFÉRÉ POUR MAGASINER :

«Simons — j’adore, parce que ça répond à mes deux envies en matière de style. J’aime aussi que ce soit un commerce canadien.» 

SA PIÈCE INCONTOURNABLE :

«Mon sac Saint Laurent, qui permet de parfaire n’importe quel ensemble.» 

SES ENVIES DE MODE :

«J’ai des vues sur un sac et des baskets montantes Dior depuis un certain temps. Avec les achats de luxe, je suis normalement assez sage: je dois aimer une pièce pendant au moins trois mois avant de me la procurer.»