Je ne suis pas du genre à me soucier de mon apparence… Je passe même la plupart de mes journées en pyjama – ah, les joies du travail à la maison! Mais, ce matin, j’avoue avoir hésité un long moment avant de choisir quelle tenue enfiler. La raison de cette angoisse soudaine? J’ai rendez-vous chez NellyRodi, un réputé bureau de style parisien. L’agence, qui se trouve à un jet de pierre du célèbre Moulin Rouge, à Montmartre, compte parmi ses clients plusieurs grands noms de la mode, dont Louis Vuitton, Kenzo et Tommy Hilfiger. En y mettant les pieds, je n’aperçois toutefois aucun designer célèbre. Il règne néanmoins une certaine fébrilité dans la salle commune à la déco un brin rétro. Je comprends rapidement pourquoi: en cette chaude matinée d’été, l’équipe se prépare à présenter les nouveaux uniformes d’une importante société de transport française. «Les créateurs de mode ne sont pas nos seuls clients. Nous collaborons aussi avec toutes sortes d’entreprises qui souhaitent renouveler leur image», m’explique Nathalie Rozborski, alors que nous grimpons l’escalier vitré qui mène à son bureau ultralumineux.

Nathalie est directrice conseil mode et beauté chez NellyRodi. Autrement dit, elle est ce qu’on appelle une chasseuse de tendances. Son rôle? Déterminer les musts des saisons à venir. «Nous élaborons nos scénarios au moins deux ans à l’avance, indique-t-elle. Nous n’avons évidemment pas de boule de cristal, mais nos prévisions s’avèrent en général assez justes, puisque nous nous appuyons sur une démarche très rigoureuse.»

Il y a déjà quelques années, par exemple, ses collègues avaient prévu qu’à l’été 2013 les matières irisées retrouveraient leurs lettres de noblesse. Ils ne se sont pas trompés: elles ont notamment été aperçues dans les défilés de Burberry Prorsum, de Christian Dior et de Jean Paul Gaultier. Au même moment, les collections d’Emporio Armani, de Kenzo et de Max-Mara s’inspiraient quant à elles du thème safari, ce qui validait une autre des prédictions de NellyRodi.

Photo: Nathalie Rozborski, chasseuse de tendances.

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Flairer l’air du temps

Pour déterminer quelle teinte de rouge sera sur toutes les lèvres ou quelle coupe de pantalon fera craquer les acheteurs, les chasseurs de tendances procèdent d’abord à une minutieuse collecte de données. «Nous sommes comme des éponges, illustre Nathalie Rozborski. Où que nous soyons, nous analysons notre environnement. Quand je vais au resto, j’étudie le menu pour repérer de nouveaux ingrédients ou des mariages de saveurs inédits. Et en ce moment même, j’étudie votre robe!» (En entendant cette remarque, j’aimerais soudainement devenir aussi transparente que la très chic chaise Louis Ghost sur laquelle je suis assise.)

NellyRodi jouit également d’un vaste réseau de correspondants internationaux à l’affût de la moindre nouveauté. «Leur tâche est d’identifier ce que nous appelons des « signaux faibles », c’est-à-dire des courants encore informels, mais qui laissent présager des phénomènes sociaux à venir», souligne Nathalie Rozborski. Par exemple, la montée d’un parti politique ou la création d’un festival de musique émergente pourraient être des signes avant-coureurs de mutations plus profondes qui éventuellement influenceront les tendances…

Une fois la chasse à la nouveauté terminée, un comité d’experts procède à un brainstorming pour déterminer les quatre thèmes phares d’une saison. «Ce comité, auquel je participe, réunit des professionnels d’horizons variés: des stylistes, des coloristes, des sociologues… Il nous arrive même de faire appel à des philosophes!» révèle la pro du style.

Après cette rencontre au sommet vient l’ultime étape: l’élaboration des cahiers de tendances. Rassemblant des photos, des échantillons de tissus et des croquis, ces documents fournissent des explications sur l’origine de chaque tendance. «Nous en publions un pour les coloris, un autre pour la mode féminine, un autre encore pour la mode masculine… En tout, nous lançons une dizaine de cahiers différents par saison», poursuit-elle.

Pour avoir une meilleure idée de leur travail, je fais un saut au service de l’édition, où toute une équipe s’affaire à produire les cahiers pour la saison printemps-été… 2015! J’aperçois un employé qui s’applique à réaliser des croquis, et une fille qui se bat avec une machine à coudre pour faire des points zigzag. «C’est pour éviter que les morceaux de tissus collés dans les cahiers s’effilochent », m’explique l’apprentie couturière, tout en jetant un regard noir à sa machine.

Après ma visite, on m’offre de consulter une de ces fameuses bibles. En tant qu’analphabète de la mode, je dois avouer que j’ai la vague impression de feuilleter une version glamour du catalogue Sears. Dire que ces oracles sont vendus à prix d’or – entre 1500$ et 15 000$ -, principalement à des manufacturiers de vêtements, mais aussi à de grandes maisons de couture. Apparemment, les Jean Paul et les Karl de ce monde ne puisent pas leur inspiration que dans les yeux de leurs muses (qu’il s’agisse de Coco Rocha ou de Choupette!). C’est à se demander si les bureaux de style ne méritent pas autant qu’eux le titre de «créateurs de mode»…

Photo: L’équipe de l’agence NellyRodi, à Paris, compile les données fournies par ses chasseurs de tendances.

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