Elizabeth adore son vélo. Rétro juste ce qu’il faut, siège banane et petit panier à l’avant, il est parfaitement assorti à sa jupe ballon et ses lunettes extra larges. « C’est important que mon vélo m’aille bien: il me suit partout », affirme cette étudiante de 20 ans. À l’instar du cellulaire ou de l’ordinateur portable, la bicyclette est carrément devenue un accessoire de mode.

Pourtant, ce n’était pas gagné. On a vu des planches à neige ou de surf griffées, des chaussures de sport revisitées par les plus grands designers, des ballons de soccer couture. Mais depuis quand le vélo, moyen de transport d’une humilité quasi désarmante, se la joue-t-il fashionista?

Tout a débuté en 2007, quand Chanel a lancé son vélo couture: confectionné dans ses célèbres ateliers, il était chic (bien sûr), mais solide aussi, avec des pneus increvables et des jantes renforcées. Immanquable avec ses sacoches matelassées et son rutilant logo, le vélo Chanel reste avant tout un accessoire de défilé. À plus de 9000$, on y repense à deux fois avant de sortir son portefeuille… Mais l’idée a quand même fait du chemin. Maintenant, nombreuses sont les marques offrant leur propre vélo mode (Club Monaco, Puma, etc.). Ce qu’elles proposent? Un vélo juste ce qu’il faut de rétro, juste ce qu’il faut de chic, et, surtout, 100% fille.

Elles aiment leur vélo: photos de quatre inconnues croquées dans la rue avec leur vélo. 

Montre-moi ton vélo, je te dirai qui tu es

À l’instar d’Elizabeth, Julie et Marie-Claude vivent chacune une histoire d’amour avec leurs vélos. Rencontrées à la sortie d’ABC Vélos, elles disaient toutes que la rencontre avec leur vélo s’était soldée par un coup de foudre. «Mon vélo n’est pas seulement un moyen de transport, il fait partie de moi, il me ressemble», affirme Julie. C’est vrai, d’ailleurs: rose, jantes chromées, un tantinet rockabilly, on croirait que Julie a choisi son vélo pour compléter sa tenue. C’est exactement le cas: « Je suis toujours habillée en rose, un peu années 50, avec des bracelets rock », affirme-t-elle.

Même chose pour Marie-Claude, une étudiante de 25 ans prête à tout pour avoir son vélo fashion– même à manger des macaronis au fromage pendant un mois: » Je ne vous dirai pas le prix, mais je l’ai payé super cher, mon vélo. J’ai fait les ventes de garages, j’ai fouillé les ruelles, mais je n’ai jamais trouvé un vrai vélo vintage. C’était le prix à payer pour avoir un vélo qui a de la gueule! »

Du vieux, c’est mieux

Ce n’est pas d’hier que la tendance est au rétro. Du vintage, on en voit partout, des lunettes Wayfarer aux robes tulipes, dignes héritières du New Look lancé par Dior en 1947. Bref, tout ce qui est vieux semble mieux. Et le vélo n’échappe pas à cette tendance. Comme l’explique Patrick Beauduin, vice-président création chez Cossette, « Le rétro est un phénomène permanent. De toujours, on a été fasciné par le passé, revisitant et remettant au goût du jour ce qui a touché notre imaginaire collectif ».

Cet engouement pour le vintage est marqué, selon le publicitaire, par le lancement de quatre produits dont le design a changé la vision esthétique des moyens de transports: la New Beattle (1998), la PT Cruiser (2000), la Mini Cooper (2001) et, plus récemment, la Fiat Cinquecento (une réédition de 2007 d’une voiture lancée en 1940) ont ouvert la porte à la mode du design rétro qui, avec le temps, s’est étendue aux vélos.

Cercle fermé s’il en est un, le vélo ne s’est pas laissé gagner rapidement par la fièvre du vintage. Comme l’explique Patrick Beauduin, le marché du vélo est teinté depuis les dernières années par l’obsession de la performance. Ce n’est que tout récemment que le vélo rétro est devenu un must fashion et design. Aujourd’hui, ce genre de vélo est partout- que l’on songe au design des Bixi, qui vient de remporter la médaille de bronze aux International Design Excellence Awards.

Photo: vélo « Batavus Nuvinc », disponible à la boutique Le Yéti, 5190 St-Laurent, Montréal. www.leyeti.ca

La bicyclette, un outil d’émancipation féminine

L’Europe reste encore la reine du vélo. Comme l’explique Christian Brault, gérant et acheteur au département des vélos à la boutique Le Yéti: « Dans plusieurs pays européens, le vélo est resté un moyen de transport et il a continué d’évoluer en parallèle de l’industrie automobile, contrairement à ce qui c’est passé en Amérique. Les Européens ont continué à se déplacer en vélo avec leur tenue de ville, pantalons chic et robes de soirée ».

Avec notre fascination pour le Vieux Continent, il n’est donc pas surprenant que la demande pour ce type de vélo ait explosé depuis quelques années. Et surtout chez les filles, qui y voient, en plus d’un moyen de transport hyper pratique (et génial pour se muscler le popotin), un accessoire branché. D’autant plus que l’histoire du vélo est fortement liée à la libération sociale des femmes.

Selon feue Claire Morissette, militante du vélo et fondatrice de l’organisme de réutilisation de vélo Cyclo Nord-Sud, le vélo a permis d’avancer sur plusieurs fronts, comme la mobilité personnelle et le droit de porter des pantalons ou d’être athlétiques. Vers le milieu du XIXe siècle, le vélo était encore surtout une affaire d’hommes, raconte l’auteure dans « Deux roues, un avenir. Le vélo en ville (Écosociété, 1994). Mais pas pour longtemps. Jadis empêtrées dans leurs jupons, les femmes, inspirées par quelques suffragettes, se sont affranchies de leurs toilettes encombrantes: exit le corset, alors qu’apparaissent des jupes plus courtes et un semblant de pantalon. Le cyclisme au féminin est lancé, doublant, du même coup, le nombre d’adeptes du vélocipède. Si bien qu’on se demande, comme l’a fait Claire Morissette, si c’est la bicyclette qui a libéré la femme ou la femme qui a libéré la bicyclette…

S’afficher écolo en vélo

Le plus avec le vélo, c’est qu’il est écolo. S’afficher en vélo, c’est proclamer haut et fort qu’on est doté d’une conscience environnementale. Le vélo devient donc, comme l’explique Patrick Beauduin, vice-président création chez Cossette, « un accessoire de projection, pour concrétiser et affirmer un comportement écologique ». De simple objet utilitaire, il devient un « outil d’affirmation de soi ».

Pas si superficielle que ça, notre fascination pour le vélo…

Photo: vélo « Pashley Princess », disponible à la boutique Le Yéti, 5190 St-Laurent, Montréal. www.leyeti.ca 

Elles aiment leur vélo: photos de quatre inconnues croquées dans la rue avec leur vélo.