Un blogueur au premier rang d’un défilé, c’est sûr, ça fait joli. C’est jeune, c’est frais, ça a un style insensé, et ça change des fashionistas trop maigres. Certains internautes sont même devenus célèbres dans le milieu de la mode, comme Tavi Gevinson, cette blogueuse prodige de 13 ans qui a littéralement occulté Kirsten Dunst au show Rodarte à New York, ou Garance Doré et son petit ami, Scott Schuman, dit The Sartorialist, rois des looks de rue. Sans oublier Jane Aldridge, la Texane de 17 ans aux mille paires de chaussures qui confie ses coups de coeur sur Sea of Shoes, et Bryanboy, ce Philippin de 20 ans qui s’est autoproclamé «le blogueur le plus gai de la Toile» et à qui Marc Jacobs a dédié un sac.

Blogueurs: les nouvelles coqueluches

Ces jeunes, encore inconnus hier, sont maintenant des stars choyées et courtisées par les marques. Si leur nom ne vous dit rien, interrogez votre petite cousine de 19 ans folle de mode: elle se fie davantage à l’opinion de ces nouvelles personnalités qu’à celle de n’importe quel journaliste de magazine. Et elle a peut-être même créé son propre blogue dans l’espoir fou de devenir aussi célèbre que ses idoles. Comme une vedette de cinéma, le blogueur crée l’envie. Le milieu de la mode, c’est le nouveau Graal. Autrefois opaque et mystérieux, il s’étale désormais au grand jour sur le Net. Tout le monde veut en être, et un site perso, c’est un passeport pour y entrer.

 «Une bIogueuse est par définition une fille ordinaire», explique Garance Doré, la seule Française figurant dans le top 10 de la blogosphère mode. «Les gens se sentent très proches de moi. Ils me parlent comme s’ils me connaissaient depuis 20 ans. Mais, aujourd’hui, je ne suis plus tout à fait ordinaire; j’ai une vie incroyable.»

C’est sûr, Garance n’a plus rien d’une madame Tout-le-monde. Son avis compte: il suffit qu’elle décrète avoir aimé un défilé ou craqué pour un sac pour que la cote du créateur monte aussitôt. Rien d’étonnant donc à ce que les maisons de couture s’appuient sur elle et sur quelques autres «modeux en ligne». Garance et Tavi ont piqué la job jusque-là réservée aux actrices et aux rock-stars: porter des vêtements pour les faire connaître du grand public. «En racontant leurs expériences de magasinage, les blogueurs sont devenus des sources fiables pour les consommateurs, commente Natalie Massenet, directrice du site commercial net-a-porter. com. Ils font découvrir des sites de e-commerce et ont contribué à l’explosion des achats sur Internet.»

Blogueurs: la grogne des journalistes

Mais tout n’est pas rose pour ces nouvelles personnalités qui se retrouvent soudainement au centre de l’attention médiatique. À l’image des stars, elles peuvent faire malgré elles l’objet d’épineuses polémiques. C’est le cas de Tavi, invitée vedette du défilé Dior au cours de la semaine de la haute couture à Paris: la jeune fille s’est pointée à l’évènement affublée d’un chapeau en forme de noeud de 40 cm de haut, ce qui n’a pas plu à une rédactrice en chef anglaise, assise juste derrière elle, au deuxième rang. Celle-ci a déclaré sur Twitter être «assez fâchée de devoir regarder le show à travers le chapeau de Tavi». La grogne des acteurs des médias classiques risque d’ailleurs de croître, car Tavi et Bryanboy devraient faire partie du jury 2010 des prestigieux CFDA Fashion Awards qui désignent le créateur américain de l’année.

«Depuis qu’elles existent, les marques ont travaillé pour contrôler tous les aspects de leur image, des pages des magazines dans lesquelles elles apparaissent jusqu’à l’emplacement de leurs publicités sur les murs de la ville», explique Suzy Menkes, la vénérable journaliste de mode du
International Herald Tribune. «Et puis, Twitter est arrivé et, subitement, n’importe qui peut sortir d’un défilé et décréter: "C’était nul, j’ai détesté!" Ce commentaire banal peut agir comme un véritable virus, susciter des centaines de milliers de réponses, et en un instant trois millions de personnes peuvent tenir des propos négatifs. C’est terrifiant pour les dirigeants d’une maison de couture!»

En choyant les blogueurs, les marques amadouent la monstrueuse Toile. « Il faut leur donner le respect qu’ils méritent», déclarait récemment dans la presse anglaise Christopher Bailey, le directeur artistique de Burberry, devenu roi des fashion geeks en présentant son défilé en direct sur Internet et en organisant des projections en 3D dans des espaces choisis à New York, à Paris, à Tokyo et à Dubaï. Dior est aussi entré dans la danse et utilise les commentaires de ces nouveaux prescripteurs pour faire connaître son sac Lady Dior. Quant à Sonia Rykiel, elle a invité à son défilé les heureuses blogueuses qui avaient rédigé un compte rendu enthousiaste du lancement de sa collection pour H&M.

Blogueurs: pros ou imposteurs?

C’est devenu un cercle vertueux: les blogueurs rêvent d’un destin à la Garance Doré et les maisons de couture comptent sur leur présence pour renvoyer au public une image moderne. Ce qui se fait parfois dans une certaine précipitation: l’an dernier, une entreprise italienne n’a pas hésité à déloger des acheteurs influents pour placer six blogueurs aux premières loges avec force webcams et appareils photo.

«Je trouve très bien que le domaine de la mode soit à l’avant-garde de l’éclatement des sources d’information, et je comprends que les marques s’enflamment pour les blogues», commente Olivier Zahm, créateur de la revue-culte
Purple Fashion Magazine devenu lui-même un blogueur influent: son site
Purple Diary compte pas moins de 100 000 visiteurs chaque semaine. Il précise toutefois: «Cette explosion de subjectivité serait passionnante si les blogueurs avaient un esprit indépendant et un véritable point de vue sur la création. Or, la plupart du temps, ce qu’ils écrivent est faible et sans individualité. Il vaudrait parfois mieux avoir de bons photographes, des écrivains et des artistes au premier rang plutôt que des jeunes de 13 ans.»

En effet, pour un site comme celui du Sartorialist, il en existe des dizaines de milliers sans âme dont les auteurs rêvent pourtant de bénéficier du même traitement privilégié. «C’est la folie, raconte la blogueuse londonienne Susie Bubble, qui est aussi journaliste au magazine en ligne Dazed Digital. Cette saison, à la semaine de la mode à Londres, la part des places attribuées aux blogueurs est passée de 22 % à 33 %. Ils ont un discours militant, ils parlent de lutter pour leurs droits, de casser la dictature de la presse, et ils sont prêts à tout pour assister aux défilés. J’en ai entendu certains se présenter comme rédacteur en chef de leur blogue! Ils cherchent désespérément à convaincre les marques qu’ils ont une véritable influence.»

Être jugé bankable (une valeur sûre) par une maison de couture, voilà le nouveau rêve américain des blogueurs. «Les entreprises de mode se sont mises à chercher les personnes les plus atypiques, constate Coco, auteure du blogue très populaire Tendances de Mode. Tavi est devenue en quelques semaines le nouveau petit singe savant du milieu. Le parallèle avec les stars est évident: on s’approprie l’identité de ces jeunes, on "surdimensionne" leur notoriété… C’est dangereux. On les flatte, on les couvre de cadeaux. Il est donc possible qu’ils perdent peu à peu leur autonomie et leur regard neuf, surtout s’ils commencent à recourir à la pub et à collaborer avec les marques afin de poursuivre leur carrière. Or s’ils perdent leur indépendance, ça risque de les perdre eux-mêmes.»

Le top des blogueurs

  • Les amants terribles: Garance Doré et Scott Schuman

The Sartorialist,
Garance Doré 

Les marques qui les chouchoutent: Sonia Rykiel adore habiller Garance; et Burberry ne jure que par Scott Schuman.

  • La bébé blogueuse: Tavi Gevinson

Style Rookie

La marque qui la chouchoute: Rodarte. Elle a inspiré les créatrices de la maison, les soeurs Mulleavy, pour la collection Target.

  • La branchée: Rumi Neely

Fashiontoast

La marque qui la chouchoute: Alexander Wang lui envoie ses sacs en avant-première.

  • L’androgyne: Bryanboy

Bryanboy

Les marques qui le chouchoutent: Dolce & Gabbana, qui l’habille de la tête aux pieds; et Marc Jacobs.

 

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