Des craques célèbres

Georgia May Jagger n’a pas que la moue généreuse de son célèbre papa Mick et les jambes interminables de sa maman Jerry Hall: photographes et designers craquent littéralement pour son espacement entre les dents. À 18 ans, la mannequin est déjà l’égérie de la marque Rimmel, en plus d’être la vedette des dernières campagnes Versace et Hudson Jeans. Même chose pour la Néerlandaise Lara Stone, élevée au rang de superstar par les gourous de la mode et dont la dentition, pourtant, est loin de manquer de mordant!

Il y a bien eu, avant elles, quelques mannequins connues à l’apparence singulière: on n’a qu’à penser à Eve Salvail et à son crâne tatoué, ou à Inès de la Fressange et à son léger strabisme. Reste que, plus souvent qu’autrement, l’image lisse et parfaite l’emporte sur la singularité d’un visage.

Ces dernières années, défilés de mode et photos n’ont cessé de mettre en scène une armada de beautés slaves, toutes plus ou moins clones de Natalia Vodianova. Mais le paysage a changé. Peut-être parce que des papes de l’industrie – comme le photographe Peter Lindbergh, qui s’est pourtant rendu célèbre en croquant sur le vif Naomi Campbell, Linda Evangelista, Christy Turlington ou Cindy Crawford dans les années 90 – n’ont pas peur de crier haut et fort que «le beau, c’est boring

Photo: Georgia May Jagger pour la campagne Hudson Jeans

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La beauté: un je-ne-sais-quoi

À la tête de l’agence montréalaise Specs, Marie-Josée Trempe œuvre dans l’industrie depuis 30 ans. Maquilleuse pendant 10 ans, elle soutient qu’au moment de repérer de nouvelles têtes, «l’exotisme et la différence (lui) tombent tout naturellement dans l’œil». Pas étonnant que son écurie d’une centaine de modèles regroupe des gens d’âge, de taille et d’origines ethniques différentes, en plus de recenser une grande quantité de rouquines, son faible. «Pour sortir de l’archétype des filles de l’Est, beaucoup d’agences internationales se mettent peu à peu à rechercher des visages singuliers, dotés de particularités étonnantes, soutient-elle. L’idée derrière tout ça est de se distinguer et de mettre au monde de nouvelles icônes». Car, comme l’explique Marie-Josée, «le boulot de mannequin est éphémère, au point où on ne peut désormais plus parler de carrière. Il faut donc repérer le petit je-ne-sais-quoi qui réussira à mousser vite fait la popularité d’une fille, pour que ça puisse rapporter tant à l’agence qu’à la mannequin elle-même». Et, parmi ces petits je-ne-sais-quoi, figurent tant les craques entre les dents ou les taches de rousseur, que les derrières rebondis et autres courbes voluptueuses.

 

La «pipolisation» des mannequins

Dean Rodgers agit à titre de bookeur et recruteur de nouveaux visages au sein de l’agence new-yorkaise Marilyn. De renommée internationale, la boîte se spécialise d’ailleurs dans le management de modèles «différents», dont Lindsey Wixson, une jeune Américaine à la bouche très étroite et à la dentition – avouons-le – de lapine. «Le marché de la mode regorge de filles et de gars au joli minois, admet Dean. Designers et magazines exigent donc qu’on leur présente de plus en plus de visages frais et distincts, avec une personnalité bien à eux». Mais dans l’esprit de Dean Rogers, l’engouement est plutôt cyclique, et ce, malgré le fait que l’original et l’intrigant aient toujours trouvé grâce aux yeux du public. «L’extrême popularité des top modèles, dans les années 90, a été suivie par l’émergence des mannequins grunge, prisées entre autres par Calvin Klein, nous fait remarquer le bookeur. Aujourd’hui, pour faire contrepoids à l’invasion russe et ukrainienne sur les podiums, on tend peu à peu à se tourner vers des visages qui s’éloignent de la beauté glaciale.»

Photo: Lara Stone au défilé automne-hiver 2010 de Louis Vuitton (Imaxtree.com)

Mais d’où vient donc cet engouement pour une forme de beauté singulière et décalée? Dean Rodgers le relie directement à la montée en popularité des stars. «Pour attirer un auditoire plus jeune, les publications et les labels regardent ce qui allume les ados, explique Dean. Et beaucoup des vedettes chéries du public se démarquent par leur plastique singulière». D’où l’intérêt, pour plusieurs marques, d’embaucher des actrices ou des chanteuses comme ambassadrices. Malgré sa dentition proéminente, Hilary Swank a, par exemple, prêté son image à Guerlain. Et plus récemment, Vanessa Paradis a remis au goût du jour les palettes distanciées, devenant l’égérie de Chanel et de son nouveau tube, Rouge Coco. 

 

À la mode de chez nous

Goutte d’eau dans un océan de mode, le Québec semble traîner de la patte, côté mannequins distinctifs. «La bataille pour la diversité corporelle des mannequins est de longue haleine dans la province, reconnaît Marie-Josée Trempe de l’agence Specs, surtout depuis le début de la crise économique. On sent que les créateurs et les magazines d’ici misent davantage sur les beautés classiques, préférant opter pour des valeurs sûres au lieu de jouer les audacieux». Son de cloche similaire à New York. «Économiquement parlant, les temps sont difficiles, reconnaît Dean Rodgers de l’agence Marilyn. Et pour un mannequin «original», 10 modèles plus «standard» arrivent à faire leur niche sur les podiums. Mais la mouvance s’opère, tranquillement mais sûrement».

Photo: Lindsey Wixson au défilé automne-hiver 2010 de Miu Miu (Imaxtree.com)

Pas touche à la retouche!

À l’heure du numérique, on peut en un seul clic effacer une ride, niveler un double menton ou atténuer un bourrelet. Photoshop est souvent utilisé comme une baguette magique, prêtant un teint impeccable ici, un cou plus long là. Pourtant, le procédé tend peu à peu à s’essouffler et les images parfaitement léchées auxquelles il donne lieu, à s’édulcorer. Récemment interrogé par un hebdo français, Peter Lindbergh tirait à boulets rouges sur la tendance zéro défaut. «Je refuse de gommer les singularités qui font une personnalité, soutenait le photographe. Et Claudia [Schiffer], je la trouve beaucoup plus intéressante aujourd’hui qu’il y a 15 ans». Ce à quoi acquiesçait Valérie Boyer, une députée française, en déposant tout de go un projet de loi sur les retouches photo pour, a-t-elle dit, «rétablir une barrière [décente] entre virtuel et réel». L’idée derrière son projet de loi? Les photos d’images corporelles devraient porter une mention précisant qu’elles ont été retouchées, lorsque c’est le cas. Car le réel, c’est un sillon au coin d’un sourire, une pupille qui louche, un sourcil asymétrique ou un espacement entre les dents…

Photo: défilé Givenchy, automne-hiver 2009-2010 (Imaxtree.com)

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