On avait repéré Lyn Slater il y a quelques mois au détour d’Instagram. Cette sexagénaire new-yorkaise, dont le blogue Accidental Icon fait un carton, affiche un style pointu et une prédilection pour les silhouettes en noir et blanc et les créateurs japonais, de Rei Kawakubo à Yohji Yamamoto. Sa coupe au carré grise est devenue sa signature, tout comme ses lunettes noires griffées, qu’elle enlève de temps en temps. Sur ses images léchées, elle ne sourit pas beaucoup, comme si elle préférait préserver un certain mystère. Derrière ce regard bleu glacé se cache peut-être aussi une forme d’élégance: se montrer sans trop se dévoiler. Ou serait-ce tout simplement de l’audace, cet aplomb de se tailler un nom parmi les influenceuses de ce monde qui publient leurs clichés à tout-va, à grand coup de sourires immaculés et de poses lascives aux quatre coins de la planète, surtout là où le soleil brille toute l’année. Dans le petit monde fermé du blogue de mode, Lyn Slater est effectivement un OVNI, une incongruité. Celle qui s’est baptisée d’emblée Accidental Icon — icône de style malgré elle, à 60 ans passés — se fait croquer le portrait dans les rues de Manhattan par son compagnon et #InstagramHusband Calvin Lom. Les créateurs pointus s’enchaînent; le style est là, inspiré et inspirant. Sur son compte Instagram suivi par plus de 235 000 abonnés, elle assène à chaque cliché le hashtag #AgeIsNotAVariable (#LÂgeNestPasUneVariable), une mini-révolution sur la planète mode qui n’avait vu jusqu’ici que des blogueuses insolentes de jeunesse. Cette professeure spécialisée dans la protection de l’enfance à l’Université Fordham et experte légale dans le domaine de la maltraitance de l’enfance, a eu une carrière florissante avant de lancer sa plateforme, en 2014. Un pari réussi: Lyn Slater, 64 ans au compteur, jouit aujourd’hui d’une belle réputation dans le milieu de la mode, ce qui lui a entre autres permis de travailler avec des marques comme Coach 1941 et Uniqlo, et plus récemment Mango.

On a profité de son passage au Festival Mode & Design pour s’entretenir avec la New-Yorkaise, blogueuse sur le tard et modeuse jusqu’au bout des ongles (ses mains glissées dans des gants Dries Van Noten, sans aucun doute). Rencontre avec une icône accidentelle.

En 2012, la planète mode annonçait la mort du blogue, victime de son succès. Deux ans plus tard, pourtant, vous lanciez votre propre plateforme en prouvant au passage qu’il était toujours possible de se faire un nom au sein de la blogosphère. Pourquoi avez-vous pris cette décision?

Je cherchais un nouveau projet créatif. Je suivais des cours dans une école de mode, et de nombreux élèves et professeurs m’ont conseillé de démarrer mon blogue. J’avais également envie d’en apprendre davantage sur le business de la mode et créer mon blogue, pensais-je, me permettrait de faire mes recherches sur le sujet. Et puis, je ne trouvais pas de plateforme qui me ressemblait!

Si «bloguer» avait été une réalité lorsque vous étiez jeune, seriez-vous devenue blogueuse à temps plein?

J’ai, en quelque sorte, toujours été une «blogueuse» parce que j’ai tenu un journal toute ma vie. C’est d’ailleurs la partie écrite du blogue dont je préfère m’occuper. Ajouter du visuel, par contre, c’est nouveau pour moi. Mais je ne suis pas sûre que j’aurais aimé me plonger dans un blogue à temps plein: il y a toujours eu plein d’autres choses qui m’ont intéressées.

 

Que préférez-vous dans votre nouvelle carrière?

Probablement le fait d’évoluer dans un monde qui bouge très vite et d’être entourée de personnes qui pensent de façon créative, à la manière de répondre à différents problèmes qui marquent notre époque.

Avez-vous toujours eu un sens du style aussi développé?

J’ai toujours considéré que les vêtements pouvaient m’aider à exprimer qui j’étais et qui je voulais être. Mon style a donc toujours été un reflet de moi-même, dans un temps historique et culturel donné. En un sens, le style était, et est toujours, ma façon d’explorer différentes identités. C’est mon moyen de transmettre qui je suis de façon visuelle.

D’où vous vient cet intérêt accru pour la mode?

Je dois dire que mon sens du style et mon amour pour la mode me viennent de ma grand-mère. Je devrais aussi mentionner Rei Kawakubo et Yohji Yamamoto: au moment où ils se sont fait connaître, j’ai compris que les choix des vêtements étaient capables d’être des actes rebelles.

Vous êtes la preuve qu’on peut s’habiller comme on veut à n’importe quel âge. Qu’avez-vous envie de dire à ceux qui pensent autrement?

Selon moi, mon projet n’a rien à voir avec l’âge. Je n’aime pas les catégories […]. À travers mes images, je montre que je m’accepte comme je suis, que je m’habille en accord avec mon ressenti et ce qui me paraît le plus authentique pour moi. […] L’âge est relatif… Je connais des femmes de 19 ans qui ne se sentiraient jamais confortables de porter une minijupe, et d’autres de 70 ans qui ont de sublimes jambes et qui n’ont pas peur de les montrer! En général, je trouve les diktats et les règles inutiles.

 

Depuis quelques saisons déjà, les marques font appel à des mannequins de tout âge pour leurs défilés et leurs campagnes publicitaires. Pensez-vous que l’industrie de la mode est en train de devenir plus inclusive?

Je pense que certains designers le font de façons significative et importante parce qu’ils comprennent ce qu’une réelle inclusion veut dire et ce que ça signifie pour leurs clients. D’autres le font de façon symbolique pour montrer qu’ils sont capables d’embrasser la diversité. Je crois que ce noyau de marques de mode et de beauté bien informées, accompagné de magazines indépendants, est en train de mener le mouvement, et je suis persuadée que ça va continuer.

Vous avez été en charge d’un projet sur l’abus sexuel des enfants et vous donnez des cours sur la protection de l’enfance. Est-ce que la mode est un moyen pour vous d’échapper aux difficultés de votre métier?

La mode et le style font partie de celle que je suis au quotidien, lorsque j’accomplis tous les rôles que je joue dans la vie. Mon travail social m’a toujours inspirée parce qu’en dépit des choses terribles qui peuvent arriver, la résilience des êtres humains est admirable et inspirante, et j’ai le grand privilège de pouvoir être témoin de ces nombreuses histoires de courage et de grâce qui émergent malgré tout d’épreuves difficiles.

 

Pensez-vous que la mode puisse faire une différence?

En ce moment, nous avons besoin d’avoir des conversations qui ne soient pas pleines de colère et sèment la division. Les gens ont besoin de voir que la différence est une affirmation de la vie et une valeur ajoutée à la qualité de leur existence. À la place des mots et de la rhétorique, la mode et ses représentations visuelles peuvent, selon moi, engager les gens d’une autre manière et apporter des expériences émotionnelles plus positives […].

Sur une note plus joyeuse, quelles sont vos boutiques préférées à New York et en ligne?

[Les boutiques] Dover Street Market (160 Lexington Av.), IF Soho (94 Grand St.) et Barneys; [les boutiques de seconde main] Tokio7 (83 E 7th), About Glamour (310 Grand St.) et Beacon’s Closet; [et les sites] The RealReal, SSENSE et Farfetch.

Ne manquez pas l’événement «Le style n’a pas d’âge… en discussion avec Lolitta Dandoy» auquel participera Lyn Slater, ainsi que la Montréalaise Grece Ghanem, le samedi 26 août, à 17 h, sur la Passerelle Casino de Montréal, à la Place des Festivals. Pour en savoir plus, cliquez ici.