Les ateliers: comment ça marche?

La maison Chanel compte trois ateliers de couture, soit deux ateliers «flous» – qui se concentrent sur les pièces confectionnées dans des tissus fluides et légers – et un atelier tailleur qui, comme son nom l’indique, se spécialise dans les ensembles deux-pièces, notamment les mythiques tailleurs en tweed de la maison. La première d’atelier, sorte de couturière en chef et modéliste, crée les patrons de chaque tenue et supervise le travail de ses couturières. Nous avons rencontré Olivia Douchez – ou Madame Olivia -, première de l’un des ateliers «flous». En cette veille de défilé, elle dirige une équipe d’une quarantaine de petites mains, toutes concentrées sur l’exécution des dernières retouches avant le grand jour. L’ambiance est calme et studieuse. On entendrait presque une mouche voler.

Madame Olivia et ses petites mains, artistes de l’ombre


Jeune et extrêmement talentueuse, Olivia – nommée première d’atelier «flou» en mai 2015 – présente sa deuxième collection haute couture pour Chanel. Secondée par ses trois assistantes, c’est elle qui a réalisé les patrons des 24 pièces attribuées à son atelier. En s’appuyant sur le précieux savoir-faire de ses couturières, de ses modélistes et de 
ses apprenties, elle matérialise les créations pondues sur papier par le génial Karl Lagerfeld. Mesures, proportions, tombé, tout est à créer. Une sacrée responsabilité. «Il faut être passionnée pour faire ce métier, c’est ce qui nous porte. Cela exige un investissement personnel majeur; mais travailler pour Chanel était le rêve de ma vie, alors je ne vois même pas les heures filer.»

Making of d’une robe, du croquis au défilé

Tout part des croquis de Karl Lagerfeld, qu’il dessine souvent dans le calme, son téléphone éteint. De petites œuvres d’art en soi. Un visage, toujours marqué d’une bouche carmin, une silhouette élancée, la couleur d’une robe parfois signifiée par un coup d’aquarelle.
 Et puis, pour certaines créations, des flèches suivies d’annotations: «perles comme dans le corsage, mais plus grandes», «poches de côté», «tulle froncé, coupe à vif». De là, la première d’atelier prend les choses en main.


«Dès qu’on reçoit le croquis, on commence par faire
 un patron, explique Olivia. Ensuite, j’attribue le modèle
 à l’une des couturières, qui va le monter dans une toile blanche ordinaire. Mais il arrive, comme c’est le cas cette saison, qu’on ait des robes ou des jupes avec des plissés.
 Si on sait que le tissu final sera de la mousseline, par exemple, on monte une toile faite dans cette matière.
 Ça permet de se rendre compte immédiatement du tombé.»

Vient ensuite le premier essayage, au cours duquel 
Karl Lagerfeld voit tous les modèles en toile une première fois. C’est également le moment où le studio et lui décident des tissus et des couleurs qui seront utilisés pour chaque pièce. «À la suite de cet essayage-là, poursuit Olivia,
on fait les retouches au niveau des longueurs, du tombé
 et des proportions… Enfin, s’il y en a. Souvent, il n’y
 en a pas!» (rires)


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Pour une pièce brodée, l’atelier prépare le tissu
 en amont en créant le calque sur lequel les brodeurs 
de Lesage (la maison d’artisans spécialisée en broderie) vont pouvoir dessiner, puis placer leur motif de broderie. «On leur envoie le tissu de la robe, cousu d’un fil qui délimite précisément les contours de la zone de broderie, précise Olivia. Ils y apposent le calque et se mettent au travail.»


Une fois que les broderies sont livrées, la robe est présentée à Karl et au studio dans son état quasi final.
 Les petites mains effectuent les dernières retouches, puis Karl revoit le modèle une dernière fois lors de la phase d’accessoirisation (c’est pendant cette étape que nous avons réalisé notre entrevue), soit durant les deux jours précédant le défilé.

 

Les croquis d'une robe Chanel

Les croquis d’une robe Chanel / Crédit: Chanel

Perles, papier, ciseaux

Pour cette collection, Karl Lagerfeld – toujours pile dans l’air du temps – a choisi de célébrer la nature en déclinant le thème de l’environnement: «C’est pour cela qu’outre 
le noir et le blanc, on explore toute une palette de teintes naturelles, du beige à l’écru, en passant par le gris et le marron, explique Olivia. Quant aux broderies, beaucoup d’entre elles ont été réalisées à base de copeaux de bois, de perles de culture et de papier recyclé.»

Et la relève?

Un vieux métier, celui de couturière? Peut-être, mais cette profession, qui exige minutie, patience et savoir-faire, ne cesse d’attirer les jeunes: «J’en ai beaucoup, explique Olivia. En ce moment, on travaille avec trois apprenties issues de la Chambre syndicale (École de couture parisienne) et on a engagé à temps plein quelques couturières très talentueuses qui sortent tout juste de l’école. Elles sont guidées par les plus anciennes qui maîtrisent parfaitement le métier. Ça, c’est précieux!»
 

Les détails d'une robe Chanel

Les détails d’une robe Chanel / Crédit: Chanel

Échéances et imprévus

Cette collection haute couture présente 74 créations, dont plus de la moitié nécessite l’intervention des mains agiles des artisans brodeurs (Maison Lesage) et des plumassiers (Maison Lemarié). En tout, les couturières ont six semaines pour donner vie aux créations de Karl. Certaines pièces ont-elles été plus difficiles à réaliser? «Tous les modèles nous ont donné du fil à retordre, avoue Olivia. Par exemple, lorsque les broderies sont un peu lourdes, cela affecte le tombé du tissu. Il faut alors trouver une solution pour renforcer ce dernier.» Un imprévu? «Lors du dernier essayage, on a présenté à Karl une robe qu’il a beaucoup aimée. Du coup, il nous a dit d’en faire une autre en noir, celle que vous voyez sur le buste là-bas… Elle n’était pas prévue au programme. C’était il y a 15 jours.»

Rites, superstitions et bonbons!

L’univers des couturières est ponctué de rites et de croyances. 
Si Madame Olivia n’est pas particulièrement superstitieuse,
 elle adopte tout de même certaines traditions incontournables: «C’est vrai que je ne couds jamais un vêtement avec du fil vert», une couleur qui porte soi-disant malheur. De même, si jamais 
une couturière renverse une boîte d’épingles, elle les jette immédiatement. «Et il y a cette croyance que j’aime bien, ajoute Olivia. Si une robe glisse de son cintre, on dit qu’elle plaira!» Des lames de ciseaux dirigées vers la porte annoncent un licenciement, alors que si elles pointent vers les fenêtres, tout ira bien. «Par contre, si les ciseaux tombent par terre, ce n’est pas bon signe du tout, explique Madame Jacqueline, la première d’atelier tailleur. On dit même que c’est le signe d’une mort imminente!»

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Et l’amour dans tout ça? Il est au cœur de beaucoup de petits rites. Comme les couturières se piquent souvent avec leurs aiguilles, chaque doigt piqué a une signification. Une main pour le travail, une main pour l’amour. Par exemple, le pouce gauche piqué est signe de joie, l’index d’ennui, l’auriculaire de changement. On dit aussi que les brodeuses célibataires ont pour tradition de coudre l’un de leurs cheveux dans la robe de mariée pour espérer trouver leur prince charmant.

Dans un tout autre registre, il est impossible de ne pas remarquer les boîtes remplies de bonbons et de jujubes qui trônent à l’entrée des ateliers. De fait, les couturières s’offrent régulièrement une petite douceur pour surmonter le stress des derniers jours de travail avant un défilé.

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