Gary Dakin, un des vice-présidents de l’agence de mannequins Ford, raconte: «Dès l’instant où elle est entrée, d’un pas de conquérante et en secouant sa crinière, elle a pris possession de la pièce. J’ai su qu’on tenait là une future star.» C’était en 2003. Depuis, Crystal Renn, 5 pi 9 po (1,75 m) et 165 lb (75 kg) a défilé pour le couturier Jean Paul Gaultier, posé pour Dolce & Gabbana, fait la page couverture du Harper’s Bazaar russe et du Vanguardia espagnol, et a été l’objet de reportages dans les Vogue français, américain, italien et allemand. ELLE QUÉBEC est aussi tombé sous le charme. Au moment de son passage au studio de Leda & St.Jacques l’automne dernier, la top de 21 ans a enflammé l’équipe au complet: Oh là là, la diva! Top glam! «Crystal, you are a femme fatale!» Et ça n’a rien à voir avec des dossiers Spécial taille forte. Elle est simplement «drop-dead gorgeous», comme le précise Steven Meisel, le photographe qui apporte la célébrité aux aspirantes tops.

C’est lors d’une séance photo pour le Vogue américain que Steven Meisel découvre Crystal. Il est subjugué. Bien sûr, elle a une peau crémeuse, une lourde chevelure d’ébène, qui trahit ses ancêtres cherokees, et des sourcils en broussaille. Mais aussi et surtout, la jeune fille de 17 ans irradie la même sensualité triomphante que les modèles de Rubens et des peintres de la Renaissance italienne. En outre, la belle est une bête de plateau. Devant la caméra, elle prend d’instinct les poses qui mettent en valeur sa plastique généreuse, tour à tour ingénue, provocante, élégante, mystérieuse, aussi à l’aise en robe du soir haute couture qu’en mini ultramoulante, en bikini que dans un «nu artistique».Il n’en a pas toujours été ainsi. Flash-back. Crystal a 14 ans et vit chez sa grand-mère dans une petite ville du Mississippi. Un chasseur de talents la remarque et lui fait miroiter une carrière de mannequin, à la condition qu’elle perde du poids. Beaucoup de poids. «Cinquante livres minimum. À force de privations, mon tour de hanches est passé de 43 à 33 pouces, et j’ai pu commencer à travailler.» Trois ans plus tard, l’agent décroche la timbale: un catalogue de maillots de bain, 40 000 $ à la clé. «Les semaines précédant le casting, je me suis nourrie exclusivement de laitue iceberg et je me suis entraînée huit heures par jour.» Ce régime draconien s’avère inutile. Quand elle se présente, on lui dit: «Les cuisses, ça ne va pas. Il faut encore maigrir.»

Pour Crystal, c’est le déclic salvateur. «Je me suis rendu compte que j’étais prête à crever dans le seul but d’exercer un métier que, de toute façon, je ne pourrais plus pratiquer si je mourais. Absurde, non?» Elle cesse alors de lutter contre sa morphologie naturelle, abandonne les coupe-faims et la cigarette, mange du gâteau si elle en a envie, reprend ce qu’elle appelle son poids santé, proclame «Vive les rondes!» à la télé, notamment à l’émission d’Oprah Winfrey, et devient une star aux États-Unis. Ironie du sort, alors que la carrière de Crystal-le-mannequin-anorexique était vouée à l’anonymat, celle de Crystal-lemannequin- tout-en-courbes explose. «À l’époque où j’étais maigre, les équipes de casting me trouvaient toujours trop grosse. Maintenant, elles jugent que je suis plutôt mince pour une taille forte.»