Avec leurs lignes marinières bleu foncé et leurs motifs tatouage, les meubles de Jean Paul Gaultier pour Roche Bobois sont immédiatement reconnaissables. Décalés, un brin flyés, ils ont évidemment beaucoup fait parler d’eux. Des magazines de mode aux publications déco en passant par la blablasphère, personne n’a pu résister à la tentation de commenter.

Hautement médiatisée, cette première collaboration est pourtant loin d’être unique. Aujourd’hui, pas une saison ne passe sans que l’on annonce une nouvelle collaboration stellaire entre un designer de mode et un hôtel, un fabricant de meubles ou d’accessoires de cuisine. Diane von Furstenberg et Christian Lacroix se sont ainsi lancés dans la déco d’hôtels, Sonia Rykiel s’est récemment associée à Lelièvre pour sa première collection de déco d’intérieur, la griffe Diesel propose maintenant des meubles, tandis que Marc Jacobs a collaboré avec Waterford Wedgwood pour produire de la vaisselle. Quant aux maisons Ralph Lauren, Calvin Klein et Armani, elles possèdent leur propre collection déco depuis plusieurs années.

Et le Québec n’est pas en reste. Marie Saint Pierre s’est lancée dans la literie et possède une petite collection maison, comprenant des coussins et des jetés, Barilà a confectionné des costumes pour l’Opéra de Montréal, alors que Jean-Claude Poitras a créé aussi bien des uniformes d’infirmières que des objets déco au cours des dernières années.

 

Photo: Les meubles de Jean Paul Gaultier pour Roche Bobois (Gracieuseté de Roche Bobois)

Pourquoi certains designers décident-ils de s’aventurer hors de leur domaine de prédilection? «Généralement, ce sont les gens qui m’approchent. Ils viennent me voir parce qu’ils connaissent mon travail», précise Marie Saint Pierre. Au départ, la designer montréalaise avait ainsi décliné les avances des hôtels Le Germain avec qui elle a produit une collection de literie. Comment a-t-elle fini par se laisser convaincre? «Un jour, Christiane Germain est entrée dans ma boutique et m’a dit: « Marie j’aimerais que tu habilles les lits du Germain. » Quand elle a parlé d’habillement, je n’ai pas pu dire non», poursuit la designer.

Depuis, Marie Saint Pierre ne cesse de se féliciter d’avoir accepté cette collaboration. Aujourd’hui, elle espère même pouvoir s’essayer à la décoration d’intérieur, voire à l’architecture. À ces yeux, ces domaines sont connexes à son travail. Il est question de proportions, de textures, de matières: tout un langage qu’elle connaît et maîtrise déjà. «Je pense que je peux apporter des notions d’élégance, de féminité aussi», dit-elle.

Bien qu’elle soit régulièrement invitée à apposer son nom sur différents projets, Marie Saint Pierre dit se montrer très sélective. Cette dernière a besoin de sentir que les projets auxquels elle participe lui appartiennent pleinement. «Parfois, les compagnies veulent juste aller chercher un nom et, en bout de ligne, on ne devient qu’un nom sur un produit. Cela se fait beaucoup, mais c’est quelque chose que je refuse», indique-t-elle.

 

Photo: La literie de Marie Saint Pierre pour les hôtels Le Germain (Gracieuseté du Groupe Germain)

Loin de déplorer cette nouvelle concurrence dans son domaine, le designer d’intérieur et concepteur de meubles québécois Jean-Guy Chabauty s’en réjouit. Il voit d’un bon œil le fait qu’un Jean Paul Gaultier se mette à créer des meubles ou que Marie Saint Pierre s’intéresse au design d’intérieur. «Je pense que c’est une bonne chose en général pour le design d’intérieur que les gens de la mode s’y intéressent. Cela prouve qu’il y a un éveil. S’ils s’y intéressent, c’est parce qu’il y a un marché. Et si le marché s’agrandit, c’est une bonne nouvelle pour l’ensemble des gens du design», croit-il.

De plus, Jean-Guy Chabauty considère que les frontières entre les différents types de design sont poreuses. «Je ne crois pas que tous les designers de mode sont capables de faire du mobilier, mais je ne vois pas non plus une frontière bien grande entre les domaines», dit-il.

Si une critique déco bien connue de Montréal nous a confié ne pas être impressionnée par le travail de Jean Paul Gaultier («en tant que designer de meubles, le pauvre chéri, il est nul»), Jean-Guy Chabauty est plus magnanime. S’il affirme apprécier les excentricités du Français, il ajoute aimer particulièrement le mobilier de Paul Smith et, au Québec, le travail de Marie Saint Pierre (ses coussins notamment).

À ces yeux, les designers de mode peuvent apporter un peu de folie et de pep dans l’univers parfois un peu trop sage du design d’intérieur. Quant à la qualité des efforts fournis par les créateurs de mode, Jean-Guy Chabauty admet qu’elle peut être variable. «Mais c’est comme le travail de n’importe quel designer, tout n’est pas extraordinaire, dit-il. J’aime autant me concentrer sur ce qui se fait de bien et ce qui m’inspire.»

 

Photo: Costumes pour l’Opéra de Montréal, confectionnés par Barilà (Yves Renaud)