Mars 2012, Paris, Jardin des Tuileries. À la porte du défilé Chloé, l’icône russe de la mode Miroslava Duma est mitraillée par les photographes. Car ce qu’elle porte aujourd’hui, le reste du monde se l’arrachera dans deux ans. Et en ce jour frisquet de mars, ce que Mira Duma porte, c’est un sweatshirt gris extralarge orné du visage de Charles Baudelaire et une jupe midi à rayures.

L’allure est ludique, urbaine et décalée, avec une touche d’esprit couture dans la structure impeccable de la jupe. C’est signé par une marque anglaise inconnue au bataillon: Ostwald Helgason. Quelques heures à peine suffiront pour que ce nom quasi imprononçable fasse le tour des réseaux sociaux et tombe dans la mire des gens les mieux informés de la planète mode.

Kathy Acimovic fait partie de ce groupe sélect au flair infaillible. Stratège marketing principale chez la mégamarque de chaussures Aldo, elle a le don de humer l’air du temps. Elle discute de marques indépendantes comme d’autres de groupes rock underground, avec la même excitation de défricheuse. Et justement, la tenue de Mira, ce jour-là, l’a frappée. «D’un seul coup, j’ai vu les vêtements d’Ostwald Helgason apparaître dans de nombreux blogues et comptes Instagram, portés par toutes les it-girls, raconte-t-elle. Il y avait Mira, bien entendu, mais aussi 123 d’autres filles au goût très sûr, comme Anya Ziourova, Natalie Joos, Chloë Sevigny…» Il faut dire que la stratège était à la chasse aux nouveaux talents, car depuis trois ans, Aldo offre régulièrement à des designers de la relève l’occasion de créer une collection capsule d’accessoires. L’instinct de Kathy ne l’a pas trompée: autour d’Ostwald Helgason, le buzz se répandait…

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Une histoire d’amour et de couture

Contrairement à ce que ce nom laisse penser, Ostwald Helgason n’est pas un homme; c’est une marque fondée par Susanne Ostwald et Ingvar Helgason, qui forment un couple à la ville comme à l’atelier. Ostwald Helgason, c’est leur bébé à eux, né après leur rencontre autour d’une machine à coudre, dans le studio londonien d’un couturier où ils faisaient tous deux leur stage. En 2008, ils se lançaient à leur compte, un peu à l’aveuglette, «parce qu’on était amoureux et qu’on voulait trouver une façon de passer le plus de temps possible ensemble», raconte Susanne en rigolant. 

Leurs univers esthétiquesOtswald-Helgason-histoire-ELLE-Q.jpg sont aux antipodes l’un de l’autre; leurs personnalités aussi. Susanne, l’Allemande, est créative, sensible, prompte à s’émerveiller. Ingvar, l’Islandais, est rationnel, intello, terre à terre. D’elle viennent les imprimés, les couleurs pop, la fantaisie légère et ludique des vêtements; de lui, l’intérêt pour la coupe, la structure, le tombé impeccable d’une jupe ou d’un chemisier. «Quand on travaille ensemble, on a énormément de discussions, indique Susanne. On débat de tout, on remet en question chaque détail, on élague. Au final, il ne reste que le meilleur de nous deux: un équilibre entre mon côté émotif et son côté rationnel.» 

Cet équilibre, c’est peut-être ce qui rend la signature d’Ostwald Helgason si instantanément reconnaissable: de saison en saison, ses vêtements ont toujours un côté sportswear mâtiné de luxe. Ils sont épurés et faciles à porter, mais taillés dans des étoffes nobles, qui proviennent de maisons de couture italiennes. Avec un sceau visuel aussi fort, pas étonnant qu’ils aient plu aux défricheurs de tendances d’Aldo…

Photo en noir et blanc: Richmond Lam

Mélanges de matières et d’univers

De passage à Montréal pour une visite express dans les bureaux d’Aldo au printemps dernier, Susanne et Ingvar n’avaient que deux mots à la bouche: balloon animals. Ce sont ces petites sculptures d’animaux fabriquées avec des ballons, plus souvent vues dans les fêtes d’enfants que sur les passerelles des défilés, qui ont inspiré leur collection printemps-été 2014. «On était fascinés par le passage de l’opacité à la transparence lorsque des ballons sont gonflés, et on a voulu trouver une manière de traduire ce phénomène d’abord dans nos vêtements, puis dans les chaussures qu’on dessine pour Aldo», explique Ingvar.

C’était d’ailleurs la première fois que les deux créateurs rencontraient l’équipe de designers d’Aldo en personne, et ils étaient fébriles, excités. «On n’a encore jamais fait de chaussures, et pour nous, ça représente une façon totalement nouvelle de travailler, dit Ingvar. Pour la première fois, on crée un look total des pieds à la tête: on conçoit un univers complet et non plus partiel comme quand on fait juste des vêtements.»

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Dans les bureaux d’Aldo, Susanne ressemblait à une petite fille qui déballe ses nouveaux jouets. Feuilletant avec enthousiasme une bible d’échantillons de tissus («je pourrais passer des jours entiers à les toucher!»), s’extasiant sur un bout de raphia qu’elle comptait associer à du cuir verni, elle faisait l’éloge de l’art du collage et du mélange des matières. «Notre première source d’inspiration est généralement légère et lumineuse, comme les sculptures d’animaux en ballon, qui évoquent la fête, la célébration, la nostalgie de l’enfance. Et puis, au fur et à mesure qu’on travaille, un côté plus sombre s’invite de lui-même dans la collection», dit-elle, tout sourire.

Dans ce cas-ci, le point de départ a été le travail d’un certain Sean O’Malley, «un artiste obscur qui avait coutume de sculpter des hotdogs en bois, explique Ingvar, puis de les recouvrir de pois et de rayures peints à la main. Ses sculptures possèdent donc à la fois un côté naïf et un côté…lubrique. Une combinaison très étrange!» Il n’y a pas que l’art contemporain qui a laissé une empreinte sur leur collection printemps-été. Dans les chaussures qu’ils ont conçues pour Aldo, Susanne et Ingvar ont intégré des touches de couleurs saturées et un rappel de leur imprimé emblématique (les fameuses rayures). «J’aime créer des choses intéressantes et audacieuses, mais qui restent portables, affirme Susanne. La fonctionnalité est importante pour moi. Je suis quand même Allemande!»

Septembre 2013: Susanne et Ingvar se trouvent à New York pour leur présentation finale. Leur collection printemps-été est achevée, tout comme les sacs et les chaussures qu’ils ont dessinés pour Aldo Rise. Nous voici dans les très sophistiqués Milk Studios, dans le Meatpacking District de Manhattan: c’est ici que les designers émergents les plus créatifs montrent leurs collections, ici que se dessinent les tendances de demain. Pour l’occasion, Susanne a même troqué son sempiternel ensemble jean-baskets contre une robe et des talons! Dans la salle réservée au tandem, l’atmosphère est électrique. Solange Knowles est là, vêtue des pieds à la tête en Ostwald Helgason, sans compter la journaliste mode légendaire Suzy Menkes et sa célèbre houppette en forme de beigne – symbole incontournable de toutes les fashion weeks. Et puis, en voyant les mannequins installées de manière à former un tableau vivant, on comprend tout à coup pourquoi les VIP se sont déplacés: c’est époustouflant. Entre d’autres mains, moins fines, une collection inspirée de sculptures d’animaux en ballon aurait pu donner un effet kitch; entre celles de Susanne et d’Ingvar, elle a donné naissance à de délicats imprimés et, entre autres, à une jupe tout en dégradé, faite d’un mélange de soie, d’organza et de broderies, qui passe de l’opacité à la transparence comme un ballon qui se distend. «Cette collection est la première pour laquelle on a conçu toutes les matières utilisées», explique Ingvar. Côté accessoires, les créateurs sont au septième ciel. Les chaussures qu’ils ont imaginées pour Aldo Rise portent leurs rayures, mélangent les couleurs fluos et les neutres, et ponctuent leurs tenues comme un point final joyeux, vibrant et ludique. Un point final qui n’est sans doute qu’un commencement…

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