Faux pas pour les uns, summum du cool pour les autres… Certains articles à la mode divisent les foules et lancent des débats houleux. C’est le cas des Crocs, du pantalon capri… ou encore du jogging en velours, aperçu au défilé automnehiver 2024-2025 de Balenciaga, un clin d’œil aux survêtements Juicy Couture des années 2000. Les imposantes sandales Birkenstock ont déjà créé un tollé, elles aussi, mais c’est chose du passé. La raison d’être de ces chaussures, avec leurs larges sangles en cuir et leur semelle en jute et en liège, qui prend la forme du pied, a toujours été le confort absolu, le bien-être podal, le soutien indéfectible de notre voûte plantaire. Et pourtant, alors qu’on les trouvait zéro tendance il y a de ça quelques années, il a suffi que les célébrités et les créateurs de mode s’en emparent pour attiser le désir et rendre ces souliers irrésistibles auprès de la masse.

Les chaussures de la marque allemande Birkenstock mettent aujourd’hui tout le monde d’accord : les Gen Z et leurs parents, les marques de luxe, les influenceuses mode et les granos adeptes de yoga. L’aura démodée qui les suivait de près a donc été éclipsée: les Birkenstock (ce nom commercial est devenu un générique, preuve supplémentaire de son statut social) sont aujourd’hui tendance, bien qu’elles n’aient jamais cherché à le devenir. C’est ainsi que deux modèles cultes de la griffe, la Boston et l’Arizona, qui autrefois chaussaient surtout les hippies, les backpackers et — il faut bien le dire — les touristes allemands en vacances, font maintenant partie intégrante de l’uniforme des fashionistas

L’engouement est d’ailleurs tel que nos Birkenstock se sont invités dans le triomphant film Barbie, de Greta Gerwig, sorti en grande pompe l’été dernier: face aux escarpins vertigineux du monde rose bonbon de cette poupée, la sandale en suède Arizona — confo avant tout — incarnait à elle seule le monde réel, la femme moderne et la solution à la crise existentielle de Barbie. Ce n’était pas un placement publicitaire, même si la plupart des marques auraient tué pour obtenir ce genre de publicité.

D’ailleurs, Birkenstock — qui connaît une croissance fulgurante depuis quelques années — est connue pour ne pas trop en faire sur le plan du marketing. Elle n’en a tout simplement pas besoin. Sa fierté, la semelle orthopédique, mise au point il y a plus de 100 ans, est aussi ce qui la rend pérenne. Une fois qu’on l’a testée, il est difficile de s’en passer. 

 

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Les débuts du succès

Pour comprendre la réussite de Birkenstock, il faut remonter quelques siècles en arrière. À l’origine, il y a la figure paternelle: Johann Adam Birkenstock, «sujet et cordonnier» d’un petit patelin au cœur de l’Allemagne, comme l’indique le registre de l’église de son village en 1774. De lui, on ne sait pas grand-chose, si ce n’est qu’à l’époque, on devient cordonnier de père en fils. La tradition se poursuit donc, et c’est ainsi qu’en 1897, Konrad Birkenstock (l’arrière-petit-fils de Johann) développe une forme à chaussures correspondant à l’anatomie du pied, qui lui servira dans la fabrication de souliers, puis, en 1902, il façonne la toute première «semelle intérieure profilée», qui soutient la cambrure du pied. Face aux semelles plates et dures de l’époque, qui ne font aucune distinction entre le pied gauche et le pied droit, ces deux innovations majeures ne tardent pas à être remarquées. Konrad ne se repose cependant pas sur ses lauriers: en 1913, il obtient un brevet pour une assise faite à partir de liège et de latex (comme c’est encore le cas aujourd’hui), connue sous le nom de Fußbett («lit de pied»). Les médecins et les podologues feront la promotion de cette nouvelle semelle orthopédique dès les années 1930.

Incursion dans la mode

Les premières chaussures Birkenstock — les Madrid — voient le jour dans les années 1960. Le modèle minimaliste à bride unique, à contre-courant du style des sixties, est d’abord un flop. Une ritournelle dans l’histoire de la marque, qui a toujours privilégié la longévité aux tendances éphémères. Margot Fraser, une entrepreneure allemande installée à Santa Cruz, en fait d’ailleurs les frais en 1966. Elle découvre les Madrid lors d’un séjour dans sa mère patrie et décide de les importer sous le soleil californien. Mais les détaillants de chaussures américains refusent ces sandales, jugées trop «moches» pour leur clientèle, ce qui oblige Margot à les vendre dans les magasins de produits naturels, fréquentés par la jeunesse hippie. Cette image grano s’accrochera longtemps à Birkenstock, bien après la fin du mouvement Peace and Love.

Adopter la tendance

le culte de birkenstock

Boston Lit de pied

 

Prix : 205$

ACHETER

L’industrie de la mode, elle, adopte les Birks sur le tard. Dans les années 1990, le style est au minimalisme et les Birkenstock, avec leur silhouette épurée, tombent à point. C’est ainsi qu’elles se retrouvent aux pieds de Kate Moss, dans les pages du magazine The Face, puisqu’elles foulent la passerelle du défilé printemps-été 1993 de Perry Ellis. C’est un moment d’anthologie: Marc Jacobs, alors créateur pour cette marque, présente sa collection grunge, qui connaîtra la célébrité. Une décennie plus tard, Birkenstock lance une collaboration avec la top Heidi Klum et séduit les stars, de Gwyneth Paltrow à Ewan McGregor. 

Et au cours du défilé Céline printemps-été 2013, la créatrice Phoebe Philo propose une sandale à deux brides inspirée du modèle Arizona et dotée d’une semelle en vison, que les fashionistas rebaptisent Furkenstock (contraction de fur [fourrure] et de Birkenstock). La marque allemande n’y est pour rien, mais elle profite de cet engouement soudain… qui donnera lieu à de vrais partenariats, notamment avec Rick Owens en 2018. Forte de ce succès, elle lance un an plus tard la collection 1774, qui rassemble ses multiples collaborations avec des maisons de luxe, dont Valentino, Proenza Schouler, Dior et Manolo Blahnik. 

 

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En 2020, la pandémie de COVID-19 impose un confinement. Le style est aux matières et aux tenues confortables, faites pour ce temps qu’on passera chez soi, et Birkenstock en profite malgré elle. L’Arizona (de préférence en shearling) est ultrapopulaire, et la Boston — un sabot créé en 1976 et aussi doux qu’une pantoufle — connaît un regain d’intérêt soudain auprès des modeuses et des célébrités, notamment Kendall Jenner, Kaia Gerber, Zoë Kravitz et Gigi Hadid. Les ventes explosent, et l’entreprise familiale est rachetée par LVMH en 2021 avant de faire son entrée en bourse (quelque peu décevante) en octobre dernier. Mais bien qu’elle soit passée dans le giron du milliardaire Bernard Arnault, elle garde les pieds sur terre: au cœur de son ADN inchangé, c’est le confort et la santé des pieds qui priment à travers ses modèles iconiques, qui ont su résister à l’épreuve du temps.