Les technologies multidisciplinaires sont au cœur des créations de la grande dame de la haute couture Iris van Herpen, qui conjugue vision et savoir-faire. C’est une des designers les plus avant-gardistes de notre époque et elle fait avancer son art vestimentaire durable depuis 15 ans. Parmi ses clients réguliers se trouvent Lady Gaga, Björk et Beyoncé, qui ont toutes porté ses robes sur mesure sur les plus prestigieux tapis rouges. Nous avons eu la chance de nous entretenir avec elle à Paris après son défilé anniversaire, Meta Morphism, en juillet dernier. 

Pourquoi ce défilé était-il si important, et qu’est-ce qui vous a inspirée? 

«Je voulais exprimer tout ce que la marque a fait jusqu’à présent, sans regarder en arrière, car mon art a toujours été axé sur l’innovation et tourné vers l’avenir. Le point de départ de cette collection était le posthumanisme, où la réalité numérique et la réalité physique seraient indiscernables. La question, intemporelle, de savoir qui nous sommes, au-delà de notre corps physique, m’a aussi inspirée… Mais peut-être ne pourrons-nous jamais y répondre.»

Défilé Iris Van Herpen automne-hiver 2022-2023

Défilé Iris Van Herpen automne-hiver 2022-2023Imaxtree

Vos collections sont basées sur la technologie, mais le métier de la haute couture est historiquement assez strict, traditionnel. Comment arrivez-vous à y incorporer de l’innovation?

 «Je pense que c’est dans ma nature. L’artisanat — la connaissance des techniques de la haute couture — est l’épine dorsale de l’atelier, et je dois innover pour qu’il reste pertinent dans le monde d’aujourd’hui. Pour ma dernière collection, mon objectif était de transformer le corps par le vêtement et de créer une réalité dans le mouvement. Si je m’étais concentrée uniquement sur la haute couture traditionnelle, je n’aurais pas été en mesure de réaliser la matérialité avant-gardiste des looks de la collection. La transformation n’est possible que si je fusionne les deux, l’art et la technologie.»

Vous développez constamment des matières qui apportent du mouvement, une forme et une texture spécifiques. Y a-t-il de nouvelles matières dans cette collection? 

«Oui! Dans le passé, nous avons beaucoup utilisé l’impression 3D pour créer des matières, mais c’est la première fois que nous avons pu innover au chapitre des matières durables. J’aime beaucoup la feuille de bananier; elle est très belle, légère, brillante et soyeuse, elle conserve son caractère naturel et présente un drapé unique. Je ne l’avais jamais utilisée auparavant. Nous avons aussi collaboré avec le duo néerlandais Eric Klarenbeek et Maartje Dros pour réaliser des filaments imprimables à partir de fèves de cacao, ce qui a été un véritable défi. Nous avons également travaillé avec Materialise [entreprise d’impression] à un projet de poudre recyclée provenant d’impressions 3D, et avec Solaris [industrie du cuivre] sur un organza recyclé.»

Défilé Iris Van Herpen automne-hiver 2022-2023

Défilé Iris Van Herpen automne-hiver 2022-2023Imaxtree

C’est super que l’innovation aille de pair — et de belle façon — avec la durabilité! 

«C’est là que je comprends la valeur de la couture, car elle a toujours été une source d’inspiration pour le prêt-à-porter, de même qu’un laboratoire d’expérimentation. Nous pouvons concevoir des matières qui sont durables et qui peuvent ensuite être produites en série. Je pense que c’est un important dialogue qui s’établit entre ces deux facettes du design et qu’elles s’élèvent l’une l’autre.»

La plupart de vos pièces sont des œuvres uniques, faites sur mesure pour des clients particuliers. Quel est votre processus de confection? 

«La majorité de nos clients viennent voir le défilé, puis ils visitent la salle d’exposition pour examiner la collection de plus près. Soit je commence à dessiner une pièce personnalisée, soit ils choisissent un modèle de la collection, et nous l’adaptons à leurs mesures. Puis, ils se déplacent souvent jusqu’à Amsterdam pour qu’on puisse faire les retouches. Ce processus dure de trois à quatre mois. Enfin, lorsque la pièce est terminée, il y a un essayage final, pour s’assurer que tout est absolument parfait.»

Défilé Iris Van Herpen automne-hiver 2022-2023

Défilé Iris Van Herpen automne-hiver 2022-2023Imaxtree

J’ai lu que vous ne produisiez qu’une centaine de pièces personnalisées par an. 

«Je pense que c’est moins que ça, en fait, parce que nous ne sommes qu’une trentaine dans l’atelier et qu’il y a souvent sept ou huit personnes qui travaillent sur une seule commande. Nous devons d’abord «entrer» le patron de la pièce dans l’ordinateur — pour que la découpe au laser puisse être effectuée par l’imprimante 3D —, et cette opération peut prendre de trois à quatre semaines. La pièce est ensuite confiée à un tailleur classique, qui la transforme en un modèle normal, et ce n’est qu’à ce moment-là que la découpe au laser du tissu peut commencer. Nous devons également former les gens qui travaillent dans l’atelier afin qu’ils comprennent à la fois le côté traditionnel et le côté technologique des choses, car ça ne s’apprend pas — encore — dans une école ou une maison d’enseignement. C’est aussi la raison pour laquelle nous sommes assez limités dans le nombre de commandes que nous acceptons, parce qu’il faut travailler avec les bonnes personnes si nous voulons maintenir la vision de la marque. C’est pourquoi les clients peuvent aisément reconnaître une pièce IVH — elle combine le passé et le futur pour créer un look que vous ne trouverez pas ailleurs. Je crois que c’est pour ça que nos clients nous sont fidèles. Ils reviennent toujours vers nous.»

Quelles leçons avez-vous apprises au cours des 15 dernières années? 

«Le plus grand défi a été de trouver un équilibre entre identité et commerce. J’ai le sentiment d’avoir été très cohérente dans mes choix, et c’est pourquoi j’ai maintenant une liberté totale sur le plan de la créativité, ce qui est vraiment précieux. Je n’ai pas d’investisseurs qui me disent ce que je dois faire ou penser. C’est ce pour quoi je me suis battue pendant si longtemps. C’est un très grand luxe pour moi d’avoir cette liberté en tant qu’artiste. Quand vous créez une marque, il y a beaucoup de gens qui essaient de vous influencer, de vous donner des conseils, de vous orienter vers quelque chose en particulier. Je sens que j’ai été capable d’écouter les bonnes personnes et d’être têtue — et donc de protéger qui je suis.» 

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