On est en France, en 1961. André Courrèges et sa femme, Coqueline, fondent leur maison de couture éponyme et déclenchent une véritable révolution dans l’univers de la mode. La minijupe déferle et conquiert une génération de femmes en pleine émancipation. André, en génie visionnaire, est inspiré par le futur, et son amour des lignes pures, son besoin d’injecter de la lumière dans ses vêtements l’incitent à repousser les frontières du déjà vu. Pari ambitieux, mais réussi pour celui qui a habillé Françoise Hardy, Brigitte Bardot, Catherine Deneuve et autres icônes de son époque. Dans les années 80, pourtant, soucieux de conserver le contrôle créatif sur sa marque, le duo n’emprunte pas le chemin de la mondialisation, et Courrèges disparaît du paysage médiatique et commercial.

C’est seulement en 2011 que Frédéric Torloting et Jacques Bungert, associés et amis depuis 30 ans, entrent en scène. Adoubés par Coqueline, qui sait son héritage et l’essence de Courrèges en bonnes mains, ils extirpent l’entreprise de sa torpeur et remanient sa structure avant d’engager deux nouveaux directeurs artistiques, Arnaud Vaillant et Sébastien Meyer, les designers du collectif Coperni. Nous avons rencontré Frédéric, qui était de passage à Montréal pour la tenue d’une boutique pop-up au Studio 118, début juin.

Franc et passionné, il nous parle de l’avenir de Courrèges, qui bouillonne toujours autant de vie et brûle de la transmettre. Raison de plus pour attendre impatiemment la venue de la marque à Montréal, au courant de l’année 2016.

Décrivez-nous la marque Courrèges en quelques mots…

En terme de valeurs, l’optimisme d’abord. Dans nos vieux pays européens, ça manque. La couleur, le blanc, la lumière, surtout, évoquent ce sentiment et sont profondément inscrits dans l’ADN de Courrèges. La marque préconise également l’idée d’innovation. Et puis il y a ce côté très français, assez anticonformiste. Je pense que Courrèges représente une facette de la France qu’on aime bien, j’espère, celle qui demeure un objet de désir dans les métiers de la mode, pas la France pénible! (rires)

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La femme Courrèges a-t-elle beaucoup changé en 40 ans?

Non, c’est toujours une femme engagée, décidée et qui n’a pas peur d’exister. Cette attitude est transgénérationnelle. Je dis ça parce que, en s’habillant en noir ou en gris, on peut se cacher derrière ses vêtements les jours où ça va moins bien. La couleur, par contre, il faut l’assumer, et le blanc aussi. Quand c’est le cas, on passe une journée incroyable, ne serait-ce que parce qu’on rayonne différemment.

Si vous deviez choisir une égérie, qui serait-elle?

Derrière l’égérie, il y a deux fonctions: la communication et l’inspiration. L’inspiration, c’est Lolita Jacobs, la muse et conseillère du collectif Coperni, la marque fondée par les designers Arnaud Vaillant et Sébastien Meyer. Après, je trouve que l’idée d’une égérie associée à la communication n’est pas très moderne. C’est du marketing, au-delà du fait que ça coûte très cher. Une personnalité est payée pour porter des vêtements et raconter dans la presse qu’elle a eu un coup de foudre pour la marque. C’est quand même une énorme blague! Je pense que plus personne n’y croit.

Pourquoi avoir choisi Arnaud Vaillant et Sébastien Meyer, les designers de la marque Coperni? Qu’apporteront-ils à Courrèges selon vous?

C’est avant tout la magie d’une rencontre. Depuis trois ans, nous rencontrons beaucoup de designers, des plus grands aux moins connus. Ce processus nous a permis de sa- voir ce que nous voulions et de dégager, petit à petit, un profil. Mais il fallait d’abord répondre à une question primordiale: à quoi sert notre marque et en quoi est-elle différente des autres? Notre conviction à ce sujet, c’est l’envie de se projeter vers le futur. Cette conception fait partie de la génétique de la maison depuis sa fondation. Étonnamment, si l’on observe le monde du luxe et des grandes marques, on réalise qu’aucune de ces dernières n’a accaparé ce territoire. Elles sont magnifiques, pleines de talent, mais elles s’inscrivent dans l’air du temps ou dans la tradition, et parfois dans une combinaison des deux. Dans cette optique, il nous a vite semblé évident qu’il fallait choisir de jeunes designers, parce que ce sont les gens de 25 ans qui inventeront le monde de demain. Par ailleurs, Arnaud et Sébastien sont avant tout des gens bien, qui savent travailler en équipe. Leur approche est assez similaire à celle de Courrèges: ils aiment les tombés nets et adorent travailler la matière. Ça a été un critère déterminant pour nous, parce que ça correspond à la démarche de Coqueline qui, à l’époque, pas- sait sa vie chez les fabricants. Nous sommes conscients qu’il n’est pas facile de réinventer une marque qui est devenue un classique. Nous les encourageons à respecter son passé et son héritage fondamental, tout en les trahissant vraiment. Parce que si l’on ne les trahit pas, on ne se projette pas.

À quoi doit-on s’attendre pour leur première collection Courrèges (printemps-été 2016)?

D’un côté, il y aura des pièces cultes de la marque revisitées, comme le petit blouson en vinyle, la robe trapèze, etc. De l’autre, on découvrira une gamme de produits radicalement nouveaux. Mais le véritable enjeu, et notre vœu le plus cher, c’est de créer des vêtements faciles à porter dans la vie de tous les jours. Dans la prochaine collection, il y aura énormé- ment de mailles par exemple, car ça permet de créer un produit de qualité qui coûte moins cher à fabriquer, 95 % de la collection étant produite en France. Si on veut être une marque de demain, il faut qu’on soit plus accessibles .

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