Il y a quelques semaines, mon mari tentait de me convaincre des bienfaits d’un bain de glace. «La surface est gelée et il faut la briser pour entrer dans l’eau», m’expliquait-il avec enthousiasme. «Comme une crème brûlée, mais pour ceux qui détestent la joie», lui ai-je rétorqué. 

Voyez-vous, nous avons deux définitions très différentes du bien-être. Pour moi, prendre soin de soi rime avec un bain chaud et un bon livre. Pour lui, c’est synonyme d’une séance de CrossFit à 6 h du matin et maintenant, semblerait-il, d’une plongée dans l’eau glacée. Les contraires s’attirent, dit-on. 

Ainsi, lorsque nous avons commencé à écouter Live to 100: Secrets of the Blue Zones [version française: 100 ans de plénitude: les secrets des zones bleues], une docusérie sur Netflix faisant le point sur le mode de vie des personnes qui vivent le plus longtemps sur terre, je me suis sentie quelque peu soutenue. Ce qui m’a le plus frappée dans cette émission, c’est que les habitants de ces hauts lieux de longévité — que ce soit la Sardaigne, en Italie, Icarie, en Grèce, ou Nicoya, au Costa Rica — ne s’astreignaient pas à une discipline de fer ou à des régimes restrictifs. Ils mangeaient des glucides, buvaient du vin et faisaient une sieste l’après-midi. En fait, leur quotidien ressemblait drôlement à mes vacances de rêve. 

«Après avoir étudié pendant 20 ans les personnes qui vivent le plus longtemps au monde, je suis convaincu que le CrossFit, les bains d’eau froide et les régimes à la mode ne marchent pas, n’ont jamais marché et ne marcheront jamais.»

«Après avoir étudié pendant 20 ans les personnes qui vivent le plus longtemps au monde, je suis convaincu que le CrossFit, les bains d’eau froide et les régimes à la mode ne marchent pas, n’ont jamais marché et ne marcheront jamais», me dit l’animateur de la docusérie, Dan Buettner, en connaissance de cause. «Mais on continue à adhérer à ces pratiques parce qu’elles sont bien commercialisées et qu’elles nous apportent de l’espoir dans un environnement où il est très difficile d’être en bonne santé.» 

La fascination de Dan Buettner pour la longévité a commencé en 1999, à l’époque où il était propriétaire d’une agence de contenu spécialisée dans la résolution de mystères. Alors qu’il cherchait un nouveau sujet d’enquête, il est tombé sur un rapport de l’Organisation mondiale de la santé qui révélait que les résidents d’Okinawa, au Japon, vivaient plus longtemps que le reste des habitants de la planète. «On a fait une expédition rapide là-bas et je suis tombé totalement amoureux de ce sujet», dit le journaliste. Quelques années plus tard, après avoir vendu sa compagnie et au moment où il travaillait pour le magazine National Geographic, il a proposé une version plus poussée du projet et a commencé à parcourir le globe à la recherche d’autres «zones bleues», ces régions où l’espérance de vie dépasse la moyenne. 

Depuis, il a voyagé partout dans le monde pour étudier les centenaires et publié plusieurs best-sellers pour faire part de ses découvertes. Alors, quels sont, selon lui, les secrets pour vivre une vie plus longue et en meilleure santé? 

Commençons par ce que ces personnes mangent. Plus de deux tiers de leur alimentation est constituée de glucides, principalement complexes, comme les légumineuses, les céréales complètes, les fruits et les légumes. Elles aiment aussi le pain, mais pas n’importe lequel: le pain au levain semble être un dénominateur commun. Comparé à celui qui est fait à partir de levure instantanée, il présente un indice glycémique plus bas, est plus facile à digérer et contient des prébiotiques bénéfiques. En ce qui concerne la viande, les habitants de ces zones bleues en consomment très peu — approximativement 60 grammes ou moins, environ cinq fois par mois — et cuisinent principalement avec des huiles d’origine végétale, comme l’huile d’olive, plutôt qu’avec de la graisse animale. 

Oh, et le vin fait partie intégrante du menu. «Je connais très bien toutes les recherches qui affirment qu’aucune quantité d’alcool n’est sans danger, mais je peux vous dire que dans ces zones bleues, on boit du vin depuis des millénaires, et que de 80 à 90 % des personnes qui atteignent l’âge de 100 ans et qui sont en forme jusqu’à la fin prennent un verre tous les jours de leur vie», dit Dan Buettner.

Et l’ingrédient le plus important de tout régime de longévité? Cela pourrait vous surprendre. «C’est le goût, rapporte l’expert. On ne réussit jamais à atteindre la santé et la longévité en se restreignant.» En effet, lorsqu’on se prive de quoi que ce soit, on finit par manquer de volonté. C’est pourquoi «bien» manger devrait être si agréable qu’il en deviendrait inconscient. Dans la même veine, Dan Buettner recommande de garder des en-cas sains à la vue de tous, car on suit tous un régime see food, comme il aime l’appeler, c’est-à-dire qu’on mange ce qui est sous nos yeux. «Un bol de fruits bien en vue dans votre cuisine vous incitera davantage à l’inclure dans vos décisions de grignotage que le ferait n’importe quelle discipline héroïque.» 

Et ce n’est pas seulement ce que les habitants des zones bleues mangent qui compte, mais la façon dont ils le font. Ils n’aspirent pas leur lunch, servi dans un Tupperware, devant leur ordinateur ou ne soupent pas seuls devant la télé, mais se réunissent autour de la table avec leurs proches pour partager un repas, ce qui leur apporte un autre élément clé pour prolonger la durée de vie: une communauté

«On sait que la nutrition est très importante pour la longévité, mais ce type de soutien social l’est tout autant», dit la Dre Allison E. Aiello, professeure d’épidémiologie à l’Université Columbia, dont les recherches portent sur le vieillissement et la santé communautaire. «De nombreuses études indiquent que les liens sociaux réduisent la mortalité et les maladies chroniques.» Il ne s’agit pas d’être un papillon social, mais de cultiver des relations significatives, car les résultats révèlent que la qualité, et non la quantité, prime lorsqu’il est question des effets bénéfiques sur la santé. 

Il est par ailleurs intéressant de noter que les façons dont les habitants des zones bleues abordent l’alimentation s’appliquent aussi à l’activité physique. Pour commencer, une grande partie de cette activité est inconsciente, selon Dan Buettner. «Ils vont au travail à pied, leurs enfants vont à l’école à pied, ils marchent jusqu’à la maison de leur amie, ils ont un jardin… Si vous êtes dans un quartier piétonnier, vous ferez, sans vous en rendre compte, environ 20 % d’activité physique de plus que si vous vivez dans une banlieue, où vous vous déplaceriez partout en voiture. Si vous retirez les équipements électriques [lave-vaisselle, aspirateur robot, etc.] de votre maison ou si vous y mettez des plantes qui nécessitent d’être arrosées, vous brûlerez plus de calories par jour sans y penser. Si vous adoptez un chien, vous vous promènerez deux fois par jour sans y penser.» 

Dans les zones bleues, l’exercice a aussi souvent tendance à être collectif. Par exemple, les gens peuvent se réunir pour jouer au pickleball, comme le font beaucoup d’habitants de Loma Linda, une ville du sud de la Californie où l’espérance de vie dépasse d’une décennie celle de l’Américain moyen. Ils peuvent aussi pratiquer le tai-chi dehors avec des amis, ce qui est le cas pour bon nombre d’Okinawaïens. 

Être à l’extérieur est également essentiel, ajoute la Dre Allison E. Aiello. Il a été démontré qu’être en harmonie avec la nature et essayer d’être présent lorsqu’on fait une promenade sont incroyablement bénéfiques pour la santé mentale. Et on sait qu’il existe une relation complexe entre la santé mentale et le corps: lorsque notre niveau de stress est élevé, cela libère des hormones comme le cortisol, ce qui peut nuire à notre santé et à notre système immunitaire.» 

Le sommeil joue un rôle majeur pour des raisons similaires, précise-t-elle, car le fait de dormir suffisamment a été associé au fait de ressentir moins de stress et d’être de meilleure humeur, sans parler d’une diminution du risque de développer certaines maladies, telles que l’alzheimer. Mais un autre type de repos est également essentiel: les loisirs, un objectif souvent sous-estimé dans notre culture obsédée par la productivité. 

«La quête de la productivité, c’est comme boire de l’eau de mer, dit Dan Buettner. Plus vous en buvez, plus vous avez soifOn vit dans un environnement où on doit gagner plus d’argent pour pouvoir payer notre assurance, notre loyer et porter les tenues qui nous permettent d’être acceptées socialement. C’est dommage. C’est un gaspillage d’une bonne vie.»

«La quête de la productivité, c’est comme boire de l’eau de mer. Plus vous en buvez, plus vous avez soif»

Il se souvient d’un moment particulièrement révélateur lors d’un récent voyage en Europe. Il s’est retrouvé sur une place publique animée, en plein milieu de l’après-midi, à une heure où tout le monde en Amérique du Nord serait occupé à travailler à son bureau. «Les gens se retrouvaient, prenaient un café, discutaient. Des enfants couraient partout; je ne sais pas s’ils faisaient l’école buissonnière, mais ils étaient là. C’était joyeux et c’est ainsi que les humains devraient vivre leur vie.» 

Joyeux: c’est vraiment ce à quoi tout semble se résumer en fin de compte. C’est l’antithèse d’une grande partie de ce qu’on nous enseigne sur le bien-être, à savoir que la «bonne» alimentation exige une sacrosainte retenue et que l’exercice physique doit faire mal pour être efficace. No pain, no gain («pas de douleur, pas de gain»), comme on dit en anglais, pas vrai? Eh bien, pas vraiment, finalement. 

Contrairement à ce que Gwyneth Paltrow et à ce que toute l’industrie du bien-être — dont la valeur mondiale était estimée à 5,6 trillions $ US en 2022 — voudraient nous faire croire, la recherche montre qu’être en bonne santé ne consiste pas à remplacer un repas par un bouillon d’os, à se faire crier dessus par un coach de fitness aux allures de sergent ou à faire quoi que ce soit d’autre qui s’apparente à de la torture volontaire. «La plupart des choses qui nous aident à atteindre l’âge de 100 ans sont joyeuses, m’assure Dan Buettner. C’est joyeux de manger nos repas en famille, c’est plaisant de vivre dans un endroit où nous interagissons avec la nature et où nous bougeons naturellement.» 

Les données à ce sujet disent tout. Les zones bleues ne se distinguent pas seulement en matière d’espérance de vie, mais elles se classent aussi parmi les 20 % d’endroits les plus heureux au monde. Il s’avère que les mêmes facteurs qui nous aident à vivre plus longtemps rendent en même temps notre vie plus agréable. 

Comme le dit Dan Buettner sans ménagement, «Ces milliardaires de la Silicon Valley qui se privent de nourriture et qui s’injectent le sang de jeunes personnes ne font, à mon avis, que prolonger une vie de merde au lieu de vivre réellement.» 

Bien sûr, si votre cœur bat la chamade pour le CrossFit et les bains de glace, allez-y, évidemment. Mon mari, quant à lui, apprécie toujours ses séances de cardio HIIT au petit matin. Mais désormais, on fait un effort pour s’asseoir à la table, même si c’est un soir de semaine et qu’on n’est que tous les deux, pour savourer un repas sans distraction. On trempe d’épaisses tranches de pain au levain — acheté pendant une promenade dans le quartier — dans de l’huile d’olive dorée et on lève notre verre à la journée. Car vous savez ce qui est encore mieux que de vivre une longue vie? Vivre une longue et heureuse vie.