Du sérum devenu viral sur TikTok à la dernière crème hydratante encensée par les stars, les produits destinés à dorloter notre joli minois génèrent une mine d’or. Pas étonnant que l’industrie des soins pour la peau ait le vent en poupe. Mais ces jours-ci, une autre partie du corps fait les choux gras des caïds de la cosmétique: la vulve. À ne pas confondre avec le vagin – le canal situé à l’intérieur du corps –, la vulve désigne l’ensemble des organes génitaux externes de la femme, qui comprennent les lèvres et le clitoris. Les produits de soins intimes (qui ciblent généralement une clientèle féminine hétérosexuelle cisgenre) ont fait peau neuve depuis les poudres et les potions d’autrefois. Aujourd’hui, des lotions aux noms coquins et aux emballages minimalistes chics s’exposent fièrement sur les meubles-lavabos, à côté des flacons Byredo et La Mer. À voir la panoplie de nouveaux élixirs axés sur l’entrejambe – masques en feuille, gommages, soins nettoyants –, ces produits gagnent en popularité ou, du moins, en quantité. Il faut dire que la vulve et le vagin ont discrètement mais sûrement pris leur place sous les projecteurs ces dernières années. Selon la revue médicale IJIR: Your Sexual Medicine Journal, publiée par Nature.com, les labioplasties (des chirurgies consistant à modifier la taille des lèvres) ont connu une augmentation de 73,3 % dans le monde en 2019, comparativement à 2015. S’il y a lieu de se demander si les vulves doivent impérativement être enjolivées (réponse courte: non), les soins qui les ciblent sont-ils vraiment nécessaires? Ces produits cherchent-ils à donner envie aux femmes de s’approprier leur corps, ou relèvent-ils plutôt d’une (autre) offensive marketing contribuant à perpétuer la pression exercée sur lui?

«Les soins féminins, ou les produits visant à sublimer la vulve et le vagin, représentent une industrie multimilliardaire», affirme la Dre Amanda Selk, obstétricienne gynécologue torontoise à la tête de la clinique de dermatologie vulvaire du Women’s College Hospital, présidente de la section nord-américaine de l’International Society for the Study of Vulvovaginal Disease et animatrice du balado The Vulva Diaries. «Les soins pour la peau sont peut-être la manifestation la plus récente de cette tendance, mais les produits destinés à améliorer l’odeur et l’apparence de la vulve n’ont rien de bien nouveau», avance-t-elle. Elle n’a pas constaté un engouement plus prononcé pour les soins intimes parmi ses patientes, mais elle remarque que le sujet suscite plus d’intérêt sur les réseaux sociaux ces derniers temps, ce qui pourrait en partie expliquer leur regain de popularité.

Certains spas proposent aujourd’hui des traitements tels que le soin facial vulvaire (communément appelé «vajacial») aux femmes qui cherchent une nouvelle façon de prendre soin d’elles-mêmes. Fuzz Wax Bar, un salon d’épilation par abonnement fondé par Jessie Frampton et Florence Gaven-Rossavik, offre son populaire V-Facial dans tous ses établissements au Canada. Le procédé en six étapes (qui comprend nettoyage et extraction, entre autres) est conçu pour dorloter la vulve une ou deux semaines après une épilation à la cire. «Nous avons créé ce service très précis en complément à l’épilation des parties intimes. Il permet de nettoyer et d’apaiser la peau, de prévenir les poils incarnés et d’améliorer l’expérience dans son ensemble», explique Jessie. Elle ajoute que, depuis son lancement, le soin a reçu un accueil incroyable de la part des clientes ravies de constater que la peau de cette région sensible en profite vraiment.

En plus des traitements de ce genre, les produits qui promettent une vulve plus lisse, plus douce et plus heureuse envahissent les rayons beauté. Christine Marie Mason, fondatrice de la marque Rosebud Woman, a lancé sa gamme de soins corporels après avoir constaté les lacunes du marché pendant sa périménopause. «Tous les produits pour la vulve – c’est-à-dire des lubrifiants collants et des lotions bourrées de produits chimiques – étaient relégués au fin fond des pharmacies. Ce que je voulais, c’était un véritable soin pour la peau qui serait d’aussi bonne qualité qu’un produit que j’utiliserais sur mon visage», dit-elle. Concevoir et commercialiser des produits visant à soi-disant «corriger» les parties intimes des femmes suscite la polémique pour des raisons évidentes, et Rosebud Woman rejette franchement la mentalité patriarcale selon laquelle une vulve devrait entrer dans un certain moule pour être considérée comme normale ou attirante. Sa marque cherche plutôt à célébrer toutes les sphères de la vie sensuelle, sexuelle et reproductive de sa clientèle en misant sur le confort et le plaisir, ouvertement et sans préjugés. «Les gens, quel que soit leur sexe, ont encore un manque flagrant de connaissances à propos de leur corps et de leur sexualité, et ils ressentent de profonds malaises à ce sujet», déplore Christine Marie Mason. Ce trauma peut occasionner des problèmes de santé, des expériences sexuelles insatisfaisantes et une baisse de leur qualité de vie. Rosebud Woman souhaite permettre à toute personne ayant une vulve de se reconnecter à elle-même et de s’autocélébrer. Elle n’investit pas dans des produits de soins intimes traditionnels, mais propose plutôt une variété de produits, allant d’un sérum stimulant à un baume apaisant et hydratant qui peut aussi faire office de lubrifiant.

Tout ce qu'il faut savoir sur les élixirs intimes

Sérum Arousal, Dame (42 $)

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Baume Honor Everyday, Rosebud Woman (120 $)

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 Nettoyant pour coupe menstruelle et vaginal, Nixit (17 $)

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Aussi attrayants qu’ils soient, tous ces produits destinés à adoucir la peau de la vulve ne sont pas essentiels pour la majorité des femmes, de l’avis de la Dre Selk. «En règle générale, avant la ménopause, la vulve produit ses propres huiles et prend soin d’elle-même», dit-elle. Elle ajoute que certains produits, comme les savons irritants, peuvent perturber la barrière cutanée naturelle et accroître le risque d’infection. «Bien souvent, mieux vaut laisser sa vulve tranquille!» Elle admet toutefois que la peau des femmes ménopausées peut être plus sèche (y compris autour du vagin). Cela dit, si un petit surplus d’hydratation est nécessaire, nul besoin d’utiliser un produit conçu pour cette zone. «Toute crème hydratante que vous aimez et qui convient au reste de votre corps devrait faire l’affaire», dit-elle.

Fréquenter les spas spécialisés ou suivre une routine de soins cutanés intimes est un choix bien personnel (littéralement), mais quelle que soit notre opinion sur cette question, la Dre Selk croit fermement qu’il est temps de normaliser la vulve et le vagin, au même titre que n’importe quelle autre partie du corps. Elle donne souvent un conseil très simple à ses patientes: regardez-vous dans un miroir. «J’encourage vivement les femmes à examiner leur vulve. Observez-vous, et apprenez à connaître votre corps.» Elle recommande de jeter un coup d’œil une fois par mois à notre vulve, juste pour s’assurer qu’elle a bonne mine.

Utiliser une huile ou un baume non irritant peut aider certaines femmes à se sentir plus à l’aise avec elles-mêmes. C’est là un aspect positif de la récente montée en popularité du vagin et de la vulve. «Nous voyons là une formidable occasion d’encourager l’amour de soi», déclare Christine Marie Mason. En normalisant des mots comme «lèvres» et «vulve» et en parlant du bien-être intime comme un choix en matière de soins personnels plutôt que comme outil de promotion de la sexualité, on évite de stigmatiser cette partie du corps et on ouvre les esprits. La Dre Selk convient que prendre un peu plus soin de cette région est une bonne chose en soi. «En fait, les lèvres de la vulve et de la bouche sont très similaires. On traite la peau de notre visage aux petits soins; on devrait faire de même avec les lèvres de notre vulve.» 

Entretien souterrain

Quelques conseils pour chouchouter nos parties intimes…

Toujours tester le produit
On a la peau sensible? Prudence avec les nouveaux produits. Pour éviter tout risque d’irritation, on fait un test sur notre main ou sur une petite zone près de notre vulve avant de la badigeonner.

Privilégier le naturel
Pour lutter contre la peau sèche, la Dre Selk et Christine Marie Mason recommandent toutes deux de privilégier les huiles naturelles, comme les huiles de coco, d’amande ou de pépins de raisin. Christine Marie précise toutefois qu’en raison de ses propriétés antimicrobiennes, la noix de coco peut provoquer des infections à levures chez certaines femmes. Alors, on prend le temps de choisir ce qui nous convient le mieux.

Lire l’étiquette
Les listes d’ingrédients sont là pour être lues. Faire attention aux produits qui contiennent de l’alcool et du parfum, réputés pour être irritants et susceptibles de dessécher la peau.

Dire non au savon
On évite d’utiliser des savons irritants directement sur la vulve. «Si vous croyez avoir besoin d’un soin nettoyant, choisissez-en un sans savon», recommande la Dre Selk.

Faire le minimum
Adopter une routine de soins comportant plusieurs étapes et plusieurs produits peut perturber la flore naturelle de notre vulve. Bref, moins on en fait, mieux c’est. 

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