« À nos débuts, il y a sept ans, alors que nous vendions nos culottes menstruelles dans des marchés publics, bien des personnes détournaient le regard à la simple vue du mot “menstruations”», se remémore Érica Lebrun, cofondatrice de Mme L’Ovary, une entreprise québécoise spécialisée dans la fabrication de sous-vêtements réutilisables et dans le bien-être menstruel. «C’est vers 2017, lorsque le mouvement zéro déchet a pris de l’ampleur au Québec, que nous avons constaté un changement de mentalité. La sensibilité à l’écologie a été l’une des premières portes d’entrée d’une perception moins taboue des règles.»

Vers des règles plus écolos

Au cours de sa vie, une personne qui a ses règles consomme en moyenne jusqu’à 15 000 produits menstruels jetables, ce qui représente de 114 à 136 kg de déchets. En outre, les 45 milliards de protections menstruelles qui sont jetées annuellement dans le monde nécessiteront quelques siècles pour se décomposer et endommageront inévitablement les nappes phréatiques. Ces données alarmantes ont fait réagir profondément Érica Lebrun, cofondatrice de Mme L’Ovary. 

Avec Olivia Elting, sa partenaire d’affaires, elle se lance alors dans la confection de culottes de coton munies d’une serviette amovible faite de tissu absorbant et antifuite. «Plusieurs femmes pensent qu’en adoptant des produits réutilisables, elles font un sacrifice pour protéger l’environnement. Mais généralement, elles se rendent vite compte que c’est un produit plus confortable et plus pratique qu’un tampon ou une serviette jetable.» 

«Au cours de sa vie, une personne qui a ses règles consomme en moyenne jusqu’à 15 000 produits menstruels jetables, ce qui représente de 114 à 136 kg de déchets.»

L’équipe de Mme L’Ovary a défriché le terrain en matière de produits menstruels durables au Québec, mais d’autres entreprises de chez nous offrent aussi des options variées: Öko Créations fabrique des serviettes hygiéniques lavables en chanvre et en coton biologique sans ajout de composés perfluorés (PFAS) ou de nanoargent; Ora Protections propose des culottes menstruelles en carbone de bambou; et Fornix vient tout juste de lancer le premier disque menstruel québécois. Et ce ne sont que quelques exemples. 

La sensibilité écologique de Lara Emond, fondatrice et PDG d’Iris + Arlo, une entreprise à impact social et environnemental qui offre des produits menstruels sains et durables, est tout aussi aiguisée. «Une serviette hygiénique traditionnelle, qui peut contenir jusqu’à 90 % de plastique, prend jusqu’à 800 ans pour se décomposer, déplore-t-elle. Les serviettes jetables que nous fabriquons chez Iris + Arlo se décomposent en 153 jours. Elles sont faites en coton biologique et respectent les plus hautes normes de traçabilité en la matière.» Dans un monde où l’on utilise chaque année 7 milliards de tampons qui représentent 5 % de tous les types de déchets plastiques flottants, il est primordial de trouver des solutions écologiques. 

À votre santé!

Certes, la réduction de l’impact environnemental des produits menstruels est une des marottes de Lara Emond, mais ce sont leurs conséquences sur la santé qui ont déclenché son intérêt pour cet univers. 

«En lisant les ingrédients énumérés sur une boîte de serviettes hygiéniques, j’ai été choquée de constater qu’on y indiquait seulement “coton”, raconte cette entrepreneure québécoise. Pourtant, au fil de mes recherches, j’avais découvert que les produits jetables de marques traditionnelles contenaient en moyenne de 20 à 30 produits chimiques, notamment des pesticides, des perturbateurs endocriniens, des parfums, des dioxines et d’autres ingrédients cancérigènes. Or, une serviette est en contact direct avec nos parties intimes, et on sait que cette zone du corps absorbe les produits chimiques très rapidement.» 

Lara se met alors à la recherche de produits menstruels qui seraient doux autant pour la santé que pour la nature, faits au Québec et, pourquoi pas, présentés dans un joli emballage. «Après quelques conversations avec des membres de mon entourage, j’ai compris que j’étais loin d’être la seule dans cette quête. Pire encore: plusieurs de mes amies et amis n’avaient aucune idée de l’impact des produits menstruels ordinaires sur la santé et sur l’environnement. Comme je ne trouvais pas de marque qui répondait à mes critères en matière d’écologie, de santé et de design, j’ai décidé d’en créer une!» 

Pour Érica Lebrun, la santé a aussi été un facteur déterminant dans sa décision d’adopter des méthodes plus durables pour la gestion des menstruations. «Pendant la pandémie, beaucoup de personnes se sont mises à chercher des solutions meilleures pour leur santé dans toutes sortes de domaines, et notamment dans tout ce qui était lié aux produits menstruels», dit-elle. Elle considère que même si les menstruations demeurent un tabou — un sujet que l’on tait, un «fléau» que l’on gère en secret! —, l’écologie et la santé constituent, pour bien des femmes, des raisons suffisamment importantes pour qu’elles adoptent des solutions plus saines et plus durables. «Afin de préserver leur système immunitaire, beaucoup de personnes ont voulu éliminer les contaminants qui étaient en contact avec leur corps, notamment ceux contenus dans les tampons et les serviettes jetables. Elles se sont alors tournées vers les coupes menstruelles, les serviettes lavables ou les culottes menstruelles.» 

Notons cependant que même si les culottes menstruelles et les autres produits durables foisonnent, ils ne sont pas toujours sans risque. En 2023, des analyses en laboratoire ont révélé que les culottes menstruelles lavables de l’entreprise new-yorkaise Thinx, censées être «biologiques» et «non toxiques», contenaient des quantités importantes de PFAS (aussi appelés polluants éternels). Cette révélation, qui a mené à une action collective de cinq millions de dollars, a mis en évidence le manque de données fiables sur l’impact des particules potentiellement nocives qui sont présentes dans les produits menstruels vendus sur le marché. 

Érica Lebrun et Lara Emond s’entendent pour dire que comme 50 % de la population mondiale sera menstruée une fois par mois pendant en moyenne 42 ans de sa vie (soit 6 ou 7 ans au total, lorsqu’on met tous les jours de menstruations bout à bout!), les produits menstruels sains et durables devraient être accessibles à toutes, et facilement! «Les femmes et toutes les personnes menstruées devraient être informées de façon plus transparente sur les produits qu’elles utilisent, pour qu’elles puissent faire des choix éclairés sur leur santé menstruelle», affirme Érica Lebrun. 

«Plusieurs femmes pensent qu’en adoptant des produits réutilisables, elles font un sacrifice pour protéger l’environnement. Mais généralement, elles se rendent vite compte que c’est un produit plus confortable et plus pratique qu’un tampon ou une serviette jetable.»

Métro, boulot, flot

En plus de proposer différentes gammes de produits menstruels jetables à faible impact environnemental et de se préparer au lancement de produits de protection menstruelle réutilisables, Lara Emond s’est rapidement engagée dans la création de solutions clés en main pour les employeurs. Ainsi, près de 175 milieux de travail au Canada offrent maintenant gratuitement des tampons, des protège-dessous et des serviettes hygiéniques dans les toilettes de leur entreprise. 

Léonie Pelletier, fondatrice et propriétaire de oui L’agence, une boîte de marketing établie à Montréal depuis cinq ans, a emboîté le pas. «Dès que notre agence a eu un bureau, j’ai décidé de mettre des tampons et des serviettes hygiéniques à la disposition des employées», dit-elle. Elle précise avoir commencé à offrir des protections hygiéniques au travail avant même d’être approchée par Iris + Arlo. «On offre des Advil, des Tylenol, du dentifrice et des déjeuners au bureau le matin; alors, c’était une évidence pour moi d’offrir aussi des produits menstruels.» Parmi la centaine d’entreprises membres de l’initiative d’Iris + Arlo, on compte aujourd’hui des cabinets d’avocats, des salons d’esthétique, des maisons de disques, des entreprises de services et des écoles. 

«Ça devrait être aussi normal que d’offrir le papier hygiénique et le savon à mains», croit Lara Emond, qui rappelle que les protections menstruelles au bureau sont davantage utilisées pour dépanner que pour subvenir à l’entièreté des besoins périodiques des employées. «Un employeur qui offre des produits menstruels au bureau envoie un message très clair sur sa vision de l’inclusion et de l’équité.» 

Léonie Pelletier abonde dans ce sens. «La période menstruelle peut être tellement compliquée, voire douloureuse, pour certaines d’entre nous. […] Ça nous est toutes déjà arrivé d’oublier nos tampons ou nos serviettes à la maison, d’être mal prises, de devoir courir à la pharmacie sur l’heure du dîner. Comme entreprise, le fait de contribuer à alléger cette charge mentale-là, c’est un geste profondément solidaire. Ça devrait être la base, surtout que, je le confirme, c’est peu coûteux dans le budget d’une entreprise.» Chez oui L’agence, qui emploie une vingtaine de personnes (19 femmes et 1 homme), non seulement on offre des produits menstruels, mais on accorde également des congés menstruels. «Il y a un an et demi, nous avons décidé d’offrir une banque de 12 congés payés par année aux membres de notre équipe, dit-elle. Que l’employée ait une grippe, un enjeu de santé mentale ou des menstruations douloureuses, elle pourra disposer de ces journées comme elle l’entend.» 

Cette professionnelle du marketing souhaite se démarquer dans un marché où le recrutement et la rétention des employés sont parfois difficiles, mais l’implantation de ces politiques relève avant tout de ses valeurs. «J’ai toujours été en faveur d’offrir un congé ou une pause à une femme menstruée qui ne sent pas bien. Maintenant que je l’ai officialisé, je l’indique fièrement sur les réseaux sociaux de l’agence et sur nos offres d’emploi. Ce sont des avantages très appréciés par l’équipe, et j’en suis bien heureuse.» 

D’ailleurs, depuis le 15 décembre 2023, tous les employeurs assujettis à une réglementation fédérale — les ministères de la fonction publique fédérale, les sociétés d’État, les banques, les aéroports et les gares ferroviaires, notamment — doivent fournir gratuitement des produits menstruels dans les toilettes de leurs employées.

Règles en ville

Depuis le début de l’année 2020, plusieurs municipalités du Québec ont instauré des mesures pour encourager l’achat de produits hygiéniques durables, notamment en versant des subventions. Celles-ci varient d’une municipalité à l’autre, mais le remboursement couvre environ 50 % de cet achat, avec un montant maximal remboursé allant jusqu’à 125 $ par personne. Érica Lebrun rappelle d’ailleurs que c’est l’opération #sangdéchet, fièrement mise en place par l’équipe de Mme L’Ovary, qui a mis la puce à l’oreille à bon nombre de municipalités sur la pertinence d’une telle aide financière aux citoyennes. 

«Dès mon arrivée en poste, en 2021, j’ai été largement interpelée par les citoyennes afin que Longueil instaure une telle aide financière», se souvient Catherine Fournier, mairesse de Longueuil. «Les protections réutilisables sont plus coûteuses à l’achat, mais plus économiques à long terme. On soutient donc une pratique qui est financièrement avantageuse à long terme, qui réduit le nombre de déchets générés et qui engendre une épargne publique, car la Ville paie à la tonne les résidus enfouis dans les dépotoirs. C’est une initiative très responsable à plusieurs égards de la part de la municipalité. Le programme s’autofinance presque. […] De plus, nous offrons un remboursement plus grand si l’achat est fait dans une bannière québécoise.» 

Catherine Fournier n’a donc pas hésité une seconde à mettre en place son programme d’aide financière pour l’achat de produits menstruels durables, en collaboration avec le Centre des femmes de Longueuil. Elle a aussi tenu à joindre le mouvement dans le but de lutter contre la précarité menstruelle. Le Réseau québécois d’action pour la santé des femmes (RQASF) définit la précarité menstruelle comme la difficulté d’accès aux produits menstruels, de manière régulière ou occasionnelle, faute de moyens financiers. S’y ajoute le coût d’autres besoins liés aux menstruations, comme les antidouleurs, le remplacement des sous-vêtements et des draps tachés, etc. Cette précarité existe aussi lorsque les personnes n’ont pas d’endroit pour se changer, pas d’accès à l’information sur leur cycle ni d’espace où en parler. Au Canada, parmi les personnes ayant des règles, une sur six a personnellement connu la précarité menstruelle et une sur cinq affirme qu’il est possible qu’elle n’ait pas les moyens d’acheter des produits menstruels au cours des 12 prochains mois. Et l’inflation actuelle n’atténue en rien ce fléau. «La Ville prend une responsabilité en reconnaissant les enjeux de précarités menstruelles», poursuit Catherine Fournier, qui rappelle avoir déposé une motion à ce sujet, en 2020, lorsqu’elle siégeait à l’Assemblée nationale. «En parallèle, un tel programme contribue à briser les tabous entourant les règles. Une ville qui fait des communications sur les menstruations, ça brasse certaines conventions, et je n’haïs pas ça! Les menstruations sont un phénomène naturel; ça ne devrait pas être un sujet honteux.» 

«Au Canada, parmi les personnes ayant des règles, une sur six a personnellement connu la précarité menstruelle et une sur cinq affirme qu’il est possible qu’elle n’ait pas les moyens d’acheter des produits menstruels au cours des 12 prochains mois.»

Cycle positif, inclusif et décomplexé

«Si on développe une relation amoureuse avec notre corps et notre cycle, on fera inévitablement des choix qui sont plus écologiques et respectueux de la nature», croit Érica Lebrun, qui promeut une philosophie positive des menstruations auprès de sa communauté en proposant des ateliers chaque mois et du contenu en ligne. «Je souhaite qu’on réalise que le cycle menstruel est une force motrice, plutôt qu’une épreuve qu’on doit subir. […] Notre société nous demande de fonctionner comme si on était des robots qui peuvent performer de manière constante chaque jour, alors que la nature, tout comme notre corps, suit des cycles, des saisons. Nous sommes des êtres biologiques, et les règles nous le rappellent chaque mois.» 

Cette entrepreneure a une vision holistique du cycle menstruel et est investie d’une mission: déstigmatiser les menstruations, un sujet encore tabou et marginalisé. N’oublions pas que ce n’est qu’en 2023 qu’une étude scientifique a testé pour la première fois l’efficacité des protections périodiques… en utilisant du sang et non de l’eau! Beaucoup de publicités de produits menstruels traditionnels utilisent encore un liquide bleu pour illustrer le degré d’absorbation de leurs produits. 

«Depuis les débuts de Mme L’Ovary, je constate à quel point les femmes ont besoin d’espaces où parler ouvertement de leurs menstruations, de leur syndrome prémenstruel, de leurs crampes, de leur préménopause, dit Érica Lebrun. Je me réjouis de voir de plus en plus de livres, de balados, de comptes Instagram sur la question.» Mention spéciale à Ma première fois: huit nouvelles pour changer les règles, un livre à l’intention des adolescentes qui cherche à dédramatiser les premières règles; il est publié aux Éditions de La Bagnole, sous la direction de Geneviève Morin. 

Pour sa part, Lara Emond, d’Iris + Arlo, croit profondément au pouvoir de l’éducation et de l’inclusion. «Dans nos communications, nous tenons à employer des termes comme “personne qui a ses règles” plutôt que “femme” afin de nous assurer d’être les plus inclusifs possible, parce qu’il y a des hommes trans et des personnes non binaires qui sont menstrués, souligne-t-elle. De plus, nous priorisons le terme “produit menstruel” plutôt que “protection hygiénique”, qui sous-entend que les règles sont sales.» Elle formule les vœux suivants: «J’aimerais que, pour la prochaine génération, les menstruations ne soient plus un sujet tabou, que les gens aient accès à une information de qualité sur ce phénomène biologique naturel et que la précarité menstruelle soit éradiquée!» On ne peut que le souhaiter avec elle.

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