Étourdissements, vomissements, convulsions, perte de mobilité, infections, confusion, perte de cheveux, fatigue chronique, anxiété, troubles de mémoire; sur le groupe Facebook Breast Implant Illness and Healing by Nicole des milliers de femmes se disent touchées par de mystérieux symptômes qui, malgré une batterie tests médicaux, ne peuvent être scientifiquement attribués à une condition connue. Leur point en commun? Elles ont toutes des implants mammaires.

Qu’est-ce que le BII?

Créé en 2015 par Nicole Daruda, une Vancouvéroise qui s’est fait retirer ses implants mammaires en 2013 après avoir souffert, dit-elle, de nombreux effets secondaires suite à sa chirurgie, le groupe compte aujourd’hui plus de 88 000 membres. Elles sont convaincues d’être atteintes du Breast Implant Illness (BII), [NDLR: Maladie des implants mammaires, aussi appelée Autoinflammatory/Autoimmunity induced by adjuvants (ASIA) au cœur de la communauté médicale], qui serait en fait une réponse immunologique aux produits chimiques présents dans les implants, qui sont des sacs de silicones remplis de solution saline ou de gel utilisés pour augmenter le volume des seins ou pour reconstruire la poitrine de certaines patientes après une mastectomie. Dans certains cas, l’organisme réagirait négativement aux prothèses en activant le système immunitaire, ce qui créerait une inflammation constante, qui pourrait entrainer à son tour des insuffisances immunitaires, des lymphomes et, si les porteuses y sont génétiquement prédisposées, des maladies auto-immunes. Une condition qui ratisserait large, donc, et dont les symptômes seraient pluriels.

Pas officiellement reconnu par le corps médical, débattu dans la communauté scientifique, et fortement contestée par les fabricants d’implants mammaires, le BII attire toutefois de plus en plus l’attention des médias et des organismes de régulation en santé, notamment grâce à l’activisme des femmes qui s’en disent touchées, et aux témoignages de Youtubeuses et personnalités publiques d’un peu partout sur le globe. «Les implants ont volé notre santé, notre vie, notre beauté et notre argent. Les femmes doivent savoir qu’insérer un corps étranger sous leur peau comporte toujours des dangers; nous devons arrêter de minimiser les risques et les problèmes associés avec ce type d’intervention, et c’est la raison d’être de notre communauté en ligne», affirme Nicole Daruda dans une entrevue avec le magazine Marie Claire, en juin dernier. Elle ajoute que, comme souvent lorsqu’il s’agit de santé féminine, les témoignages des femmes aux prises avec le BII sont habituellement balayés du revers de la main par la communauté médicale. On trouverait facilement d’autres excuses pour expliquer leurs symptômes; ménopause, hormones, dépression et même… problèmes psychosomatiques. N’obtenant pas les réponses dont elles ont besoin dans la communauté médicale, les principales intéressées se tournent vers les réseaux sociaux, où elles trouvent des explications qui collent à leurs symptômes, des informations utiles ainsi que des oreilles attentives et bienveillantes.

En mars dernier, les membres du groupe – et toutes les femmes vivant avec des symptômes qu’elles croient associés au BII – gagnent leur première (petite) manche; la Food and Drug Administration (FDA), aux États-Unis, publie un communiqué sur la question. «De plus en plus d’évidences suggèrent qu’un petit groupe de patientes auraient une réponse biologique à certains types de matériaux présents dans les implants en silicone. La FDA ne possède pas de preuve définitive qui lie les implants à cette réponse, mais certaines patientes se voient guéries lorsqu’on leur retire leurs implants. […] Les femmes qui considèrent ce genre d’intervention devraient être mises au courant des risques qui y sont associés.»

Outre le BII, l’un des problèmes de santé en lien aux implants les plus fortement discutés par la communauté médicale est un cancer peu commun du système immunitaire appelé «lymphome anaplasique à grandes cellules associé aux implants mammaires (LAGC-AIM), un cancer rare dont la cause reconnue par l’Organisation mondiale de la santé est un type particulier d’implant; les prothèses texturées. Jusqu’à ce jour, cette maladie a été diagnostiquée auprès de 735 femmes porteuses d’implants mammaires. Habituellement, les femmes en guérissent suite à une explantation (le retrait d’implants mammaires) ou à l’aide de chimiothérapie, mais 21 d’entre elles en sont quand même décédées à travers le monde. En mai dernier, les implants texturés d’une seule marque, Allergan Biocell, ont été retirés du marché canadien par Santé Canada, mais ceux des autres fabriquants sont toujours offerts. Aux États-Unis, tous les modèles sont encore en circulation. Au Québec, 7300 femmes porteuses d’implants texturés ont été averties, au cours des derniers mois, d’un «faible risque de cancer» par les établissements de santé. Une démarche préventive, dit le ministère de la Santé du Québec, qui estime les chances de ces porteuses de développer un LAGC-AIM de 1 sur 30 000.

Des questions sans réponses

En 1992, après que de très graves ennuis de santé aient été liés aux implants mammaires en silicone, le Canada interdit la vente de ce type de prothèses, mais, quinze ans plus tard, l’arrivée d’insertions «nouvelle génération» vient changer la donne et le moratoire est levé. Pourtant, on ne dispose toujours pas de données à long terme ou d’études approfondies sur le produit. D’ailleurs, selon le chimiste Pierre Blais, anciennement conseiller scientifique principal à Santé Canada, la qualité de fabrication de ces nouveaux implants serait très près de ceux qu’on utilisait auparavant. «Les prothèses mammaires qui sont sur le marché aujourd’hui sont aussi dangereuses qu’auparavant. Elles causent des problèmes similaires; elles se brisent, durcissent, provoquent des douleurs ou se détériorent à un tel point que le gel de silicone peut se répandre dans l’organisme», dit-il. Les effets néfastes des prothèses mammaires sont connus depuis de nombreuses années, affirme le chimiste, mais les informations sont balayées du revers de la main par les organisations en santé et les fabricants d’implants. Selon l’expert, le corps des femmes qui ont ou qui ont déjà eu des implants sont «marqués à vie», et celles-ci doivent perpétuellement être vigilantes… et mieux informées sur les dangers qui sont associés à leur nouvelle poitrine!

Le Docteur Jan Willem Cohen Tervaert, directeur de la division de rhumatologie du département de médecine à l’Université d’Alberta, étudie depuis 25 ans la connexion entre les implants mammaires et les maladies auto-immunes. Son avis sur la question est sans équivoque: les prothèses ne sont pas sécuritaires. Point. Dans une étude réalisée sur 25 000 femmes publiée en 2018, le docteur a démontré que les porteuses d’implants ont un risque accru de développer une maladie auto-immune. «Le lien est clairement établi. Avec les données présentement disponibles, je ne comprends pas que ce soit encore un débat», dit celui qui croit que les prothèses mammaires ne devraient être utilisées, pour l’instant, que dans des études cliniques étendues et à long terme, jusqu’à ce qu’on en sache plus sur leurs effets sur la santé des femmes. Dans cette même vaste étude, il a prouvé qu’environ 60 % à 70 % des femmes présentant des symptômes de BII voyaient leur santé grandement améliorée après qu’on leur ait retiré leurs implants. «Mais même après une explantation, certaines femmes gardent des séquelles irréversibles. Chez certaines patientes, on a retrouvé des traces de silicone dans le cerveau, dans les muscles, dans les nerfs; et ce, même s’il n’y avait pas de fuite dans leurs prothèses. C’est plus qu’inquiétant.» Selon le chercheur, les femmes ne sont pas assez averties des risques avant de passer sous le scalpel – surtout considérant que l’extraction des prothèses, en cas de problème, n’est habituellement pas couverte par l’assurance maladie, du moins au Canada. Les bévues peuvent donc être extrêmement onéreuses pour les patientes.

Les compagnies de fabrication d’implants défendent quant à elles ardemment leur position; selon eux, rien ne lie hors de tout doute les implants à des maladies systémiques, et les précautions nécessaires sont prises afin d’assurer la santé de leurs clientes.

Au sein de la discorde

Les avis des chirurgiens plastiques sont divisés. Le chirurgien plastique californien Jae Chun, qui se spécialise dans l’explantation et dans la reconstruction mammaire depuis 1990, est catégorique; selon lui, le BII existe. Dans une récente entrevue accordée au magazine Insider, il affirme que de plus en plus de femmes sollicitent ses services après avoir discuté sur le web avec d’autres patientes présentant les mêmes symptômes. «En partageant leurs histoires, elles se rendent compte qu’elles ne sont pas seules à vivre avec cette réalité et que leurs prothèses sont bel et bien problématiques, puisque qu’un nombre significatif de femmes se sent mieux une fois les implants retirés.» L’avis du docteur Éric Bensimon, président de l’Association des spécialistes en chirurgie plastique et esthétique du Québec diffère cependant. Le chirurgien plastique est plus modéré dans ses propos. «Je crois qu’il est important que la recherche continue, afin de déterminer quels sont les réels effets sur la santé de tous les types d’implants mammaires. Même si certains risques sont connus aujourd’hui, pour l’instant, le lien entre les maladies auto-immunes et les prothèses est encore difficile à pr ouver.» Il affirme que la communauté médicale est ouverte et impliquée dans la recherche de nouvelles informations dans le domaine, et que ses collègues et lui-même souhaitent, d’abord et avant tout, que leurs patientes soient en santé. «Je pense que la notion de choix est importante, dans ce cas, mais que pour faire un choix éclairé et consentir à la procédure, les femmes doivent avoir tous les pours et les contres en main avant de passer sous le bistouri – d’où l’importance de continuer, en tant que professionnels de la santé, à s’informer sur la question.»

En mars dernier, suite à la pression mise sur le gouvernement par les femmes se croyant atteintes du BII et aux enquêtes journalistiques publiées sur le sujet dans les médias, Santé Canada s’est engagé à entreprendre un nouvel examen sur la sécurité des implants mammaires.

Augmentation du buzz

Au Canada français, un groupe Facebook pour les femmes aux prises avec le BII a été mis sur pied en 2018; Maladie des implants mammaires (BII)- Groupe de support Canadien-Français. Fondé par Julie Elliott, directrice des relations publiques pour la Breast Implant Failure and Illness Society of Canada, le groupe privé, lié de près à celui de Nicole Daruda, compte plus de 1000 membres «souffrant d’effets secondaires liés aux implants mammaires silicone ou salin, texturés ou lisses et désirant une exérèse (explantation) de leurs implants». «Il n’existait pas de ressources en français concernant le BII», explique Elliott, qui a fait retirer ses implants en 2018, dix ans après son augmentation mammaire, suite à de nombreuses complications et symptômes associés à la condition. «Je passais des heures au téléphone avec des femmes atteintes qui, par le bouche-à-oreille, avaient entendu parler de la maladie, et du fait que je possédais des ressources pour les guider», dit celle qui a d’ailleurs participé aux efforts pour la réouverture d’une enquête sur la question par Santé Canada. «J’ai créé le groupe pour diffuser à grande échelle de l’information juste et non biaisée à des femmes en quête de réponses, de validation, de support. Et surtout, pour qu’elles puisser aller chercher rapidement l’aide dont elles ont tant besoin.»

L’instagrammeuse fitness québécoise Cath Bastien a créé toute une vague en parlant d’explantation, elle aussi, à l’été 2018. Avec plus de 200 000 abonnés sur Instagram et près de 60 000 fans sur YouTube, la créatrice de contenu de 25 ans a soulevé moult commentaires en confiant souffrir du BII –  notamment d’intenses moments de brain fog [NDLR: cerveau embrouillé] –  dans l’une de ses vidéos vues plus de 125 000 fois, et vouloir se faire retirer ses implants. Alors que certains applaudissaient son honnêteté, d’autres la traitaient de menteuse et d’hypocondriaque, ou lui demandaient si ses seins seraient «laids» après l’intervention. «Même si les commentaires ont été en majorité positifs, ç’a m’a frappé de voir qu’avant de me parler de ma santé, on me parlait de mon apparence corporelle. Ça en dit long sur nos priorités, en tant que société», lance celle qui se dit guérie de ses symptômes depuis son exérèse, en août 2018, documentée d’un bout à l’autre sur sa chaîne YouTube. D’autres Canadiennes d’influence, dont les vloggeuses lifestyle Cassandra Bouchard et Karissa Pukas (qui comptent des centaines de milliers d’abonnés sur différentes plateformes), ont parlé publiquement de leurs regrets d’être passées sous le bistouri à cause de problèmes de santé apparues suite à leurs augmentations mammaires. Leurs témoignages, et celui de nombreuses autres femmes sur le Web et dans les médias, ont contribué à la diffusion d’informations cruciales sur le sujet – et au retour sous la loupe des prothèses mammaires. Une victoire, selon elles.

Même si le BII et le LAGC-AIM n’affectent pas toutes les femmes qui ont des prothèses mammaires, le nombre de cas problématiques estimé serait vraisemblablement significatif – bien qu’il n’existe pas encore de chiffre exact dans la littérature scientifique. Et c’est sans compter les risques «courants» – et fréquents! – de ruptures, d’infections et de douleurs entourant les implants. Toutefois, la situation ne semble pas alarmer outre mesure les fabricants de prothèses, les chirurgiens plastiques ou les agences de régulation en santé. Le temps serait-il venu d’écouter davantage les principales intéressées? «Ce qu’on veut, c’est que des études soient réalisées en bonne et due forme, et que la communauté médicale soit au fait des nouvelles découvertes pour que les femmes puissent être en mesure de prendre une décision éclairée, en ayant toutes les informations en main», conclut Julie Elliot, déterminée. «Et, surtout, que celles qui souffrent soient entendues.»

Pour plus d’informations concernant les risques entourant les implants mammaires, visitez canada.ca/fr ou consultez votre médecin.

Illustration: Mireille St-Pierre

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