Quand on cultive socialement un tabou et qu’on associe une expérience à la honte, il est difficile d’éveiller l’attention et la curiosité sur le sujet. La science sportive le confirme: de 2014 à 2020, seulement 6 % des études se sont intéressées exclusivement aux femmes et à leur cycle menstruel. Pourquoi? On entend souvent dire que c’est parce que leur système hormonal est trop complexe pour être proprement étudié. Pourtant, ce système, mené par des vagues d’estrogènes et de progestérone, influence les besoins des femmes en matière de nutrition, d’hydratation, d’activité et de repos. En écartant le cycle menstruel de l’équation, au travail comme à l’entraînement, on invite les femmes à nager à contre-courant, mais en comptant qu’elles obtiendront les mêmes résultats que tous ceux qui nagent le vent dans le dos.

Heureusement, grâce à une poignée de femmes scientifiques, dont Kelly McNulty, doctorante à l’Université de Northumbria, à Newcastle, au Royaume-Uni, et fondatrice du site Period of the Period, un organisme qui a pour mission de changer le discours sur la santé et de la perfomance sportive au féminin, la santé hormonale fait l’objet de plus en plus de recherches. Entretien avec une experte déterminée à parler autrement de la santé des femmes.

Marie-Philippe Jean: Kelly, je crois que notre mission de vie se cache parfois dans ce qui nous a fait souffrir à l’adolescence. Êtes-vous d’accord avec cette idée?

Kelly McNulty: Tout à fait. J’étudie les effets du cycle menstruel sur l’entraînement sportif, parce qu’en pratiquant le golf et en participant à des compétitions, je savais très bien que mon cycle influençait mes performances, bien que personne n’ait abordé le sujet avec moi. Si, à l’époque, on avait disposé des preuves scientifiques actuelles, j’en aurais profité et j’aurais surmonté les défis auxquels je devais faire face.

Qu’est-ce qui explique ce manque d’intérêt pour le système hormonal féminin?

K.: Au 19e siècle, les scientifiques décourageaient les femmes de tout mouvement physique, sous prétexte que courir ou sauter pouvait endommager leurs organes reproducteurs… Ce n’est qu’à compter des années 1960 que l’occasion de participer aux activités sportives s’est réellement présentée à elles. C’est donc assez récent, et bien que la présence des femmes dans le sport ait, depuis, augmenté au point où elle a atteint celle des hommes au cours des dernières années, la science a encore du chemin à faire. Un autre facteur pourrait être que davantage d’hommes que de femmes œuvrent en science du sport et de l’exercice. Cela dit, ce n’est pas une excuse. On doit faire mieux.

Pourquoi ne pas commencer par un petit cours 101: comment expliquez-vous les différentes phases du cycle menstruel? 

K.: Prenons un cycle typique de 28 jours. Le jour 1 correspond au début des menstruations. À ce moment, les taux d’estrogènes et de progestérone sont à leur plus bas. Autour du jour 5, le taux d’estrogènes commence à grimper, et il atteindra son apogée juste avant l’ovulation, soit au jour 11 ou 12. L’ovulation correspond à la libération d’un ovule et indique que le cycle est à mi-parcours. À la phase suivante, on observe une courte chute du taux d’estrogènes, avant qu’il ne remonte à nouveau, et une montée de la progestérone. S’il n’y a pas fécondation, le taux d’hormones chutera à nouveau et un autre cycle débutera. On peut résumer le tout en deux phases: la phase folliculaire, avant l’ovulation, et la phase lutéale, après l’ovulation.

On commence par où si l’on souhaite bouger au rythme de son cycle?

K.: C’est une réponse parfois frustrante, mais comme les données sont encore peu nombreuses, il est important de lire, de poser des questions et d’analyser l’information disponible. Puis, il faut suivre son cycle pour apprendre à mieux le connaître. Après tout, nos données personnelles ont plus de valeur que celles recueillies sur un groupe qui ne nous ressemble peut-être pas. La phase folliculaire semble la plus propice à l’entraînement en force et en intensité, mais seulement quatre études ont présenté des résultats en ce sens. De là l’importance de tester et d’explorer ce qui fonctionne le mieux pour nous.

En quoi l’analyse et la maîtrise de votre propre cycle ont-elles eu une influence sur vos performances au golf ?

K.: Certaines études démontrent que la progestérone a une influence négative sur la partie du cerveau liée à la coordination et à la précision, et j’ai fait ce constat moi-même: ma capacité à aligner ma cible diminue légèrement pendant ma phase lutéale. J’ai adapté ma pratique en fonction de ces phases pour mieux réussir. Elle est là, la clé: en connaissant bien son cycle, on peut développer des stratégies sur mesure. Si on ressent de la douleur à la poitrine pendant les menstruations, mais qu’on a envie de s’entraîner, on peut porter un soutien-gorge de sport, qui offre plus de soutien. Si on remarque qu’on a un niveau d’énergie élevé quelques jours avant l’ovulation, on en profite, par exemple, pour atteindre avec plus de facilité ses objectifs de course à pied.

On vit dans une culture de performance, qui salue la constance. Remarquez-vous qu’il n’est pas dans la nature des femmes d’être à l’écoute des besoins de leur corps?

K.: Oui. Mais plus on s’adapte à notre cycle, plus on note de l’amélioration et plus on est efficaces, ce qui peut nous motiver à faire des mouvements de mobilité plus doux ou à nous accorder le repos dont on a besoin à certains moments clés du mois.

Qu’est-ce qui a eu la plus grande incidence sur vous depuis le début de votre doctorat?

K.: Je suis entrée dans ce champ d’études avec l’idée que certaines phases du cycle menstruel rendaient les femmes plus faibles et plus lentes. Il n’en est rien. J’en suis plutôt arrivée à la conclusion que nous sommes puissantes, fortes et rapides tout au long du mois. D’ailleurs, un très grand nombre de records mondiaux et de médailles ont été établis à chacune des phases du cycle menstruel des athlètes féminines. La question est donc plutôt: pouvons-nous être encore plus rapides, plus fortes et plus puissantes? Il n’est pas question d’être limitées, mais plutôt de s’appuyer sur notre physiologie pour se sentir mieux et tirer davantage profit de nos entraînements. 

Pour obtenir plus de détails sur les effets du cycle menstruel sur la performance:
Period of the Period, Period Power, The Well

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