Même si son copain s’est montré très doux, Marie a ressenti une petite brûlure lorsqu’elle a fait l’amour pour la première fois. «J’ai cru que c’était dû à la nervosité ou au fait que mon hymen se déchirait. Je ne me suis pas trop inquiétée, car j’étais convaincue qu’il s’agissait d’un malaise passager», raconte cette étudiante en droit de 22 ans. Mais toutes les fois où son amoureux et elle ont renouvelé l’expérience, la douleur, loin de disparaître, a augmenté. La jeune femme a alors décidé de consulter. «Après m’avoir examinée, ma médecin m’a dit que je souffrais d’une infection et de fissures vaginales. Elle m’a prescrit un antifongique et m’a suggéré d’utiliser un lubrifiant. J’ai suivi ses recommandations à la lettre, mais j’ai continué d’avoir mal.»

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Croyant qu’un spécialiste serait davantage en mesure de l’aider, elle a frappé à la porte d’un gynécologue. Puis d’un autre. Et d’un autre encore. «Les trois m’ont dit que le problème était dans ma tête. Ils n’essayaient même pas de comprendre ce que j’avais. J’étais désespérée.» Persuadée que la douleur n’était pas que «dans sa tête», Marie s’est résolue à consulter un quatrième gynécologue, qui a enfin pris ses symptômes au sérieux. Il lui a fait passer le «test du Q-tip», qui consiste à appuyer avec un coton-tige sur quelques endroits précis du vestibule, c’est-à-dire l’entrée du vagin. Le diagnostic est finalement tombé. Marie n’était pas folle, elle souffrait de vestibulodynie.

Un mal difficile à diagnostiquer

Le cas de Marie est loin d’être isolé. «On estime qu’une femme sur cinq souffre de dyspareunie, un terme qui désigne toute forme de douleur pendant les relations sexuelles. C’est énorme!» s’exclame Mélanie Morin, directrice du Laboratoire de recherche en urogynécologie du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke. Chez les femmes en âge de procréer, la cause la plus fréquente de ce type de douleur est la vestibulodynie. Celles qui en sont atteintes ont une impression de coupure ou de brûlure dès qu’une pression est exercée à l’entrée de leur vagin, par exemple pendant la pénétration ou l’insertion d’un tampon hygiénique. Lorsque ces sensations s’étendent à toute la vulve, il s’agit plutôt de vulvodynie. Mais d’autres pathologies, comme le lichen scléreux, l’endométriose, l’atrophie vaginale ou la chlamydia, peuvent également être à l’origine de telles douleurs.

Malgré sa prévalence très élevée, la dyspareunie est pourtant méconnue. Les femmes qui en souffrent doivent consulter en moyenne quatre professionnels de la santé avant d’obtenir un diagnostic probant. «Il y a 30 ans, presque personne ne s’intéressait à cette problématique. Aux patientes qui osaient en parler, les médecins répondaient: « Ça finira par passer »», affirme le Dr Irving Binik, directeur du Service de thérapie sexuelle et de couple du Centre universitaire de santé McGill.

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Aujourd’hui, les facultés de médecine font de nombreux efforts pour sensibiliser leurs étudiants à cette réalité, mais il reste beaucoup de travail à faire. «Le premier réflexe des médecins est de procéder à des analyses en laboratoire. Or, la vulvodynie et la vestibulodynie ne s’accompagnent pas toujours de symptômes visibles ou mesurables. L’absence de preuves tangibles peut confondre les praticiens, au point où certains se mettent à douter que la douleur soit réellement présente», déplore Mélanie Morin. Cette réaction des médecins s’explique aussi par le fait que les causes sous-jacentes de la vestibulodynie et de la vulvodynie demeurent généralement inconnues. «Nous croyons qu’il existe des facteurs de risque, comme l’usage précoce et prolongé de la pilule anticonceptionnelle, les infections vaginales répétées et l’hypersensibilité des nerfs du vestibule, mais rien de tout ça n’a été prouvé hors de tout doute. Certaines études laissent entendre aussi que les femmes qui souffrent de dyspareunie sont plus anxieuses que la moyenne, mais nous ne savons pas encore si l’anxiété est un facteur de risque ou une conséquence de la douleur», ajoute la spécialiste.

Une torture quotidienne

Magali, 38 ans, a commencé à éprouver des douleurs après la naissance de sa petite dernière. «Durant l’accouchement, j’ai subi une déchirure du périnée, raconte-t-elle. Trois semaines plus tard, je ne pouvais toujours pas porter de pantalon. J’ai soupçonné la présence d’une vaginite bactérienne, et j’ai alors suivi un traitement.»

Quand Magali a recommencé à avoir des rapports sexuels, sa douleur est revenue au galop. «En plus d’avoir mal pendant que je faisais l’amour, je souffrais lorsque je portais des vêtements serrés, que j’étais longtemps assise ou que j’enfourchais mon vélo… bref, à peu près tout le temps! Parfois, c’était moins intense. Je me disais alors que tout était enfin rentré dans l’ordre, mais le lendemain, ça repartait de plus belle!» Pour découvrir l’origine de son mal, Magali a consulté de nombreux spécialistes, mais en vain. «C’est déjà stressant de souffrir, mais de ne pas savoir ce qu’on a, c’est encore pire!» À l’époque, son anxiété était telle qu’elle a eu l’impression de perdre le contrôle de sa vie. Si bien que sa mère, qui était venue chez elle pour lui donner un coup de main avec les enfants, l’a convaincue de se rendre à l’hôpital.

Magali y a passé deux semaines, en psychiatrie. Ce séjour a eu du bon, dit-elle, parce qu’il lui a permis d’obtenir un test en neurologie. Celui-ci a démontré que ses douleurs étaient causées par une compression du nerf qui innerve toute la zone du périnée, qu’on appelle ironiquement le «nerf honteux». «Mon premier accouchement a été très difficile, relate-t-elle. D’après mon médecin, mon nerf s’est coincé à ce moment-là et le problème s’est amplifié à la naissance de mon troisième enfant. Je ne serai peut-être jamais guérie, mais au moins, j’ai reçu un diagnostic!»

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On se doute bien que lorsqu’on passe ses journées à souffrir comme Magali, on n’a pas envie de faire des galipettes le soir venu. Sophie Bergeron, directrice du Laboratoire d’étude de la santé sexuelle de la femme et professeure au Département de psychologie de l’Université de Montréal, confirme que la dyspareunie entraîne non seulement une panne de désir, mais aussi une baisse de l’estime personnelle. «Le culte de la performance sexuelle et la croyance selon laquelle une relation satisfaisante implique nécessairement une pénétration vaginale sont très ancrés dans notre société. Les femmes qui sont incapables de répondre à ces attentes ressentent beaucoup de culpabilité », explique Mme Bergeron. Ce n’est donc pas uniquement leur vie sexuelle, mais toute leur relation de couple qui est menacée. Parfois, ça peut même mener à une séparation.

Lorsque Caroline, 26 ans, s’est mise à souffrir de vestibulodynie il y a quelques années, cette idée a bien sûr traversé son esprit. «Il m’a fallu plusieurs mois avant de trouver le courage de parler de mes douleurs à Alex, mon chum. J’avais peur qu’il se sente vexé et qu’il parte en courant. » Or, au contraire, Alex avoue avoir été rassuré d’apprendre pourquoi sa blonde était plus distante depuis quelque temps. Il reconnaît toutefois que cette nouvelle a un peu ébranlé son estime de soi: «Au début, je me disais que c’était peut-être moi qui ne savais pas comment m’y prendre. Puis, j’ai compris que je n’y étais pour rien.»

Faire l’amour autrement

Heureusement, divers traitements permettent d’atténuer les douleurs liées aux rapports sexuels. En général, les médecins recommandent d’emblée l’usage d’une crème anesthésiante. Des antidépresseurs, dont certains ont un effet analgésique, peuvent aussi être prescrits. Dans le cas de Magali, la médication, jumelée à des séances de physiothérapie, a donné d’excellents résultats.

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«L’anticipation de la douleur entraîne une contraction des muscles, qui a pour effet d’amplifier le mal, explique Mélanie Morin. Grâce à la rééducation périnéale, les femmes apprennent à détendre les muscles de leur plancher pelvien. » Le thérapeute, qui a reçu une formation spécialisée, commence par effectuer un toucher vaginal en demandant à la patiente de contracter puis de relâcher ses muscles pelviens. Il utilise ensuite un godemiché, ou encore une sonde connectée à un ordinateur, pour permettre à la femme de visualiser l’activité de ses muscles.

Marie, elle, a essayé tous les traitements, sans succès. Elle envisage maintenant la vestibulectomie, une intervention chirurgicale qui consiste à enlever la partie douloureuse du vestibule. Le taux de réussite de l’opération est d’environ 80%, mais elle peut, dans certains cas, entraîner une amplification des douleurs. «Il s’agit d’une solution radicale, qu’on ne doit envisager qu’en dernier recours», estime Mme Morin.

Quel que soit le traitement choisi, il est conseillé de l’associer à une sexothérapie. «Ce n’est pas parce que la douleur est atténuée ou éradiquée que son impact sur la sexualité et le couple disparaît comme par magie!» note Sophie Bergeron. Au cours de ces séances de thérapie, les femmes apprennent à se concentrer sur les sensations agréables, comme celles que leur procurent les caresses de leur partenaire, plutôt que sur leur peur de souffrir.»

C’est d’ailleurs après avoir consulté un sexologue que Caroline et Alex ont choisi d’éviter temporairement les relations sexuelles avec pénétration. «Je mentirais si je disais que la pénétration ne m’a pas manqué, avoue Alex. Mais durant cette période, nous avons découvert le plaisir que pouvaient nous procurer d’autres activités, comme les caresses et les massages. Nous avons appris à faire l’amour autrement, et j’ai l’impression que ça nous a rapprochés. On peut dire qu’il s’agit d’un mal… pour un bien», ajoute-t-il, un brin philosophe.

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Dyspareunie: les hommes aussi

La dyspareunie a longtemps été considérée comme un trouble essentiellement féminin. Or, des recherches récentes ont montré qu’elle touche aussi de 5% à 15% des hommes, et que les conséquences qu’elle provoque chez ces derniers sont similaires à celles qui sont observées chez les femmes: sentiment de détresse, diminution de la libido, etc.

«Il s’agit d’un phénomène encore peu documenté, car les chercheurs ont commencé à s’y intéresser il y a une quinzaine d’années seulement», indique le Dr Irving Binik, directeur du Service de thérapie sexuelle et de couple du Centre universitaire de santé McGill et professeur de psychologie à l’Université McGill. En effet, jusqu’au début des années 2000, les urologues attribuaient la plupart des douleurs sexuelles masculines à une inflammation de la prostate. «En y regardant de plus près, nous avons constaté que seuls 10% des cas de dyspareunie chez les hommes étaient bel et bien causés par une prostatite», révèle le chercheur, qui s’efforce présentement de découvrir les véritables causes des douleurs sexuelles masculines, de même que des pistes pour les traiter.

Ressources

  • Elva. Cette association offre de l’information et du soutien aux femmes atteintes d’une maladie vulvovaginale ainsi qu’à leur conjoint. 
  • Clinique VuVa. Cette clinique, affiliée à l’Hôpital Saint-Luc, à Montréal, se spécialise dans le traitement des maladies vulvovaginales. 
  • Clinique A. Cette clinique traite également les maladies vulvovaginales et il est possible d’y obtenir un rendez-vous en moins d’un mois, la plupart du temps.

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