Juillet 2011. J’ai rendez-vous avec Denis Gagnon dans son atelier-boutique, niché dans le Vieux-Montréal. L’espace est moderne, épuré, monochrome, à l’image de sa griffe. Après de longues minutes d’attente, le designer apparaît enfin. Sa silhouette est juvénile, sa tenue, d’une désinvolture étudiée: marinière, bermuda et baskets. Il s’approche en s’excusant de son retard. Son regard est timide, et son visage, beaucoup plus doux sans sa célèbre monture Lanvin.

L’envers d’une collection

Originaire du Lac-Saint-Jean, Denis Gagnon découvre sa passion pour la mode sur les bancs du Collège LaSalle. Pendant quelques années, il peaufine son art en créant des costumes pour le théâtre, puis il s’exile trois ans au Maroc, où il enseigne le moulage textile, le dessin du patron et la confection du vêtement. C’est à son retour, en 1999, qu’il lance sa première collection de prêt-à-porter. Le succès critique est instantané, et ses défilés font rapidement salle comble. En dépit de la reconnaissance du milieu, la rentabilité financière de son entreprise tarde à venir.

L’année 2010 constitue un tournant dans l’histoire de la griffe. Le Musée des beaux-arts de Montréal présente une exposition sur Denis Gagnon, une première pour un designer québécois. En parallèle, le réalisateur Khoa Lê lui consacre le documentaire Je m’appelle Denis Gagnon, tandis que les chaînes Bedo et Aldo proposent des collections capsules signées par le couturier. Reconnu pour sa très grande habileté dans le travail du cuir, sa matière fétiche, et pour sa maîtrise des coupes savamment déconstruites, Denis Gagnon s’impose comme un des créateurs les plus doués de sa génération. Sa récente collaboration avec la maison Lancôme s’avère une occasion en or de découvrir une autre facette de son talent.

 

Comment ce projet est-il né?

Quand les gens de Lancôme m’ont proposé de concevoir une collection de fards avec l’artiste maquilleuse Lora Spiga, ça m’a tout de suite emballé. J’ai choisi les teintes très spontanément, d’instinct, parmi les palettes de couleurs qui m’ont été présentées. J’ai notamment retenu une gamme de bleus pour les paupières et de rouges profonds pour la bouche. Le rouge est très parlant: les femmes qui savent le porter renvoient une image de force et de féminité. Ça me plaît.

Qu’est-ce que la beauté pour vous?

La beauté, c’est un tout. Il y a des gens qui sont beaux, mais qui cessent de l’être quand ils ouvrent la bouche. À l’opposé, il y a des gens moins beaux, mais qui séduisent par leur intelligence. La beauté, c’est aussi une question de santé. Une peau saine peut nous rendre magnifique, même si nos traits sont très forts, tout comme un sourire radieux et un regard félin peuvent faire oublier nos rides. Bien sûr, notre société impose des critères de beauté: on le voit durant les semaines de la mode. Par contre, on voit aussi défiler de plus en plus de beautés atypiques, des «caractères » comme on les appelle.

Qu’est-ce qui embellit tout le monde?

Le fait de s’apprécier et de s’aimer soi-même. Aujourd’hui, on a de plus en plus d’outils pour s’aider à s’aimer: les vêtements, les bijoux, la coiffure, le maquillage et même la chirurgie…

À propos de chirurgie, que pensez-vous de la chirurgie esthétique?

Les progrès technologiques qui ont été réalisés en la matière sont tout simplement géniaux. Évidemment, il faut savoir doser. Certaines personnes abusent des opérations, et le résultat est horrible. D’ailleurs, elles finissent toutes par se ressembler: le petit nez, les lèvres gonflées, les yeux étirés… Je les appelle «les grands brûlés»!

Les images de perfection que nous proposent les industries de la mode et de la beauté mettent beaucoup de pression sur les femmes…

Effectivement. Je comprends que certaines d’entre elles succombent à la chirurgie esthétique. Surtout quand il s’agit des Madonna de ce monde, dont la carrière repose en partie sur l’image.

Croyez-vous qu’un vêtement ou qu’un rouge à lèvres puisse transformer quelqu’un?

C’est important, les belles choses. S’acheter une jolie paire de chaussures ou essayer un nouveau rouge à lèvres, ça embellit un peu la vie, non?

Qu’est-ce qui vous rend beau?

Je pense que c’est ma naïveté, ma simplicité et peut-être aussi mon absence de prétention. Quand je me regarde dans le miroir, je ne me trouve pas nécessairement beau, mais j’essaie de m’aimer afin de pouvoir continuer à vivre avec les autres. Si je ne m’aime pas, alors comment les autres pourront-il m’apprécier? S’accepter soi-même est un défi qu’il faut relever au quotidien, même si, parfois, c’est difficile, notamment lorsqu’on a vécu un conflit et qu’on est submergé d’émotions négatives…

Avez-vous peur de vieillir?

Oui! J’aurai 50 ans en 2012, et les cinq dernières années ont été plus difficiles. Mon visage se creuse, je prends du ventre, je n’ai plus la même énergie. C’est ça qui est plate quand on vieillit! Ma mère me dit toujours: «J’ai l’impression d’avoir 18 ans et quand je me regarde dans le miroir, j’en ai 85!» Moi, c’est pareil: j’ai encore 18 ans dans ma tête. Je manque d’assurance et me sens très immature aussi. Je suis encore habité par tous les sentiments que j’avais à cet âge-là.

Où puisez-vous votre créativité?

Mon ami Yso m’inspire beaucoup. Pour moi, une muse, c’est une personne qui s’implique dans le processus de création et qui s’exprime. C’est tout le contraire de quelqu’un à qui on dit: «Sois beau et tais-toi.»

Quel est votre rapport au parfum?

Un parfum, c’est l’essence d’une personne. Il ne devrait pouvoir être deviné que par ceux qui s’approchent d’elle… Je considère qu’il est de mauvais goût d’imposer aux autres une odeur envahissante. Et je trouve ça terrible chaque fois qu’une personne très parfumée entre dans ma boutique. C’est pire que si elle venait de fumer une cigarette!

Si vous deviez imaginer une fragrance pour votre marque, quelle serait-elle?

Elle contiendrait peut-être une odeur de bleuets (rires), parce que je viens du Lac-Saint- Jean. Et du bois et de l’encens, car j’aime les odeurs fumées qui me rappellent l’église. Ce serait certainement une fragrance plutôt sèche et pas trop sucrée. Évidemment, tout le monde rêve d’avoir son propre parfum, mais aussi ses lunettes, son maquillage, ses chaussures, ses sacs, etc. C’est l’apothéose pour un créateur! Mais je n’en suis pas du tout là; je crois qu’il faut faire les choses une étape à la fois.

Comment peut-on créer l’harmonie entre sa tenue et son maquillage?

Tout est une question de dosage. Il faut choisir ses fards en tenant compte de la couleur de ses vêtements et trouver la bonne façon d’agencer le tout. Certaines femmes se maquillent beaucoup, alors qu’elles sont tellement plus jolies sans fards. D’autres, en revanche, se maquillent toujours de la même manière, peu importe la façon dont elles sont habillées, mais c’est toujours réussi! L’important, c’est de tenir compte de sa personnalité, de la forme de son visage et de savoir comment dissimuler ses petits défauts discrètement.

Quelle est la faute de style la plus souvent commise?

Porter des talons hauts, alors qu’on est incapable de marcher avec. C’est affreux! J’ai moi-même déjà tenté l’expérience: il faut des chevilles fortes et beaucoup de pratique. C’est tout un apprentissage. Mais j’adore les talons hauts! Ils allongent la silhouette et donnent instantanément de l’élégance.

Quel produit de beauté aimeriez-vous inventer?

La crème rajeunissante ultime! (rires) Celle qui fait disparaître toutes les rides après deux applications. C’est le rêve de tout le monde, et ça me rendrait millionnaire!

DÉCOUVREZ LA COLLECTION DE MAQUILLAGE LANCÔME PAR DENIS GAGNON.

À VOIR EN VIDÉO: Les coulisses de la séance photo pour la collection maquillage Lancôme par Denis Gagnon.