Sylvia Ta, 17 ans, est fana de beauté et de mode. En août dernier, ses copines de l’école secondaire qu’elle fréquente à Ottawa lui ont demandé comment elle s’y prenait pour réaliser ses jolies coiffures. Vous croyez que Sylvia leur a proposé de faire une soirée de filles pour leur expliquer ses trucs? Pas à l’ère du 2.0! «Je me suis filmée en train de me coiffer et j’ai mis la vidéo sur mon réseau YouTube», explique Sylvia, alias beautycakez. Ses amies ont adoré son cyber-cours de beauté et en ont redemandé. Cheveux, maquillage et nouvelles fringues, Sylvia a donc commencé à présenter ses conseils et ses coups de cœur à travers une foule de vidéos maison. De fil en aiguille, son réseau d’abonnés YouTube s’est agrandi. En huit mois, ses vidéos ont été vues plus de 500 000 fois.

Les nouvelles stars adolescentes du Web

Sylvia fait partie de la nouvelle vague des gourous beauté qui sont apparus sur YouTube depuis environ deux ans. Il s’agit presque toujours de (très) jeunes femmes, motivées, débrouillardes, qui en connaissent déjà un rayon sur le maquillage et la coiffure. Pour se mettre en scène et donner des leçons de beauté au plus vaste public possible, elles produisent des vidéos maison qui montrent comment réaliser tel ou tel look. Certaines d’entre elles sont devenues aussi populaires que des vedettes de télé. C’est le cas notamment des sœurs Fowler: Blair, 17 ans, et Elle, 21 ans. Ces deux Américaines ont des centaines de milliers de fans; leurs vidéos ont été vues 80 millions de fois. Mieux, elles sont invitées partout; elles ont même maquillé les mannequins de la designer Minnie Mortimer lors de la dernière Semaine de la mode de New York. Débordée par son statut de nouvelle Oprah du maquillage, la jolie Blair a même dû quitter son école secondaire et poursuivre ses cours à la maison.

 Les Britanniques aussi ont leur gourou chouchou: Lauren Luke. En 2007, Miss Luke a été l’une des premières à mettre en ligne des vidéos beauté, alors qu’elle vendait des cosmétiques sur le site eBay. «Au lieu de juste mettre une image des produits, je les testais et je me prenais en photo pour montrer le résultat, explique-t-elle. Plusieurs personnes m’ont écrit pour me demander comment reproduire le look que j’avais sur la photo. C’est comme ça que je me suis mise à faire des vidéos-ateliers.» Trois ans plus tard, 300 000 fans la suivent sur YouTube, elle a lancé sa propre ligne de cosmétiques, intitulée Lauren Luke, chez Sephora, et Nintendo a créé Supermodel Makeover By Lauren Luke, un jeu vidéo à son effigie!

Les vidéos de la « fille d’à côté »

Tournés avec une webcam, dans un salon ou une chambre à coucher mal éclairée, les vidéos de ces jeunes pros du maquillage sont loin d’avoir le look ultra léché des publicités. Ce cachet amateur- qui nous donne l’impression de nous retrouver chez la fille d’à côté- explique en partie leurs succès, croit Benoit Duguay, professeur à l’École des sciences de la gestion à l’Université du Québec à Montréal et auteur du livre Consommation et nouvelles technologies (Liber). «Les consommatrices s’identifient à ces jeunes femmes. Elles préfèrent écouter des filles comme elles plutôt que de prendre au mot les tops modèles retouchées qu’on voit dans les publicités. Ça donne plus de crédibilité au message. Ça ressemble un peu à du bouche à oreille, la forme de marketing la plus efficace qui soit», explique-t-il. Ainsi, pendant que des centaines de milliers d’ados suivent religieusement les conseils de ces nouvelles papesses de la beauté, les compagnies prient pour que le miracle dure. Les grandes marques sont conscientes qu’il s’agit d’opportunités de marketing gratuit et elles en profitent. «Quelques semaines après mes premières vidéos, alors que je n’avais que 200 abonnés, j’ai commencé à recevoir des produits de beauté et des vêtements à la maison, » raconte Sylvia Ta.

Ces gourous beauté ont beau être jeunes et non professionnels, leur impact sur le marché de la mode et de la beauté est extraordinaire. Pour les entreprises, cela représente des millions d’heures de publicité gratuite et ciblée. Dans un reportage sur le sujet, l’émission Good Morning America rapportait que 24 heures après que les sœurs Fowler aient parlé d’une montre Guess, le site de la marque tombait en panne et la montre en question était en rupture de stock!

Le reportage de l’émission Good Morning America:

 

 

 

 

Un effet d’essoufflement à prévoir

À 21 ans, Linda Pham, gourou beauté de Toronto, s’inquiète de la proximité entre la publicité et le contenu de ces vidéos. «Je crois que bientôt, on ne pourra plus faire la différence entre celles qui donnent de vrais conseils sur les produits, et les autres, qui seront payées par les compagnies pour les critiquer positivement», dit-elle. Pour M. Duguay, il est clair que le phénomène ne durera pas. « Les gens vont se tanner. De plus en plus de filles vont se mettre à faire ça pour recevoir des produits de beauté gratuits et jouir d’une sorte de célébrité. Au fur et à mesure que ça prendra de l’ampleur, le phénomène perdra de sa crédibilité. » Ce dernier soutient que sous peu, un nouveau réseau social remplacera probablement ce phénomène. Reste à savoir à quel genre de nouvelles stars du Web 2.0 il donnera naissance…

Vous désirez suivre ces gourous de la beauté sur YouTube? Carnet d’adresses.

Sylvia Ta

Blair Fowler

Elle Fowler

Lauren Luke

Linda Pham