En 1970, Henri Robert crée un parfum au sillage vert et irisé, destiné aux femmes de caractère, frondeuses et audacieuses. Au départ, la fragrance doit s’appeler Coco, en hommage à la couturière Gabrielle Chanel, mais celle-ci préfère la désigner par le chiffre de sa date de naissance, le 19 août. Le N°19 sera le dernier parfum de Chanel à avoir été lancé du vivant de la créatrice.

Quarante ans plus tard, Jacques Polge en propose une délicieuse interprétation, le N°19 Poudré, qui met l’iris à l’honneur. Ce jus est rétro sans être vieillot: il conserve l’accord original aux accents verts, tout en étant sublimé par des notes poudrées, plus contemporaines. Inspiré du passé, mais revisité avec de nouvelles matières, il est bien de son temps, explique son créateur.

Qu’est-ce qui distingue une fragrance vintage d’un sillage moderne?

Les matières premières. À l’époque où M. Robert a créé le N°19, il utilisait très peu de muscs. Il faut dire qu’il ne disposait pas de la même variété que nous. Le N°19 s’articule autour de rhizomes d’iris pulvérisés, qu’on a longtemps utilisés pour se poudrer les cheveux et le visage. Dans la version nouvelle, ces notes poudrées sont relevées par des muscs de dernière génération.

La maison Chanel suit-elle la tendance actuelle des grandes maisons, qui reformulent leurs fragrances classiques?

Chez nous, cette pratique est peu fréquente. Certes, nous avons revisité le N°5 en proposant l’Eau première N°5, mais nous ne l’avons pas fait pour suivre un courant de mode. Comme le N°5 est un grand classique, il a quelque chose d’intimidant pour certaines femmes; nous voulions donc le rendre plus accessible. Dans le cas du N°19, l’idée de départ était de faire revivre cette eau de parfum, qui avait été un peu délaissée. Elle a beaucoup souffert de la comparaison avec le N°5, car comme lui, elle porte un numéro et est présentée dans un emballage blanc.

 

Croyez-vous à un retour des fragrances rétro?

Non. Je ne pense pas que les femmes aient envie de parfums anciens; elles ont envie d’odeurs actuelles. Certains pourraient dire que le N°19 Poudré, c’est du rétro, mais ce n’est pas le cas. Je n’ai pas voulu faire un parfum vintage ni, à l’inverse, élaborer une autre fragrance. Le N°19 Poudré est une variante moderne du N°19 dans laquelle on reconnaît toujours l’original.

Quelle est la qualité d’une formule qui survit au temps?

Les compositions trop évidentes lassent. Le N°5, qui célèbre cette année son 90e anniversaire, demeure unique, et il devient encore plus énigmatique au fil du temps. Au fond, on a du mal à le décrire. Son sillage est mystérieux, et c’est ce qui lui permet de durer. J’essaie de donner cette qualité à tous les parfums que je crée.

Quelle est la recette pour élaborer une fragrance intemporelle?

Paradoxalement, un parfum ne pourra devenir un classique que s’il représente bien la période particulière qui l’a vu naître. On doit donc faire en sorte qu’il soit un reflet de son temps, que sa composition capture l’odeur d’une époque. Par contre, on essaie d’éviter la nouveauté pour la nouveauté. Chez Chanel, nous créons un parfum en nous méfiant des effets de mode et en restant ancrés dans des courants durables.

Dans quelle ère de la parfumerie sommes-nous?

Une ère où on lance beaucoup trop de fragrances, ce qui, hélas, les banalise. Je suis très heureux d’être au service d’une maison qui lutte contre ce phénomène.

 

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