Je suis une artiste de la bobépine. Un talent que je dois à des années de pratique devant la glace, mais surtout à mon père, qui m’a appris très tôt «qu’une femme de goût ne met jamais le nez dehors sans d’abord avoir attaché ses cheveux». Pour lui, une chevelure à l’état brut, c’està- dire sans pinces ni élastique, est une non-coiffure, à coordonner uniquement aux pantoufles qu’on enfile au saut du lit.

Pendant des années, j’ai porté des tresses et toutes les variantes de la queue de cheval, jusqu’au jour où j’ai découvert les possibilités infinies de la bobépine. Dès lors, mes bouclettes sont demeurées sagement retenues à mon cuir chevelu, dociles, insensibles aux caprices du temps, jamais frisottées ni trop volumineuses. Enfin, j’avais trouvé une coiffure à la mesure de mon obsession du contrôle capillaire!

Nous filions le parfait bonheur, mes cheveux, mes épingles et moi, le jour où ma collègue Kenza a eu l’idée d’un dossier sur le voeu de pénitence. C’est ainsi que mon grand esprit d’équipe m’a fait promettre de ne pas relever mes boucles pendant tout un mois. Pour donner un sens à ma peine, Kenza a fait valoir que ces 30 jours d’abstinence me mèneraient à la catharsis de l’interdit parental que j’avais intériorisé. Bref, elle m’offrait une psychothérapie aux frais de la boîte. Fine négociatrice, j’ai tout de même réussi à retarder d’une semaine le début de mon supplice. Je devais d’abord passer sur la chaise du coiffeur qui, de ses ciseaux magiques, m’aiderait à mieux aimer mes cheveux détachés.

 

Mon coiffeur a bien rigolé quand je lui ai parlé de mon pari fou. En une bourrasque de séchoir et quelques pschit de fixatif, il m’a montré que je n’avais nul besoin de pinces pour avoir fière allure. Après quoi, je suis sortie affronter le monde sans mon artillerie métallique. Je n’avais pas fait deux coins de rue que, déjà, j’étais devenue parano! Mon principal symptôme? Le sentiment que tous les yeux étaient fixés sur mes cheveux. Peut-être que le vrai problème n’a jamais été sur ma tête, mais plutôt dans ma tête…

Personne n’aime admettre qu’il a tort. Personne. Même lorsqu’il s’agit d’un sujet aussi superficiel que la coiffure… C’est ce que j’ai pourtant dû faire. J’ai maintenant peur d’être plus jolie sans mes bobépines. Les responsables de cette crainte? Mes collègues. À leur avis, mes cheveux détachés me donnent un look plus sexy, un brin espiègle et surtout, très fashion. En un mois, mes boucles virevoltantes ont été plus louangées qu’en 31 années de captivité. Peut-être est-ce l’effet de la nouveauté? Un complot pour m’aider à aller jusqu’au bout de mon pari? J’en doute. Ma paranoïa a des limites. Et compte tenu du goût exquis de mon entourage, me voilà bien obligée de remettre en question mes notions d’esthétisme.

Un autre point en faveur du look no-bobépine: le regard masculin. J’ai plus de succès sans ma pièce montée de bouclettes. Il faut dire que les cheveux au vent sont prétexte à tous les petits gestes chers aux séductrices. Mon préféré? Secouer mes boucles pour leur donner du gonflant. On ne m’a pas encore demandée en mariage, mais je sais désormais que mes cheveux sont une arme de séduction à ne pas négliger.

En dépit du triomphe de mes bouclettes libres, je continue à douter de leur attrait. Du jour 1 au jour 30 de mon défi, j’ai gardé dans mon sac une douzaine de bobépines, prêtes à voler au secours de mon image à tout moment. La tentation de relever ma chevelure m’a suivie partout. Elle s’est emparée de moi dans le métro, chaque fois que j’ai croisé une passagère au chignon étudié; sur mon canapé, chaque fois que la caméra de Mad Men s’est arrêtée sur Joan Holloway; au boulot, chaque fois que j’ai été exposée aux coiffures ultraléchées des défilés d’automne. Ironiquement, le hasard a voulu que la fin de mon engagement coïncide avec une visite chez mes parents. J’y suis allée sans épingles. Mon père m’a embrassée en me disant que j’étais jolie. Je me suis pincée, mais non: je ne rêvais pas!

 

 

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