Il y a quelques années, j’habitais en colocation chez Karen, une charmante célibataire de 34 ans. Ses jolis yeux bleus faisaient craquer bon nombre de mes amis… mais, selon eux, il y avait un hic: elle avait des cheveux blancs! Eh oui! Sa belle coupe au carré laissait entrevoir ici et là du gris. Un détail qui ne laissait pas indifférent…

Dernièrement, j’ai croisé Karen, toujours aussi pétillante. Elle approche la quarantaine, elle est amoureuse de Micheal depuis cinq ans et mère d’une jolie fillette. Et ses cheveux? Presque tout blancs!

Colorer ou non?

Les premiers cheveux blancs de Karen sont apparus au début de la vingtaine. Contrariée par ce changement capillaire précoce, elle se les teint. À vingt-cinq ans, elle décide de tout arrêter: «J’en avais assez des rendez-vous chez le coiffeur. C’était toujours à recommencer.» Le temps et l’argent ont donc eu raison de Karen et l’ont convaincue de laisser ses cheveux pousser sans artifice.

C’est une tout autre histoire pour Sonia Sarfati. La journaliste de La Presse n’a jamais mis la moindre teinture dans ses cheveux. Elle a laissé la nature suivre son cours. «J’en ai eu dès l’âge de 14 ans. Ils ne me dérangeaient pas, je trouvais ça drôle, se rappelle-t-elle, j’ai appris à grandir avec eux.» Aujourd’hui, à l’aube de ses 50 ans, Sonia Sarfati arbore une belle toison bouclée et argentée.

Que ce soit pour des raisons génétiques, de santé ou d’âge, le cheveu perd sa synthèse de mélanine, l’élément qui donne sa couleur. Personne n’y échappe. Dans la société occidentale, on résiste à ce changement physiologique. On le camoufle par des colorations capillaires. On constate ce comportement surtout chez les femmes.

Pourquoi rebutent-elles tant à cette loi de la nature?

«Nous vivons dans un monde compétitif, pour y survivre il faut montrer des signes de vitalité et d’énergie, des traits liés à la jeunesse», observe Mariette Julien, professeure à l’École supérieure de mode de Montréal, de l’Université du Québec à Montréal. «Les cheveux gris représentent un symbole de vieillesse facile à décoder par les autres. Ainsi, pour envoyer un message de vitalité, on les cache.» Cette spécialiste dans les tendances vestimentaires et corporelles note également que le gris inspire la tristesse et la maladie, donc une raison supplémentaire pour les dissimuler.

Les regards des autres

Selon Mariette Julien, les cheveux symbolisent l’état d’âme. Les autres s’en servent pour analyser la personne et ainsi porter un jugement. «De nos jours, le corps est devenu une reconnaissance sociale. On investit en lui pour se différencier. L’apparence devient ainsi primordiale. Le gris souffre d’une connotation négative dans cette mentalité, le montrer est perçu comme de la négligence envers sa personne», avance la professeure.

Sonia Sarfati sent souvent des regards de surprise se poser sur sa chevelure, sans plus. Les seuls commentaires reçus ont été admiratifs. «Lors d’une entrevue, Anthony Kavanagh a qualifié mes cheveux de magnifiques! Laurent Paquin m’a fait la même remarque», se souvient-elle.

Le gris, c’est pour qui?

Pour affronter les regards, cela doit prendre une personnalité forte. «Certaines femmes m’avouent qu’elles seraient incapables d’assumer leurs cheveux gris, elles ont peur de paraître trop vieilles. Ça me fait rire, car je ne pense pas que ce soit l’élément principal de la vieillesse, c’est plutôt notre attitude. Moi, je me considère jeune et c’est ça qui fait mon âge», explique Karen.

Une femme qui accepte ses cheveux gris dégage une confiance en elle. «Elle ne recherche pas l’approbation des autres. Elle suit le courant de son corps et des étapes de sa vie. Elle est le reflet de ce qu’elle est à l’intérieur. Elle ne lutte pas contre l’environnement, elle vit avec lui», analyse Mariette Julien.

La séduction et les hommes

Chacune d’elles, Karen et Sonia Sarfati, est en couple. Si elles étaient célibataires, toutes deux songeraient peut-être à les teindre. «La séduction se base sur la perception. Le sens le plus sollicité est la vue. Présentement, la tendance tend à la juvénilité. Alors, pour attirer le regard, il s’avère essentiel de paraître jeune», explique Mariette Julien. «On change souvent de partenaire, donc le processus de séduction est toujours à recommencer. On ne peut donc se permettre de baisser la garde.»

Et qu’en pensent les hommes? « Micheal me suggère parfois de me teindre les cheveux», admet Karen. Son conjoint veut seulement qu’elle soit ouverte à l’expérimentation. Néanmoins, lorsqu’il a posé ses yeux pour la première fois sur elle, il l’a trouvée ravissante, malgré ses cheveux gris qui la vieillissaient. Il n’en pense rien de moins encore aujourd’hui. «Je ne me plie pas aux standards de la mode, je ne forcerais personne à le faire. Ce sont ses cheveux! Si elle est heureuse, je suis satisfait. Je l’aime tout entière.»

Alors que Sonia Sarfati a vu les cheveux de son amoureux tomber, lui a vu les siens devenir blancs. Un échange de bon procédé, en quelque sorte!

Chez le coiffeur

«Les femmes qui portent les cheveux blancs ou gris ont une vie bien établie et épanouie», observe Vincent Bonhomme. Le propriétaire du salon montréalais Jardin d’art et de coiffure voit défiler de plus en plus de clientes qui gardent leurs cheveux gris. Il leur suggère une coupe courte qui donne du dynamisme. Il note aussi qu’avec la conscience écologique intégrée dans nos habitudes de vie, les gens adoptent des comportements en lien avec la nature. «Les femmes semblent de plus en plus sensibilisées à l’environnement et ne veulent plus altérer leurs cheveux et les abîmer avec de la coloration.» De plus, on remarque que sur les podiums, les couleurs de l’heure sont: le gris décliné sur tous les tons, et le blanc qui symbolise le renouveau… Est-ce un début d’acceptation?