Après un calcul rapide, je me suis rendu compte que j’avais dépensé au moins 1000 $ pour ma coiffure dans les 12 derniers mois. C’est peu si je me compare à certaines de mes amies qui, elles, ont pu facilement débourser 2000 $, voire 3000 $, au cours de la même période. C’est cher payé, particulièrement pour les personnes qui sortent du salon en étant déçues.

La fois où je n’ai pas ressemblé à Anne-Élisabeth Bossé (même pas à son chien)

J’aimerais dire que c’est arrivé à l’amie d’une de mes amies, comme dans les romans Frissons de mon enfance — une référence qui trahit peut-être mon âge —, mais ce serait faux. Récemment, je suis restée terriblement déconfite après un passage sur la chaise de ma coiffeuse qui, par ailleurs, n’avait été que charme et ravissement jusque-là.

Pour éviter qu’on l’identifie contre son gré, je dirai qu’elle s’appelle Linda. Je ne sais pas quel âge a Linda. Linda doit être coiffeuse depuis plus longtemps que j’existe sur terre. Elle a une voix chaude et rocailleuse, et un coup de ciseaux aussi assuré que le coup de patin d’un hockeyeur professionnel. Linda est expéditive, mais c’est simplement parce qu’on dirait qu’elle a besoin d’être dans le mouvement, d’être dans l’action. Elle a le sens de l’écoute, mais ma phrase ne doit pas être trop longue. Généralement, on arrive tout de même à se comprendre aisément. Linda s’enquiert systématiquement de ma carrière et de mon retour aux études. Elle ne prête peut-être pas attention longtemps à ce qui lui est dit, mais elle enregistre.

Ce matin-là, je suis arrivée au salon en trépignant d’enthousiasme. D’un air joyeux, j’ai montré à Linda la couverture de l’édition de février-mars 2022 d’ELLE Québec avec, en frontispice, une Anne-Élisabeth Bossé radieuse. Je lui ai dit: «Je veux ça.» Sans équivoque. Je voulais cette même frange incroyable, telle que sculptée par le coiffeur des stars David D’Amours. Quelque 30 minutes plus tard, j’avais le toupet retroussé presque au ras du crâne, l’air d’une pin-up des années 1920, et le regard vide. 

Coiffeuse ou thérapeute?

Je sais que je ne suis pas la seule à avoir vécu des malchances semblables. Ma meilleure copine a dû digérer plusieurs blonds ratés, avec des tons excessivement cuivrés, des irrégularités ou encore des endroits où le décolorant avait glissé. Mais quand on vient de débourser 400 $ pour un service, ne devrait-on pas s’attendre à être satisfaite de ce qu’on voit dans le miroir?

La coiffure est un métier sensible. Elle exige du doigté, du tact et de l’attention, en plus de prouesses techniques. Frédérique Jacques, qui a récemment pris sa retraite après avoir travaillé pendant 10 ans à Gatineau, souligne le rôle central qu’un artiste capillaire joue dans l’estime de soi de sa cliente. De son côté, Catia Correia, styliste capillaire et copropriétaire du populaire salon Le Artof, à Montréal, a remarqué une recrudescence des visites au salon en temps pandémique, probablement en lien avec les rencontres Zoom qui se sont multipliées et au cours desquelles notre reflet nous était trop souvent imposé. 

Toutes deux soutiennent que le fondement d’une bonne relation entre la styliste ou la coloriste et sa clientèle dépend de leur capacité à s’entendre sur un style visé et un résultat réaliste. «Les clientes ont parfois trop d’attentes pour un seul rendez-vous. Elles se disent: “Crime, je paie 350 $, et le résultat n’est pas identique à la photo que j’ai montrée”», dit Catia. Cependant, elles ne se demandent pas toujours si les explications initiales ont été claires. «Il faut traiter la cliente comme si elle ne connaissait pas les termes techniques», rappelle la styliste capillaire. Frédérique abonde dans ce sens et s’assure que tout est clair sur le choix du vocabulaire qu’elle utilise. Pour garantir de meilleurs résultats, Catia encourage sa clientèle à lui apporter beaucoup de photos. Parfois, si elle n’est pas certaine de bien saisir l’objectif, la styliste parcourt le fil Pinterest de sa cliente avec elle à la recherche de la bonne inspiration. Frédérique ajoute que le moment où on s’entend sur le style final espéré est crucial et qu’il faut que ça prenne un certain temps. Si la coiffeuse précipite les choses, à ce moment-là, c’est mauvais signe. 

«La coiffure est un métier sensible. Elle exige du doigté, du tact et de l’attention, en plus de prouesses techniques. »

Reconnaître ses forces

Frédérique et Catia estiment que certains collègues du métier ont quelquefois de la difficulté à admettre leurs limites en tant qu’artistes. Faire une coupe courte, par exemple, est un art très technique, de l’avis de Catia. Et Frédérique ne fait pas de coupe ou de coloration avec lesquelles elle n’est pas à l’aise ou qui sont trop éloignées de son style. «Si tu m’arrives avec les cheveux aux fesses et que tu veux une coupe pixie, je ne te prends pas», dit Catia en rigolant.

Si, malgré toute la bonne volonté dont notre coiffeuse et nous avons fait preuve, la coupe ou la coloration est insatisfaisante, que fait-on? On en parle. Catia et Frédérique croient qu’un «Écoute, ce n’est pas exactement ce que j’avais en tête; que peut-on faire, selon toi?» ou un «Je t’avoue que ce n’est pas exactement ce que j’envisageais; est-ce qu’il y aurait une autre solution?» peut aider à trouver une réponse au problème.

Il est très rare qu’une retouche ne puisse pas être faite dans un délai raisonnable. Il faut tout de même accepter une part de flou artistique. Chaque personne a une vision différente des choses et elle ne se perçoit pas de la même façon que les autres la perçoivent. Puis, il y a le cheveu lui-même: sa composition, sa texture, son épaisseur, sa couleur, le nombre de fois qu’on l’a (dé)coloré, etc. «Le seul temps où on ne peut absolument pas se rattraper, c’est si la cliente a menti sur ce qui était dans ses cheveux au départ», dit Frédérique, rappelant que, à un certain point, les cheveux ne peuvent tout simplement plus absorber de produit ou risquent de brûler. 

Un art qui se paie

Pour que la relation soit plus fluide, il faut aussi comprendre que le travail que les stylistes et les coloristes effectuent se calcule principalement en temps. Celui pendant lequel la cliente occupe la chaise. Un balayage coûte environ 200 $, voire plus, parce qu’il prend plusieurs heures à réaliser. Et le prix demeure une estimation. L’idéal est de prendre un rendez-vous pour une consultation et de rester cohérente avec ses moyens financiers et la fréquence à laquelle on peut s’offrir un service dans un salon.

Donner une deuxième chance à notre Linda peut être très satisfaisant, comme en témoignent mon fier «méchage» blond et l’épatante frange rideau qu’elle m’a faits pour rattraper la précédente. Instinctivement, j’ai fait ce que Frédérique m’a conseillé: nommer la chose au «je» de façon très claire, sans être accusatrice. Je lui ai dit: «J’aimerais qu’on fasse la même couleur que d’habitude, mais vraiment, cette fois, qu’on laisse le toupet plus long. La dernière fois, je t’avoue que j’ai trouvé ça vraiment trop court. Penses-tu que je n’ai pas été suffisamment claire?» On a ensuite discuté franchement. Elle était bien désolée et, depuis, elle ne coupe jamais mon toupet plus court que mes sourcils. Et, en soi, le fait que je me sois retrouvée de nouveau sur sa chaise témoigne de mon bon vouloir dans cette relation. Bien sûr que c’est délicat. Tout le monde a un égo plus ou moins fragile. Si on vit une déception, Catia suggère d’appeler au salon, de demander une retouche et de se réessayer au moins une fois par la suite. Surtout si on apprécie énormément la personne qui nous coiffe et les lieux, ajoute Frédérique. Après, qu’un client parte dans la brousse, aucun professionnel n’est à l’abri de ça. «C’est normal de se faire “ghoster” des fois […] On s’habitue; c’est un peu comme une loi non écrite», conclut Catia. Frédérique, de son côté, croit que c’est la gêne qui fait que certains clients n’assument pas leur mécontentement. Ça me fait mal de rappeler une évidence, mais, en coiffure comme en amour, la communication, non violente, c’est la clé!

Lire aussi:
Les tendances cheveux de l’automne-hiver 2022-2023
TOP ELLE : 7 soins pour réparer les cheveux abîmés
Plus que des cheveux : femmes noires et alopécie