Être victime de discrimination en raison de ses cheveux n’est pas nouveau au Canada. En 2014, Lettia McNickle s’est fait renvoyer après s’être présentée à son travail, le Madisons New York Grill & Bar, à Montréal, coiffée de tresses. À son arrivée, son employeuse a déclaré qu’elle «ne voulait pas de ce type de coiffure dans son établissement», rapporte Lettia. En 2018, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec a statué qu’il s’agissait bel et bien d’un acte de discrimination selon la race et le genre, et bien que la propriétaire du restaurant ait été condamnée à verser 14 500 $ en dommages et intérêts à Lettia, celle-ci attend toujours d’être dédommagée. L’affaire a donc été portée devant le Tribunal des droits de la personne. Lors d’un incident en 2016, la serveuse Akua Agyemfra, vivant à Toronto, a vécu une situation similaire après avoir décidé de porter ses cheveux crépus naturels [NDLR: non permanentés] en chignon au travail. La même année, Cree Ballah, employée d’un Zara à Toronto, a dû quitter la boutique après s’être présentée au travail coiffée de box braids, parce que celles-ci ne correspondaient pas à l’apparence «professionnelle» exigée par l’entreprise. Plus récemment, en 2019, Natasha Doyle-Merrick a dû démissionner de son emploi au bistrot du Musée des beaux-arts de l’Ontario (AGO), à Toronto, après que ses employeurs lui ont interdit de porter ses cheveux naturels relâchés, craignant que cela fasse «fuir» les clients.

Ces incidents ne sont que quelques-uns des exemples qui montrent le sentiment que les personnes qui ne sont pas noires entretiennent à l’égard des personnes aux cheveux crépus. Ces points de vue biaisés sont en partie alimentés par le manque de représentation de femmes à la peau foncée et à la chevelure texturée dans les médias canadiens. «Les cheveux afros et les personnes noires à la peau foncée sont encore marginalisés ou absents des médias canadiens, déclare Cheryl Thompson, professeure à l’Université Ryerson, à Toronto. Et si une femme noire à la peau foncée et aux cheveux crépus figure dans une télésérie, par exemple, elle risque fort d’être présentée comme agressive et peu attirante – en d’autres termes, elle serait une caricature à la Mammy et Sapphire. C’est très décourageant de voir ce stéréotype se perpétuer.» Le livre de Cheryl Thompson, Beauty in a Box: Detangling the Roots of Canada’s Black Beauty Culture, explique l’histoire méconnue de l’expansion de la culture de la beauté noire au Canada. Au cours de ses recherches, Cheryl a été étonnée de constater à quel point l’industrie canadienne des soins capillaires pour les cheveux afros ne pouvait compter que sur une presse dont le lectorat était majoritairement noir. Dans les années 1970, «des journaux tels que Contrast et Share, à Toronto, étaient littéralement les seules avenues possibles pour faire la promotion de produits de beauté spécialement conçus pour la communauté noire», dit-elle. Il est malheureux que la majorité des médias grand public de l’époque n’aient pas réservé d’espace dans leurs pages pour la promotion de ces soins, et Cheryl Thompson souligne que cette situation prévaut encore aujourd’hui.

«Les cheveux afros et les personnes noires à la peau foncée sont encore marginalisés ou absents des médias canadiens.»

Bien que le changement soit trop lent, un certain progrès a été réalisé grâce à des pionniers de l’industrie comme Beverly Mascoll, qui a joué un rôle majeur dans l’établissement de l’industrie canadienne des soins capillaires pour les cheveux crépus. Après avoir constaté le manque flagrant de produits spécialisés sur le marché canadien, elle a lancé son entreprise, Mascoll Beauty, en 1970, avec seulement 700 $ en poche. Elle vendait ses produits à l’arrière de sa voiture avant de s’associer avec l’entrepreneur de Chicago George E. Johnson, de Johnson Products Company. En 1971, elle est devenue une des actrices principales de l’industrie des soins capillaires pour les personnes noires dans tout le pays.

On ne peut pas parler de discrimination capillaire au Canada sans pointer du doigt les institutions, qui perpétuent l’idée que les cheveux naturellement crépus sont une singularité et qu’ils n’ont pas lieu d’être dans notre société. Un exemple? De nombreuses écoles de beauté du pays ne donnent pas de formation sur les cheveux afros. L’été dernier, alors que les manifestations pour le Black Lives Matter battaient leur plein, trois coiffeuses de Montréal, de Calgary et de Toronto ont lancé chacune de leur côté une pétition pour remédier à ce manque de représentation. Elles y demandaient que l’enseignement sur les cheveux afros naturels fasse partie intégrante de la formation dans les écoles de coiffure. Au total, les trois pétitions ont recueilli plus de 30 000 signatures. Malgré la réaction du public, le gouvernement tarde à mettre des mesures en place.

Le CROWN Act – Creating a Respectful and Open World for Natural Hair –, une loi adoptée en 2000 en Californie, vise à protéger les femmes et les hommes de couleur contre la discrimination capillaire basée sur la race. Aujourd’hui, sept autres États y adhèrent – d’autres sont à venir! –, et de nombreuses personnes espèrent que le Canada adoptera une loi semblable. «La seule manière d’y arriver, selon moi, est d’exercer une pression claire et constante sur nos politiciens, précise Cheryl. J’ai espoir pour la suite des choses.»

La conversation sur la discrimination raciale en matière de cheveux est éprouvante, mais nécessaire. Il est primordial d’être à l’écoute pour apprendre et pour changer les choses.

Se faire une tête

Nous avons joint des coiffeuses et des créatrices de contenu de la communauté noire afin de connaître leur point de vue sur la question.

Sur l’importance d’avoir un cours qui inclut les cheveux texturés à l’école de coiffure

«Ça devrait être de l’ordre du gros bon sens que les coiffeurs possèdent des connaissances de base sur tous les types de cheveux. Ils peuvent choisir de se spécialiser dans un certain domaine, comme la coupe ou la coloration, mais maîtriser l’éventail complet des textures capillaires est essentiel, surtout dans un pays où la population est aussi diversifiée qu’au Canada.» — Annastasia Liu, créatrice de contenu (@_simplystasia sur Instagram et Annastasia Liu sur YouTube) et blogueuse

«Il est plus que temps de tenir compte de tous les types de cheveux. Le Canada est un pays multiculturel, et nous devrions être en mesure de nous faire coiffer n’importe où. Un bon styliste capillaire devrait pouvoir servir n’importe quelle personne qui franchit la porte de son salon.» — Nancy Falaise, propriétaire du Salon Académie Nancy Falaise, à Montréal

Sur le manque de représentation des cheveux afros dans les médias canadiens

«Le ton qu’adoptent la plupart des médias est simple: les cheveux des personnes noires ne sont pas considérés comme de “bons cheveux”. Or, tout le monde se tourne vers les médias pour découvrir les tendances beauté, pour s’inspirer, pour s’informer et pour s’éduquer. Et le fait que les cheveux texturés y sont sous- représentés et mal représentés encourage cette perception erronée. Des petites filles et des femmes noires entendent des mots désobligeants comme “négligés”, “difficiles à manipuler”, “grossiers” ou “pas professionnels”, entre autres, pour décrire leurs cheveux afros, et elles en souffrent.» — Zermarla Walcott, consultante spécialisée en cheveux crépus naturels

«Sur ce plan, je crois fermement que le marché canadien peut être amélioré dans son ensemble, que ce soit par rapport aux publicités diffusées à la télévision et sur les réseaux sociaux, aux campagnes de beauté ou aux journalistes qui travaillent dans les magazines. S’il n’y a pas de diversité sur ces plateformes, c’est que nous ne tenons pas compte de la réalité et que nous véhiculons le message que les cheveux naturels ne sont pas la norme chez les personnes de couleur.» — Jennifer Jackson, créatrice de contenu (@thejennjackson sur Instagram et Jenn Jackson sur YouTube)

Sur le fait de vivre de la discrimination capillaire 

«Des femmes avec qui j’ai travaillé m’ont souvent fait des compliments qui cachaient en réalité une insulte, comme lorsqu’elles qualifiaient mes cheveux naturels de “mignons, mais pas un style qui convient pour quitter la maison”. Des employeurs m’ont aussi demandé pourquoi je venais travailler avec une chevelure “aussi volumineuse”, et d’autres collègues ont parlé de mon afro comme d’une “tête de serpillière”.» — Zermarla Walcott

«Une fois, je me suis présentée avec une coupe afro au travail, et ma responsable m’a avisée que je devais “m’assurer que mes cheveux sont présentables” pour mon prochain quart de travail. J’étais jeune et j’avais besoin de cet argent; j’ai donc dû obtempérer.» — Jennifer Jackson

Sur leur présence en ligne et la création de leurs plateformes

«En commençant à parler de ce qu’a été mon parcours avec mes cheveux naturels il y a près de cinq ans, je souhaitais devenir une ressource pour les femmes qui avaient l’impression d’être limitées dans le choix de leurs coiffures en raison de leurs cheveux naturellement crépus. Comme j’adore expérimenter, changer de style et essayer de nouvelles techniques, c’était instinctif pour moi de partager le tout en ligne.» — Annastasia Liu

«J’adore coiffer les cheveux; c’est ma passion depuis des années. J’ai appris à aimer et à chérir ma crinière, après avoir perdu tous mes cheveux pendant mes traitements contre le cancer du sein. J’ai décidé de me spécialiser dans le domaine des cheveux bouclés quand j’ai constaté le manque flagrant d’information et de ressources sur le sujet. Huit ans plus tard, je continue dans cette voie, et j’ai même mis sur pied des ateliers pour les adolescentes afin de les aider à voir la beauté en elles et dans leur chevelure afro. Imaginez tout ce qu’elles peuvent accomplir si on nourrit leur confiance en elles dès l’âge de 13 ans!» — Nancy Falaise

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